Dans un discours prononcé aux Etats-Unis à l’université de Washington, Pap Ndiaye a affirmé que la France restait mal à l’aise avec le concept de «race». Pour l’universitaire Xavier-Laurent Salvador, ces propos symbolisent la pensée d’une élite qui ne croit plus au modèle républicain.
FIGAROVOX. – Le ministre de l’Éducation Nationale a affirmé, qu’en France, le concept de «race»restait très sensible. Selon lui, il est difficile «d’affronter de manière nuancée les questions ethno-raciales», en partie car les «organisations d’extrême droite sont puissantes actuellement». La notion d’«universalisme» n’est-elle pas au cœur de la tradition républicaine?
Xavier-Laurent SALVADOR. – Tout d’abord, que signifie: «la question ethno-raciale»? De quelle discipline dépend selon lui la question «ethno-raciale»? De la biologie? De l’éducation civique ou de l’histoire? De l’anglais? Ou s’agit-il pour lui en réalité de plaider pour l’introduction d’une nouvelle discipline, plus conforme au wokisme dont il devient progressivement le chantre, et qui se fixerait pour mission d’éduquer les enfants à la différence communautaire contre le droit français?
Il n’y a en réalité aucune difficulté dans les programmes à aborder, par exemple, la question de l’émergence des droits des communautés afro-américaines qui souffraient de la ségrégation aux États-Unis jusque dans les années 70: tous les outils sont là, à disposition des professeurs, qui le font avec une grande conscience.
Mais en réalité, ce que le ministre souligne, ce n’est pas «le degré de nuance d’un débat impossible» – ce serait une ineptie; non, en réalité, il déplore l’absence de la question raciale des programmes eux-mêmes comme objet d’enseignement. Il révèle à cette occasion le racisme sous-jacent à l’idée du communautarisme indigéniste. «Les organisations d’extrême-droite sont puissantes» est une belle antiphrase qui détourne l’attention: sans cela, qui ne verrait pas que l’extrême-droite est tellement puissante que le gouvernement y choisit ses ministres ?
Est-ce à dire qu’une partie des élites politiques ne croit plus au modèle républicain et y voit dorénavant une idée d’extrême droite? Quelle alternative?
Les «élites politiques» ont oublié peut-être qu’elles sont au service du peuple; c’est le sens étymologique du mot «ministre», qui dérive d’un vieux mot latin qui signifiait «servir». Pensez donc que la démocratie est tellement généreuse qu’elle offre au plus modeste de ses enfants le sentiment d’avoir un serviteur. Les ministres français – c’est «l’élite» dont vous parlez- semblent avoir oublié que le sens de leur mission n’est pas d’administrer une start-up, mais de se mettre au service d’une cause commune: la citoyenneté.
Croire au modèle républicain, pour reprendre votre expression, c’est en réalité avoir la modestie d’accepter en héritage la dignité que confère le mandat de service confié par le peuple à ses serviteurs. Et réciproquement, «ne plus croire» au modèle républicain, c’est s’affranchir de la servitude démocratique pour se hisser au rang de leader, de guide et devenir pour le peuple le pédagogue de nouvelles idéologies. C’est donc une position bien commode que celle choisie par ces élites qui arguent de leur désaffection républicaine pour s’affranchir de faire leur métier.
L’alternative n’est pas une alternative au modèle républicain, rassurez-moi? L’alternative à de telles élites, c’est le retour à la formation de personnels politiques éduqués et formés ; le retour à une diplomatie de métier dont sortent des cadres prudents ; le réinvestissement de l’école par des enseignants issus des meilleures formations, qui s’assurent d’une éducation commune et d’une instruction réussie.
Pourquoi Pap Ndiaye fait-il ce discours aux États-Unis?
La critique de la laïcité et de l’universalisme républicain, dans la bouche d’un ministre de l’Éducation nationale en représentation à l’étranger devant un public américain, est stupéfiante. La rhétorique choisie par le ministre emprunte ses éléments aux pires opposants de la République française aux États-Unis (le New York Times, le Washington Post). Il s’agit d’éléments de langage bien rodés: la France est raciste, la laïcité est raciste, les émeutes de 2005 sont la preuve du racisme systémique du pays, etc. On oublie un peu vite que pendant que les États-Unis faisaient de la
ségrégation raciale un élément constitutif de leur société, Gaston Monnerville était élu Président du Sénat.
