
C’est du théâtre ! Du vrai théâtre, pas la mise en scène désespérée du loser Poutine, mais le grand théâtre du réel. Côté rue, sur le terrain, des corps inertes posés en génuflexion aux pieds des idoles impuissantes, ces blindés russes calcinés, badigeonnés d’un Z pour fin de parcours, Z pour zilch (que dalle), Z pour dernière cartouche. Côté cour, des chandeliers magnifiques au filigrane doré surplombent une salle inerte. Le discours du dictateur égaré dégouline comme un mince filet d’eau rouillée, vomi par un tuyau encrassé, charriant des morceaux de récriminations ramassés dans la cybercontestation occidentale, de droite à gauche, de gauche à droite. Fouillant dans les poubelles de l’Histoire contemporaine, Poutine ramasse en vrac les péchés de l’Occident, colonialisme, wokisme, Hiroshima & Nagasaki, génocide des indigènes, goût du lucre, convoitise, cœur de pierre ; tout le mal que nous disons de nous-mêmes dans nos sociétés de liberté sont inscrits à charge par le grand justicier, incarnation de la grande civilisation de la grande nation russe.
Les referendums, aussi, bons pour la poubelle, des feuilles de papier roulées en boule au nom de l’Article I de la Charte des Nations Unies, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est notre peuple, victime de la Russophobie, qui se dresse, s’exprime et se rattache à la mère patrie, renversant l’amputation, entière enfin. Des propos désarticulés, un triomphalisme du dernier souffle, livrés à une nomenklatura de morts vivants. Ceux qui ne luttent pas contre le sommeil visent avec des yeux de poisson frit le petit orateur minable. À intervalles réguliers ils applaudissent du bout des doigts, mollement. Ils connaissent la musique. Referendum, annexion, mobilisation, un pays qui fuit de toutes parts, les forces vives qui se sauvent, les soldats qui s’enfoncent dans une mort disgracieuse et, à l’extérieur, devant la basilique fantastique de la Place Rouge, un bout du peuple contraint ou sincèrement convaincu crie à tue-tête, gigote, titille les airs avec des drapeaux mensongers.
Ouhlala maintenant le Donbass c’est la Russie, toucher à un cheveu sur sa tête vaudrait menace existentielle pour la Fédération russe, d’où donc le nucléaire, tactique, un petit bout de radiation arrosant sans discrimination Russes et Ukrainiens sur des centaines de kilomètres à la ronde, ou bien on passe directement au stratégique, La Bombe, maintes fois promise et enfin lancée, à faire trembler les rédactions, nourries de quelques intervenants secoués : ne faudrait-il pas négocier ? Le risque n’est-il pas trop important ? Acculé, le dos au mur, qui sait ce qu’il fera ? Les boues automnales se remuent sous les pieds au moment où on parle, ils seront tous embourbés et les Russes, derrière les lignes figées, auront le temps de se refaire une santé. Les renforts qui arrivent en ordre dispersé, sans formation et sans matériel mais tellement nombreux, formeront un mur de chair.
On les dit encerclés à Lyman mais qui sait ?
Qui a percé Nordstream ? Les Russes ? Pour quoi faire ? Les eaux maritimes avalées goulument par le pipeline infligeront une corrosion irréparable. Est-ce pour faire trembler nos cordes vocales, enfuies, elles aussi, dans les profondeurs marines ? Le sabotage de Nordstream comme coup de semonce ? Le prix élevé du gaz n’est rien comparé à la menace de trancher la jugulaire nos communications. Egorgées ! Egorgées par la sainte union des dictatures russes et islamistes.
Lyman tombe. C’est comme si l’un de ces magnifiques chandeliers était tombé sur l’assistance abasourdie du discours triomphaliste en trompe l’œil de Poutine. Lyman, un nœud ferroviaire et routier, le chemin du ravitaillement des troupes russes du Donbass fraîchement annexé, la porte ouverte vers Donetsk, Lyman est tombée. Débandade russe. Les soldats prennent leurs jambes à leur cou et foutent le camp, laissant derrière eux leur matériel, par ailleurs en retard d’une ou de plusieurs guerres.
