Philippe Bilger. Pierre Nora contre la repentance…

Il y a des bonheurs intellectuels absolus.

Quand l’intelligence du propos s’allie au souci de la vérité. Lorsque le langage suit la pensée mais ne la précède pas pour provoquer. Si la personnalité qui s’exprime contraint à l’approbation même les plus rétifs, et à cet enthousiasme qu’engendre la certitude d’avoir un porte-voix plus doué que soi.

Pierre Nora ne m’a jamais fait défaut si j’ose dire.

Dans un entretien récent, questionné par Jacques de Saint-Victor pour Le Figaro, il se montre au meilleur et ce qu’il dit de son dernier livre, « Une étrange obstination », me confirme dans mon intention, toutes affaires cessantes, de m’y plonger. Ce « marginal central », s’attachant à la production intellectuelle des années 1970-1990, évoque les oeuvres et les personnalités notamment de Le Goff, de Foucault, de Furet et de Aron. 

Les pépites sont multiples mais pour ma part je voudrais mettre l’accent sur deux idées forces.

La première est cette affirmation de Pierre Nora : l’affaissement culturel favorise l’extrémisme.

C’est une évidence mais dont la réalité crée infiniment plus de dégâts que les outrances des extrémismes. Les effets délétères de cet « affaissement culturel » se font sentir partout, dans tous les domaines où, d’une manière ou d’une autre, la pensée et le langage exigeraient une forme d’excellence. La politique est touchée comme le monde médiatique.

La culture qui fait défaut ne renvoie pas seulement à une insuffisance intrinsèque qui appauvrit et réduit les personnalités mais par contagion affecte des activités fondamentales qui, sans elle, ne disposent que de la technique pour briller. Ce qui est peu. Par exemple, tout démontre qu’on ne devient un grand magistrat que si la culture, les humanités, l’humanisme – c’est une association, un bloc – irriguent ce que le droit et la pratique professionnelle lui ont apporté.

La seconde lumière dont Pierre Nora nous gratifie tient à son point de vue décisif sur la mémoire, les mémoires, alors que « des lois mémorielles ont été votées avec des conséquences dramatiques pour l’Histoire ». Lui qui a écrit un livre qui a fait date, « Les Lieux de mémoire », explique bien la différence radicale entre sa démarche et celle qui fait de la repentance et de la contrition systématiques une aberration, une faute grave.

Pour lui, il s’agissait, « avec une dimension profondément libératrice et émancipatrice », de permettre à ceux qui n’avaient pas eu droit à « la grande histoire » de se réapproprier leur destin, non pas pour les séparer mais pour les réunir. Ainsi pour les paysans, les ouvriers, les femmes et les Juifs. Les décolonisés sont entrés dans ce processus mais sur un mode pervers.

Il faut tout citer tant c’est pertinent.

« À l’époque il s’agissait de mémoires « modestes » qui ne demandaient qu’à être inscrites au registre de la grande histoire nationale. Aujourd’hui nous avons affaire à des mémoires immodestes et réduites à des groupes qui entendent imposer leur version particulière à l’Histoire. Nous subissons désormais une tyrannie de la mémoire ».

Au lieu d’être consacrée, l’Histoire est démembrée, dépecée.

J’aime pouvoir en confiance m’abriter sous l’aile de rares personnalités qui vous expriment mieux que vous-même.

Pierre Nora en est une, emblématique.

© Philippe Bilger

Président de l’Institut de la parole, aujourd’hui magistrat honoraire, j’ai exercé pendant plus de vingt ans la fonction d’avocat général à la cour d’assises de Paris. J’ai été amené à requérir dans un certain nombre d’affaires dont quelques-unes ont eu un fort retentissement médiatique : Christian Didier – l’assassin de Bousquet -, Philippe Naigeon, Bob Denard, Emile Louis, Maxime Brunerie, Michaël Freminet (victime : Brahim Bouarram), François Besse, Hélène Castel…

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A travers ce blog, je souhaite engager le dialogue avec mes concitoyens sur les problèmes de justice et de société.

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