Ces femmes qu’on achève
Je ne suis pas femme à m’exprimer sans nécessité ; je ne sors du silence que lorsqu’il est question de survie face auxpuissances destructrices contre lesquelles j’avais eu à me battre, comme tant d’autres femmes nées sous le ciel d’Allah.
De jeunes femmes ici et là dansent et jettent leur voile au feu en signe d’indignation et au péril de leur vie ; la dernière tombéesous le coup de la charia et aux cris d’Allah Akbar s’appelait Mahsa Amini.
En Iran et ailleurs, les femmes musulmanes se lèvent et essayent de déchirer la toile du silence qui les enserre , tandis que celles qui ont la chance de vivre en sécurité, protégées par les lumières de l’occident, arborent avec impudeur le voile, cet étendard identitaire qui ne dit pas son nom, triste retournement en son contraire !
Je m’indigne ici en tant que femme, en tant que féministe abreuvée d’universalisme, Où sont donc passées les féministes ? Que ne s’indignent-elles pas contre le sort fait à leurs sœurs d’Orient ? Pourquoi ce silence assourdissant ?
Mahsa a été assassinée pour la raison dérisoire d’avoir mal ajusté son voile, elle a été assassinée pour avoir quelque peu enfreint la loi islamique, tout comme a été assassinée Sarah Halimi à raison de son être femme et juive. Ce parallèle entre ces deux assassinats n’est ni aléatoire ni fortuit, le mobile du crime a été dans les deux cas inspirés par un dire sacré, niché manifestement dans les interstices du Texte.
L’islam que l’on dit radical et que je nomme l’Islam de tradition a une angoisse fondamentale : la femme.
La féminité sous les auspices d’Allah est aussi abhorrée qu’idolâtrée, à l’instar d’un tartuffe qui s’écriait en se tordant dejouissance « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupablespensées »
Finalement, tout a été déjà dit. En 1669, Molière fustigeait déjà l’hypocrisie des dévots qui refusaient, conformément aux recommandations des textes religieux, de regarder en face l’objet du désir, mais nous sommes en 2022, le temps n’a-t-il donc aucun effet sur le texte coranique ? On persiste à considérer les femmes comme des tentatrices licencieuses qu’il convient au mieux de cacher, au pire d’abattre sous prétexte qu’elles éloigneraient les croyants de leur passion pour la mort et l’éternité, parle fait même « d’Être ». Les femmes auraient donc le pouvoir non seulement de les détourner de la promesse d’un paradis luxuriant, mais peuvent, en devenant sujets, faire vaciller la oumma ( la nation des croyants musulmans), laquelle est assujettie en effet à la multiplication des mouminine (les croyants).
Sans la Oum (la mère), point de Oumma. C’est pour cette raison que les mâles s’accordent, pour les besoins de cette Oumma, à maintenir la femme sous le joug de la loi islamique en faisant d’elle avant tout la matrice indispensable à lasurvie des « soumis ».
Évidemment, la femme doit rester inférieure et mineure quant au droit. La femme devient dans cette logique expansionniste la cheville ouvrière de la Oumma El Islamiya, et sa révolte, ainsi que le dévoilement de son corps, une mutinerie grave qui risquerait de mettre en péril tout l’édifice islamique. Ainsi, il faut achever sans vergogne toutes celles qui peuvent, par une infime rébellion, faire voler en éclats cet édifice bien rodé.
Revenons à Mahsa, quel forfait a-t-elle donc commis pour mériter une telle lapidation, une telle barbarie ?
De quoi, de qui, son meurtre est-il le nom ? Quel sens se cacherait derrière ce voile mal ajusté ? Et pourquoi est-ce sidangereux de montrer ses atours féminins, de laisser libre cours à cette chevelure
ébène que l’on veut à tout prix occulter ? Pourquoi se méfie-t-on du désir que tout cela risque de susciter ? Un désir vivant,incarné dans le corps même que l’on veut effacer. Celui d’une femme devenue soudain sheitan, une pécheresse qu’il fautsans cesse réprimer.
Le corps de la femme ainsi que celui de l’homme doit être au seul service de dieu et de sa tradition ; le plaisir est pour plus tard, les vierges, ces femmes inentamées et intactes sauront récompenser à temps ceux qui ont su s’abstenir. Céder aux enchantements des corps ici-bas fait courir le risque de manquer l’éternité, une éternité saturée de corps disponibles jusqu’à plus soif à seule condition d’être mort. La concupiscence et la luxure s’obtiendront à condition que l’on s’abstienne sur terre, que l’on bannisse latentation que représente la femme. Mais étant donné que le désir s’accentue avec le refus, la femme devient l’objet d’une obsession mortifère, car interdite. Seules les femmes hallal, c’est-à-dire les épouses, sont permises. Toutes les autres doivent inéluctablement osciller, sans concession aucune, entre la mère et la putain.