C’est du théâtre : referendum, annexion, mobilisation, sabotage du pipeline, discours triomphaliste, chute du nœud qui fermait le Donbass comme un énorme sac poubelle. La salle du Kremlin aux murs tout de blanc vêtus, les chandeliers dorés aux ailes déployées, l’élite catastrophée, le peuple entraîné dans une danse macabre, les propos de Poutine cueillis à droite et à gauche—« parent 1 parent 2 parent 3 et quoi encore »—la peur des uns et le courage des autres. Et si c’était la fin du monde ?
Et alors ? On l’aurait évité en cédant aux exigences du tyran ? La solution à deux Etats. L’un à manger de suite et l’autre à emporter ? Le wannabe président-à-vie à la tignasse jaune et à la peau orange se dépasse en bêtise : « Woah, bas les pattes, ça commence à frôler la troisième guerre mondiale. Si j’avais été là, ils n’auraient jamais osé. Tout était calme. On nous respectait. Ce qu’il faut à présent, c’est la négociation. Les deux parties le veulent. Je serai pas mal comme intermédiaire ». Sourire jaune et orange.
Quoi qu’on en pense
On parle beaucoup de la folie de Poutine. S’agit-il d’une pathologie psychiatrique ou bien d’un dérangement politique ? On pose des questions à ceux qui l’ont fréquenté de près ou de loin. De quoi est-il capable ? Transi de peur on se demande si, en fin de compte, un seul homme pourrait détruire la vie sur notre planète. M’enfin, non. Les Etats-Unis, en solo ou avec l’OTAN, ne répondraient pas du tac au tac. Avec des moyens classiques ils mettraient fin à la guerre, à l’occupation de l’Ukraine, au régime de Poutine.
Qu’en est-il de notre état psychologique, de notre santé politique ? Ni les institutions internationales ni la force militaire ni les traités de non-prolifération ni le JCPOA n’ont fourni les moyens d’empêcher un tyran de déclencher un jour un cataclysme nucléaire. Inutile donc de chercher la remède dans le passé. Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’on pense ?
Certains pensent qu’il faudrait offrir à l’ours enragé un gros morceau de chair sanguinolente pour le calmer, sinon il va nous tuer tous. D’autres, plus sophistiqués, confectionnent des tableaux élégants de rencontres au sommet réunissant des hommes raisonnables qui ont tiré les bonnes leçons de l’Histoire. Il faut négocier. Ça finit toujours par des négociations. Comment plaquer ce monde imaginaire sur la réalité brûlante ?
Face à la tyrannie il n’y a que le courage absolu. A présent, nos démocraties font preuve d’une détermination inédite. Le cœur des nations bat avec les Ukrainiens qui se battent contre l’envahisseur cruel, les alliés fournissent des armes, l’Axe est gêné par les folies du dictateur russe.
Souvenons-nous de l’invasion du Koweït par Saddam Hussein. Puisqu’il est mort enfin dans son trou à rats, on a tendance à oublier ses grandes ambitions : saisir la richesse pétrolière du Koweït et poursuivre son chemin de conquérant jusqu’à l’Arabie saoudite, jusqu’à la Mecque, jusqu’à la libération de la Palestine. Dans un premier temps les démocraties se sont mobilisées pour faire reculer le tyran irakien et imposer des sanctions, sans pour autant freiner ses ambitions. C’est cet échec qui a justifié l’opération militaire lancée par la coalition en 2003, refusée par la France qui en tire des titres de gloire.
