Les bras m’en tombent. Vendredi 14 Octobre.
La pluie d’octobre sur Paris et les arbres qui miaulent. Le métro a des “problèmes d’exploitation”, traduisez “on va être à la bourre, vous allez être pressurés dans la rame, vous ne sentirez pas bon, vous allez rater votre rencard”. On trempe sur le trottoir, on sèche en sous-sol. La RATP fournit les épingles à linge. Passent des trains, avec des usagers étendus sur des fils, qui se ballotent gentiment sans perdre des yeux leur smartphone où une influenceuse de 20 ans vante les mérites de l’inhalation au fumet de génisse pour éradiquer les fistules anales. Métro, couloirs et tous ces gens, vautrés en eux-mêmes, on circule sans savoir. Je suis optimiste et je crois aux miracles spatio-temporels. Je me dis, en rejoignant ma ligne dont j’ai oublié la couleur, le numéro et la direction, que je suis protégé le temps de l’incident d’exploitation, quelques -heures avec du pot -d’une attaque Poutinique sur Paris.
Ce genre de parano dans des lieux chargés de sens. Quand je suis dans le ferry je me vois dans un combat de coursives, alors qu’un virus de type yhzm rend la moitié des passagers cannibales. Je me vois jamais en cannibale, qu’éprouve le tueur d’autrui quand il se taille un tournedos dans la cuisse de la voisine ? Dans le TGV j’ai peur des contrôleurs et que ma carte d’ancien combattant ne soit plus valide. Les types m’emmèneraient dans un wagon d’interrogatoire, plombé, où l’on ne vous entend pas hurler et on me passerait à la question. « Avoue que tu es à la tête d’un traffic de fausses cartes de réduction lgbtqia+ ou alors on te refait le portrait en Hanouna. J’avoue monsieur, j’avoue ». En voiture je subodore que sur le siège arrière un succube en veut à mon fondement.
Il n’y a pas eu de missile sur Paris quand j’émerge du métro, Place Monge. Il fait rien qu’à pleuvoir, je vais voir mes amis d’enfance on va déjeuner Viet. Il n’y pas d’anthropophages, pas de contrôleurs du FSB, aucun succube à l’horizon. Peut-être que c’est pire tout le poids de cette normalité. Les copains rient du même rire qu’en 5ème, lycée de Gonesse. On accumule les sottises, on a bu le vin de la jeunesse, on rajoute une couche de Pinot noir. On a le droit d’être infâmes et excentriques : Yvan a filmé pour Associated Press tous les conflits de la terre il a vu, en quarante ans, plus de charniers que de bordels, Claude a écrit des tas de romans pour enfants qui ont osé grandir, j’ai été critique de cinéma et j’ai suscité des vocations, c’est dire si on a vu le mal en ce bas-monde. On ricane du chaos, on est plus crédules en rien, c’était aussi pire avant.
C’est la tragédie du mâle blanc vieillissant, hétéronormé, qui laisse galamment passer les femmes au portillon automatique, au cas où il se rabattrait violemment, on est des salauds de boomers et on s’en branle le homard, si j’ose maltraiter ainsi un animal par spécisme névrotique. Le monde nous fait rire, avouez qu’il est risible. Il pleut toujours, le marronnier dégoute et ça dégoute du marronnier. Chacun part vaquer loin de la Place Monge, avec une alcaline tristesse qui nous coule dans la trachée. Yvan part au Vietnam, je vais bientôt à Montréal et Claude va acheter des vermicelles chinois dans le 13 ème. On a encore des Amériques à découvrir.
© Denis Parent
La Chronique de Denis Parent “Les bras m’en tombent”, que tous ses lecteurs assimilent à ses humeurs, est née il y a trente ans dans “Studio Magazine”, où l’auteur nous entretenait de cinéma.
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