On ne peut qu’espérer qu’elle n’a pas été récompensée pour « l’ensemble de son oeuvre ».


Extrait
« On ne parvenait pas à sortir de la sidération, on en jouissait via les portables avec le maximum de gens. [..] On se rebiffait contre la déclaration du Monde, « Nous sommes tous américains ». […] Quelques individus fanatisés venus de pays obscurantistes, juste armés de cutter, avaient rasé en moins de deux heures les symboles de la puissance américaine. Le prodige de l’exploit émerveillait. […] On se souvenait d’un autre 11 septembre et de l’assassinat d’Allende. Quelque chose se payait ».
Les années. Annie Ernaux. 2008.
« Quand je lis de la littérature, je ne demande à personne ses papiers d’identité », écrit dans Causeur Jérôme Leroy dans un vibrant « Pour AnnieErnaux, Ecrivain français ».
Et celui-là de rétorquer: Quand les lycéens qui devront se la farcir d’office apprendront que les attentats du 11 septembre étaient une bonne punition pour les USA …
Alors Lecteurs, Finissons-en avec cet extrait et laissons le même Jérôme Leroy, évoquant « le génie » de l’écrivain, conclut: Une phrase comme celle-ci, dans Mémoire de fille, n’en finit pas de me toucher : “Un été immense comme ils le sont tous jusqu’à vingt cinq ans, avant de se raccourcir en petits étés de plus en plus rapides dont la mémoire brouille l’ordre, ne laissant subsister que les étés spectaculaires de sécheresse et de canicule.”
Ce qu’en disait Frédéric Beigbeder en 2017:
« Annie Ernaux, l’écrivain officiel »
« Il semble que la célébration de Mme Ernaux soit devenue obligatoire en France. Son dernier livre, Mémoire de fille, est unanimement salué par une critique béate. Le public suit. Les éditions Gallimard ont rassemblé son œuvre en un gros volume sous le titre: Ecrire la vie. La Pléiade est pour bientôt, le Nobel imminent, l’Académie s’impatiente, et ma fille l’étudie au lycée. Une suggestion à François Hollande: ouvrir le Panthéon aux vivants, spécialement pour Mme Ernaux. Seul Maxime Gorki a connu une gloire comparable, dans l’URSS des années 30. Il est permis de se méfier d’une telle sanctification collective.
Récapitulons: en un demi-siècle, Annie Ernaux a successivement écrit sur son père, sa mère, son amant, son avortement, la maladie de sa mère, son deuil, son hypermarché. Cette fois c’est sur son dépucelage raté durant l’été 1958, en colonie de vacances, quand elle s’appelait Annie Duchesne.
L’événement est raconté à cinquante ans de distance avec un sérieux inouï. Ce qui est étonnant avec Mme Ernaux, c’est à quel point ses livres, qui ne cessent de revenir sur ses origines modestes, ne le sont pas. C’est l’histoire d’un écrivain qui s’est installé au sommet de la société en passant sa vie à ressasser son injustice sociale. Ce dolorisme des origines révèle en réalité une misère de l’embourgeoisement. C’est comme si elle refusait d’admettre qu’elle s’en est très bien sortie ; 2016 n’effacera jamais 1958.
Mme Ernaux invente la plainte qui frime, la lamentation sûre d’elle. C’est regrettable, car il y a des bribes à sauver dans ce galimatias autosatisfait: «C’était un été sans particularité météorologique» sonne très modianesque ; et cet autoportrait «au total une jolie fille mal coiffée» évoque Sagan. Mais Sagan n’aurait jamais ajouté: «Je la sais dans la solitude intrépide de son intelligence.» A chaque fois que Mme Ernaux trouve quelque chose de beau, elle le gâte par une explication de texte laborieuse.
Autre exemple: «Elle attend de vivre une histoire d’amour» est une phrase charmante, qui contient tout, y compris la déception à venir. Pourquoi ajouter: «il faut continuer, définir le terrain – social, familial et sexuel» comme si l’on devait se farcir un commentaire composé du bac français?
A force d’être statufiée, Annie Ernaux prend son lecteur pour un abruti. Elle annihile son talent en le noyant sous sa propre exégèse fascinée. On regrette l’écrivain qu’elle a failli être, le livre qu’elle a failli écrire, la légèreté qu’elle se refuse depuis cet été 1958″.
Mémoire de fille. Annie Ernaux. Gallimard
Sarah Cattan