Sans jouer à refaire le monde à reculons, on peut se demander d’où vient la notion qu’il faut toujours laisser un petit quelque chose à un tyran vaincu ? La Crimée, par exemple. « S’ils essaient de récupérer la Crimée on va droit dans le mur !» [Luc Ferry]. C’est l’idée que L’Ukraine, toute vaillante qu’elle soit, ne devrait pas songer à récupérer la Crimée et il ne faudrait pas encourager ce jusqu’auboutisme. Qui est raisonnable ? La ligne rouge tirée au-dessus de la Crimée par Poutine se déplace, en réalité, pour couvrir l’Ukraine toute entière. L’intention est de détruire la souveraineté ukrainienne ou, faute de quoi, de détruire le pays et sa population.
Ce qui nous ramène au soi-disant conflit israélo-palestinien. On nous demande, depuis plus de 70 ans, de faire abstraction des actions menées collectivement et individuellement par ou pour les Palestiniens et de satisfaire leur « demande légitime de souveraineté ». Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, dirait Poutine. Or, le mouvement palestinien met toutes ses énergies dans la destruction de la souveraineté israélienne ou, mieux, son extermination. Mais l’opinion internationale, les commentateurs et les analystes, les démocraties mêmes n’arrivent pas à reconnaitre l’impossibilité de partager son intimité avec une force vouée à vous exterminer. La solution à deux Etats. Jérusalem. Le Mont du Temple. Hébron. Judée-Samarie. La Crimée.
Point de bascule
On tâtonne dans le noir à la recherche du point de bascule. L’Iran. L’esthétique de l’immense fragilité et de la force indomptable de la femme. Battue à mort pour une mèche de cheveux qui dépasse, debout contre la sharia tyrannique jour et nuit, semaine après semaine et qui oserait leur dire de freiner leur exigence de liberté ? Il n’y a rien à négocier. Et personne de bonne foi en face. Quel soulagement pour le globe terrestre si ces deux élans de courage, l’iranien, l’ukrainien, pouvaient faire basculer des dictatures aux armatures monstrueuses dopées au nucléaire ! Après tant de fausses pistes, en trouver la bonne.
J’aperçois un coin de ciel bleu et je suis aussitôt inondée d’espoir d’une nouvelle ère pour mes générations. On pourrait retourner ces conflits éclatés à nos dépens et, inspiré par la défense héroïque de la liberté, composer un récit digne au lieu de trainer un discours lourd comme le chariot de supermarché des sans domicile et sans avenir.
Nous sommes dotés d’une puissance d’amélioration sans limite. C’est cette capacité d’aller vers le bien qui nous donne la force et, parfois, des victoires dans une histoire sans fin de résistance contre la tyrannie.
© Nidra Poller
© Nidra Poller
Nidra Poller, née aux Etats-Unis dans une famille d’origine mitteleuropéenne et posée à Paris depuis 1972, est une romancière devenue journaliste, le 30 septembre 2000, par la force des choses, dit-elle, par l’irruption brutale, dans mon pays d’adoption, d’un antisémitisme génocidaire, Nidra Poller est connue depuis comme journaliste, publiée entre autres dans Commentary, National Review Online, NY Sun, Controverses, Times of Israel, Wall Street Journal Europe, Jerusalem Post, Makor Rishon , Causeur, Tribune Juive, Pardès …
Elle rédigea longtemps le vendredi une Revue de la Presse anglophone pour la newsletter d’ELNET.
Elle est l’auteur d’une œuvre élaborée en anglais, en français, en fiction et en géopolitique, dont L’Aube obscure du 21e siècle (chronique), madonna madonna (roman), So Courage & Gypsy Motion (novel)
J’assume la contradiction, ajoute Nidra, me disant romancière mais pas auteure.
Observatrice des faits de société et des événements politiques, elle s’intéresse particulièrement aux conséquences du conflit israélo-palestinien et aux nouvelles menaces d’antisémitisme en France. Elle fait partie des détracteurs de Charles Enderlin et France 2 dans la controverse sur l’Affaire Mohammed al-Durah et soutient la théorie d’Eurabia (en particulier avec Richard Landes).
Elle a fondé les Éditions Ouskokata.