Le corps découvert et dénudé de la femme devient le talon d’Achille du croyant.
Ce corps féminin le fragilise et l’empêche de hâter la mort qui le conduira au jardin d’Eden, la seule destination à laquelle ilaspire et qui le soutient pour supporter la vie qui est la sienne.
La femme, elle, retarde sa quête, elle porte la vie, elle est la vie. L’Islamiste lui préfère la mort. Comment faire alors ? Comment sortir de cette impasse, car la femme honnie est tout autant essentielle à la multiplication des croyants.
L’égalité entre les sexes en Islam est une supercherie ; la femme doit rester une subordonnée car reposent sur elle toutes les velléités sociopolitiques d’une oumma dont le seul projet est d’islamiser le monde.
Partant de là, toute insubordination venant des femmes doit être assourdie, il en va de la pérennité du projet, lapider, tuer, achever celles qui s’aventurent sur le chemin de la libération. En effet, elles représenteraient un danger létal pour l’existencemême de la programmatique islamiste.
Je reste persuadée que l’accès à la modernité dans l’islam ne peut se faire que par les femmes , c’est à elles d’arracher ce voile cousu à même la peau , leur libération serait la seule possibilité pour cette religion de sortir du Moyen Âge.
Ceci étant posé, force est de constater que les cris de ces femmes ne parviennent pas jusqu’à nous. L’Occident s’émeut ici et là lorsqu’on tue une femme pour désobéissance au Texte , mais on continue au nom d’une peur ou d’une ancienne culpabilité à nous faire croire que l’Islam est Amour et tolérance et qu’il s’agit simplement d’un accident de parcours . Nous continuons donc à vivredans une sorte de « Je n’en veux rien savoir » pour ne pas regarder la vérité en face, pour ne pas faire de lien entre l’Islam et lemeurtre de ces femmes. C’est toujours et encore le forfait d’un fou, d’un paria ou d’une dictature.
Jusqu’à quand continuerons-nous à supprimer cette liberté de dire ce qu’il en est vraiment ? Le danger en France n’estpas son islamisation, mais la ruine annoncée de sa loi laïque.
Le renoncement à notre liberté et notre hypocrisie accommodante sont les seuls vrais dangers pour notre civilisationoccidentale.
Mahsa est morte sous les coups dictés par un texte que l’on refuse d’expliciter pour ne pas avoir à le moderniser, son dévoilement lui a coûté la vie et a dévoilé dans un même élan notre abdication.
© Sonya Zadig
Faisant suite à Soumise, Sonya Zadig revient dans À corps perdu sur sa petite enfance, une enfance dans laquelle tout semble s’être cristallisé, le discours de ce que doit être une femme en terre d’islam s’est hélasfait chair car malgré son désir inouï de liberté et d’aIranchissement, son corps a longtemps gardé l’empreinte vivace de la soumission.
Comment dès lors se faire un corps, devenir l’auteur de sa vie lorsqu’on fait partie d’un grand corps quivous englobe en vous désaccordant ?
Sonya Zadig se risque dans ce livre à démêler un par un les fils qui l’ont durablement ligotée, celui d’un discours originaire hostile à toute tentative d’accéder à la modernité.
Sonya Zadig est psychologue clinicienne psychanalyste, linguiste et écrivain. Exilée de son pays natal depuis de nombreusesdécennies, fidèle héritière de Simone de Beauvoir et d’Elisabeth Badinter, elle s’est toujours réclamée du féminisme universaliste. Elle est aujourd’hui engagée dans la lutte contre les dissensions communautaristes et se bat avec acharnement pour le respect de la laïcité à la française, seule garante pour elle d’un possible bien vivre ensemble.
© Sonya Zadig
Sonya Zadig est psychologue clinicienne-psychanalyste, linguiste et écrivain. Exilée de son pays natal depuis de nombreuses décennies, fidèle héritière de Simone de Beauvoir et d’Elisabeth Badinter, elle s’est toujours réclamée du féminisme universaliste . Elle est aujourd’hui engagée dans la lutte contre les dissensions communautaristes et se bat avec acharnementpour le respect de la laïcité à la française, seule garante pour elle d’un possible bien vivre ensemble.
Dans son tout dernier livre, A corps perdu, paru chez l’Harmattan, elle revient sur sa petite enfance, une enfance dans laquelle tout semble s’être cristallisé. Et malgré son désir inouï de liberté et d’affranchissement, son corps a longtemps gardé l’empreinte vivace de la soumission. Comment dès lors se faire un corps, devenir l’auteur de sa vie lorsqu’on a fait partie d’un grand corps qui vous englobe tout en vous désaccordant ?
Sonya Zadig se risque dans ce livre à démêler un par un les fils qui l’ont durablement ligoté, celui d’un discours originairehostile à toute tentative d’accéder à la modernité.
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