Tribune Juive

Discours de Mickaëlle Paty à la Sorbonne : « Non, Samuel n’est pas responsable de sa propre mort »

« Enseigner, c’est expliquer et non se taire » : à la Sorbonne, le puissant discours de la sœur de Samuel Paty

Samuel Paty a été assassiné le 13 octobre 2020. Un square porte désormais son nom près de la Sorbonne, à Paris © AFP – GEOFFROY VAN DER HASSELT
Hier, 15 octobre 2022, a eu lieu la remise du prix Samuel Paty, organisé par l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG) à La Sorbonne. Là où il lui avait été rendu un hommage national il y a deux ans.
Francois Mori / POOL / AFP

Un hommage s’est tenu ce samedi à la Sorbonne en mémoire de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie assassiné le 16 octobre 2020 par un terroriste islamiste à Conflans-Sainte-Honorine. Sa plus jeune soeur , Mickaëlle Paty, dont le discours était très attendu, a pris pour la première fois la parole publiquement.

Mickaëlle Paty parlera 13 minutes durant devant les élèves des trois classes lauréates et leurs professeurs, ses parents, assis au premier rang, mouchoir à la main, le ministre de l’Éducation, et la rédaction endeuillée de Charlie Hebdo, l’historien Patrick Weil, les philosophes Catherine Kintzler et Henri Peña-Ruiz, tous réunis dans l’amphithéâtre Richelieu.

« Je dédie ce discours à toutes les personnes mortes, blessées, torturées, incarcérées dans le monde, pour avoir osé s’exprimer. Je le fais pour faire comprendre qu’on ne met pas un « oui, mais » après le mot décapitation. En France, on met un point. […] Enseigner, c’est expliquer, et non se taire. […] En attendant le devoir de vérité, je vais donc ici reprendre son cours pour assurer un dernier devoir, celui de lui rendre son honneur.

‘La liberté de la presse’ et ‘situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie’ sont les deux cours que mon frère a présenté à ses classes de 4e suite à l’attentat de Charlie Hebdo. Dans le premier, le professeur d’histoire-géo évoque la liberté d’expression et les menaces qui pèsent sur elle et rappelle que toutes les libertés sont des conquêtes. Lors du second cours, « trois caricatures représentant le prophète Mahomet sont montrées quelques secondes. Elles sont issues du réseau Canopée de l’éducation nationale. Dans ce cadre-là, il interroge sa classe : faut-il ne pas publier ces caricatures pour éviter la violence ? Ou faut-il publier ces caricatures pour faire vivre la liberté ?

Samuel a proposé – et non imposé – aux élèves qui auraient eu peur d’être choqués de ne pas regarder ou de sortir. C’est un acte de prévenance, envers un public encore jeune. Il leur a ainsi laissé le choix.

Alors non, Samuel Paty n’est pas responsable de sa propre mort.

Il n’a pas fait pas l’éloge de la caricature, mais a défendu la liberté d’en dessiner une. Les caricatures peuvent choquer, mais ne sont pas faites pour tuer. Samuel apprenait à ses élèves à se confronter à ce qui peut déplaire, tout en les laissant exprimer leur désaccord. Il a opposé le langage à la violence.

Est-ce que cela n’est pas problématique de dire qu’il a froissé les élèves ? 

Et comment accepter qu’on ait pu demander à son frère de s’excuser ?

« Non, Samuel Paty n’est pas responsable de sa propre mort »

Invitant les adeptes du “oui mais” et inverseurs de culpabilité à prendre lecture de la note du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation du 27 août dernier , elle rappelle que les trois pages pointent une recrudescence, sur les réseaux sociaux, de messages encourageant à porter des tenues religieuses ou à faire sa prière dans l’enceinte scolaire.

« Sommes-nous toujours libres de nous exprimer ? […] Vous, élèves et professeurs, montrez-nous, démontrez-nous qu’on peut encore répondre à cette question par un oui, pour la dernière fois. 

Tant que rien ne change, c’est que rien n’est fait. »


En mémoire de Samuel Paty   De nombreuses initiatives lui rendent hommage. Les Presses Universitaires de Lyon ont édité son mémoire de recherche, qui porte sur la couleur noire. L’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG) a fondé de son côté le Prix Samuel Paty. Le Prix de l’initiative laïque a été attribué à l’exposition « Touche pas à mon Professeur ». https://blogs.mediapart.fr/edition/laicite/article/111022/en-memoire-de-samuel-paty


Le 6 avril 2022, Mickaëlle et une partie de sa famille portaient plainte contre l’Etat pour « non-assistance à personne en péril ». Les juges d’instruction antiterroristes viennent de clôturer leurs investigations.


Sarah Cattan

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