Il ne faut donc pas lire dans les propos du ministre une quelconque critique adressée à la République: il semble ne pas la connaître. Pap Ndiaye, rappelons-le, a fait de brillantes études en France, et se posait il y a encore peu en modèle de réussite républicaine. La période de sa vie professionnelle passée aux Etats-Unis lui a vraisemblablement fait découvrir là-bas ce qu’il nomme lui-même «la question noire», et le voilà aujourd’hui convaincu qu’il faut changer en France ce qui lui a permis de réussir.
Il faut en revanche voir dans ces propos une allégeance ostentatoire, opportuniste, au modèle communautariste américain. Or, la France n’est pas un petit pays d’une lointaine province de l’Empire: il suffit de se souvenir que les citoyens français, quelle que soit leur origine – foi de Salvador – sont citoyens d’une République qui a plus d’une raison d’être fière. Cette fierté est offerte en partage à tous ceux qui le souhaitent: c’est la force et la générosité du peuple français, dans toute sa complexité.
Ce type de discours est-il inquiétant quant aux décisions que le ministre peut prendre pour l’Éducation nationale? Selon vous, la question «ethno-raciale» doit-elle être une priorité à l’école pour les années à venir?
Il y a trois jours, c’était l’éducation sexuelle; aujourd’hui: la question raciale. Gageons que demain, les choses auront encore changé… Le français et les mathématiques, hélas quant à eux, ne bénéficient pas du même enthousiasme. Il faut pourtant protéger l’enfance des influences idéologiques néfastes: c’est notre rôle d’éducateurs et d’instructeurs.
Pour ma part, je ne pense absolument pas que ni la question ethnique, ni la question raciale ne puissent jamais devenir des objets scolaires, à destination d’un public infantile. Leur mélange ne peut aboutir qu’à des concepts flous, à des approximations faisant à n’en pas douter le lit des fondamentalismes. Or, ces derniers n’attendent qu’une seule chose: faire vaciller la laïcité et la République. Dans quel but? Devenir les intermédiaires légitimes entre le pouvoir central, celui des «élites», et les communautés qu’ils estiment représenter.
Oui, ces discours sont inquiétants car ils ne reflètent pas la position isolée d’un ministre parvenu au sommet de sa gloire quand il est reçu aux États-Unis, mais le son de cloche d’un gouvernement qui a viré casaque. Tout porte à croire que ce dernier a fait le deuil, depuis l’éviction de Jean-Michel Blanquer, de la dernière conscience républicaine, laïque et morale qui leur restait.
Est-il plus triste constat pour un enseignant – comme nous le sommes tous au sein de l’Observatoire – d’imaginer le trajet d’un des enfants de la République et de son école, de son Université, l’amenant à affirmer qu’il faille enseigner aux enfants de France une histoire, une éducation à la citoyenneté, au prisme de la couleur de peau, ou de la religion? L’école est le lieu où s’écrit la civilisation de demain.
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Entretien avec Xavier-Laurent Salvador mené par Eugénie Boilait
Xavier-Laurent Salvador est agrégé de lettres modernes et maître de conférences en langue et littérature médiévales à l’université Sorbonne Paris Nord. L’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires, que codirige l’universitaire, dispose d’un site internet: decolonialisme.fr.
« Sans cela, qui ne verrait-elle pas que l’extrême droite est tellement puissante y choisit ses ministres ? »
Enfin une phrase d’un article qui dit la vérité sur ce ministre et notre pouvoir en place ! Et c’est cela _ le racisme, la haine de la République et la guerre dans le monde _ que certains nomment le camp du bien…
Je suis une Fleur du Mal.🌷💋🌷
« Sans cela, qui ne verrait pas.. »
« …Que l’extrême droite est tellement puissante que le gouvernement y choisit ses ministres ? »
Tout est dit.