Tandis que se déroule à Nice le procès de l’attentat terroriste islamiste du 14 juillet 2016… L’actualité m’invite au souvenir.
Deux jours après cet effroyable massacre sur la Promenade des Anglais par un camionneur terroriste islamiste, j’étais reçue à dîner chez des amis musulmans dans le Mantois. Un couple d’une quarantaine d’années, équilibré, intelligent et cultivé, avec lequel j’avais sympathisé à La Rochelle lors d’une université d’été. Elle, psychologue clinicienne et lui, enseignant dans un lycée professionnel.
Pas un mot sur ce qui s’était passé sur la Promenade des Anglais, sinon pour déplorer que « de plus en plus de malades mentaux et de détraqués courent les rues… D’ici peu, on vivra sans doute en France les mêmes violences et tueries de masse qu’aux Etats-Unis. »
J’ai suggéré alors qu’il pouvait (peut-être) s’agir d’un attentat terroriste islamiste. Karima me répondit que c’était possible, mais que ça « ne changeait rien pour les victimes. »
Comme je m’étonnais de ce manque d’empathie, elle me répondit qu’il ne fallait pas « faire deux poids deux mesures : les vies des niçois ne sont pas plus précieuses que celles des Palestiniens, des Irakiens et des Syriens que l’armée française sacrifie tous les jours au nom de ses intérêts et de ceux d’Israël. »
Elle a du sentir que j’étais hallucinée par son propos, car elle a ajouté :
– Tu ne peux pas comprendre, Anne ; Rachid et moi, nous sommes Algériens. La colonisation, je ne l’ai pas personnellement vécue, mais j’en souffre encore dans mon âme et dans mes gènes. Certes, je suis née en France, j’ai un passeport français, je vis, je travaille en France et dans une certaine mesure, on peut dire que j’aime la France. Mais quelque chose en moi fait que je ne pourrai jamais pardonner ce que je percevais dans le regard de mes camarades de classe du XVIIème arrondissement de Paris, où j’habitais une chambre de bonne avec ma mère dans l’immeuble où elle faisait des ménages. Quand, quelques années plus tard, je sortais avec Rachid et qu’on nous refusait l’entrée d’une boîte de nuit où on n’acceptait pas les rebeus et les beurettes.
Cet argument de Karima pour tenter de justifier l’injustifiable, je l’ai fréquemment entendu. Le raisonnement doit donc faire partie – plus ou moins consciemment – de la psychologie de celles et ceux qui ne font rien pour éradiquer la gangrène mortifère qui ronge la religion « musulmane » dont ils se revendiquent.
Je me suis souvent posé la question : pourquoi les musulmans ne font-ils pas le ménage eux-mêmes ? Qu’ils éprouvent une gêne à condamner le salafisme, le wahhabisme et autres courants fondamentalistes de l’Islam en luttant au côté des « incroyants », on peut l’admettre ; mais comment comprendre qu’ils n’agissent pas de l’intérieur, au sein de leur communauté, pour annihiler ces formes de radicalisme et court-circuiter les réseaux terroristes ? Comment ne pas être sceptique, lorsque la famille, les amis, l’imam, les « muslims », les « kouffars » et le quartier tout entier a l’air de tomber des nues après un attentat ?
Traumatisé par la réaction d’une grande partie de la foule musulmane exultant spontanément au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 , Abdelwahab Meddeb, l’essayiste Tunisien, déclarait :
« Ce n’est pas à l’Europe de s’adapter à l’Islam, c’est à l’Islam de s’adapter à l’Europe, à l’Islam d’apprendre à subir la critique, même la plus offensante, sans en venir au crime de sang pour se défendre(…) C’est en Europe que le sujet d’Islam doit sentir la part manifestement obsolète de son héritage. Ici, il doit savoir que le respect de la croyance n’a pas à entraver l’expression des opinions. »
Je n’ai pas toujours été en accord avec lui sur le sujet, mais je signe ce texte des deux mains.
© Anne Mansouret
Anne Mansouret est une femme politique française, ancienne membre du Parti socialiste et du MRG.
