Les bras m’en tombent. Mardi 20 Septembre.
Le mec qui vous parle a fait une lecture samedi dernier dans la région d’Uzès. Merci Sophie, merci Frédéric qui ont rendu la chose possible, je fais comme le chat botté devant le marquis et la princesse de Carabas, un vrai salut de mousquetaires, on voit voler les plumes. J’aime bien les lectures c’est un art vivant tout à coup, alors qu’écrire et publier c’est une pratique de congelés. Moi même je suis un auteur Findus. Dire, ça implique une vibration, un émoi, quelque chose qui est l’art du comédien mais en faisant abstraction du jeu. J’ai donc mis mon je en retrait, et pourtant dieu sait qu’il est encombrant.
Le public est sage et limite intimidé, on est face à lui et l’on pourrait penser qu’on vient les visiter, venus de nos châteaux en Espagne, c’est exactement le contraire : ce sont eux qui sont venus voir les animaux. J’ai lu le prologue de Sanguinaires, où mon petit héros parle, dans son langage d’enfant, de la visite d’un père qui vient de sécher son anniversaire, un mauvais père faut le dire. Mais un mauvais père est bien aimé par son rejeton quand il voit au travers de l’homme, ses failles, ses renoncements. Il n’y a pas plus indulgent qu’un enfant quand il ne sait pas encore où commence le monde.
Bref, comme à chaque fois que je lis ce passage , annonciateur de la suite, ma voix faseille, on dirait un poivrot qui va se répandre et pleurer sur son funeste destin. Je m’émeus tout seul, c’est plus fort que moi, parce que j’ai écrit le livre pour Lulu-la-truffe quand il avait une dizaine d’années et tout me revient. L’enfant, l’odeur de l’enfant, la peau de satin de l’enfant, mon bureau de l’époque, ma tête de bouddha en obsidienne qui me suit partout (je l’appelle Mekroud qui est une pâtisserie orientale), ce crétin de Rodolphe qui venait déjà hanter mon balcon, comme s’il allait écrire un jour, et ce moment de juillet où j’ai commencé à écrire le livre.
Le livre que j’ai écrit n’est pas celui que vous lisez
Je parle parfois de ça à mes lecteurs. Les livres quand ils me reviennent dans le nez (je ne les relis jamais, sauf quand on m’affirme que j’y ai occis quelqu’un, ce que j’ai oublié) sont comme des cartes postales envoyées du passé. Souvent je sais où et quand j’ai écrit tel passage, et je vois en subliminal, dans la trame du papier, ce qui me perturbait à l’époque. Ainsi, à ma manière, je fais de l’auto fiction, mais déguisée en jocrisses. Les personnages jouent ce que je fus, ainsi je peux me prévaloir de changer de sexe quand je veux, voire me transformer en chat, comme le délicieux Socrate, mon greffier de l’époque, qui venait se coucher sur le clavier et ronronner comme douze turbines. Et que j’ai renommé dans le livre Helmuth von Papoufski. Il est mort mon gros rouquin, mais le chat prussien du livre perpétue sa mémoire.
Le livre que j’ai écrit n’est pas celui que vous lisez. Il y a tout un hors champ comme on dit au cinéma, un chant de marguerites ou de tournesols suivant les humeurs. Le livre que vous lisez vous parle de vous et c’est ainsi, quand il est pertinent, qu’il vous touche. Ca rend humble, certainement pas modeste, car, de la même manière que les bouquins circulent de mains en mains (on me dit que l’un d’entre eux est chez Tapioca, sauve qui peut, un billet pour Montevideo, please), les histoires se trament et se détrament avec la sensibilité de chaque lecteurs.
Il m’est arrivé d’envisager d’acheter un planisphère et de mettre une punaise sur chaque ville où quelqu’un lisait un de mes livres. J’ai bien peur d’être absent du Baloutchistan oriental. Uzès fut un moment unique où j’ai chevroté sur mon passé ; le public a dû l’entendre, l’a pris pour du trac, et certains ont constaté avec effroi qu’un auteur ça s’émeut. Ainsi donc ce qu’ils racontent ne serait pas que mensonges ?
© Denis Parent
La Chronique de Denis Parent « Les bras m’en tombent », que tous ses lecteurs assimilent à ses humeurs, est née il y a trente ans dans « Studio Magazine », où l’auteur nous entretenait de cinéma.
Cela m’en coûte mais j’avoue que la qualité et la diversité de certains articles (importés certes de sources extérieures, mais peu importe) de TJ semble s’améliorer.
Même et surtout ceux qui ne concernent pas une thématique juive.
Encore un petit effort.
Merci du compliment qui ressemble à celui dont nous gratifiaient nos professeurs ;
« PEUT MIEUX FAIRE »
C’est le titre qui m’a fait réagir. Les bras m’en tombent !
Cela m’est arrivé et cela vous arrivera, si vous écoutez les propos tenus par Mme Anne Hidalog au cours de la cérémonie du Nouvel An à la communauté juive, c’est sur twitter (https://twitter.com/emma_ducros/status/1572599544033968130), et ça vaut son pesant de cacahuètes …
@Marcel : proposer a son prochain l ecoute d un discours de Mme Hidalgo , voila un acte qui ne ressemble pas a un cadeau 😉
J espere que vous mesurez le niveau d effort que vous demandez a vos collegues lecteurs de TJ et les traumatismes indelebiles qui pourraient resulter d une telle ecoute .
Pour ma part , je vais tenter de reunir mes dernieres forces pour survivre aux aneries anonées par la « dingo de Paris » , mais je ne peux rien promettre .
Shana tova a tous 🍾🙃