Le Dr Lucien Moatti ( זייל), alors vice-président de l’OSE ( Œuvre de Secours à l’Enfance ), m’avait demandé de l’accompagner.
Il devait être reçu en audience, à Jérusalem, par le Grand Rabbin d’Israël, Ysraël Meir Lau, et avait besoin d’un interprète.
J’avais évidemment accepté avec enthousiasme.
Le Grand Rabbin nous a reçu plus d’une heure dans son bureau.
J’avais essayé de traduire, au mieux, ce qu’il nous racontait. J’ai appris plus tard qu’il parlait très bien le français, et qu’il a du beaucoup sourire de mes fautes de traduction.
…
Le 11 avril 1945, le rabbin Herschel Shachter, aumônier dans la Troisième Armée du Général Patton, pénètre dans le camp de Buchenwald.
Il ne voit que des cadavres et ne respire qu’une fumée âcre.
Il demande à un jeune lieutenant : « Reste-t-il encore des juifs vivants ? »
Il est conduit au Kleine Lager ( le petit camp), un groupement de baraques sordides, où des hommes regardent avec terreur ce militaire qui porte un uniforme inconnu.
Shachter leur lance en yiddish :
« Sholem Aleichem Yidden ! Ihr zint frei ! »
Vous êtes libres.
Les juifs se regroupent autour de lui.
Il interroge un jeune enfant en yiddish :
» _ Quel est ton nom ?
_ Lulek
_Quel âge as tu ?
_Qu’est-ce que ça fait, répond l’enfant qui a 7 ans. De toute façon, je suis plus vieux que toi !
_ Et pourquoi es-tu plus vieux que moi ? demande Shachter, amusé
_ Parce que je te vois pleurer comme un enfant… répond Lulek… »
Lulek et son grand frère seront pris en charge par l’OSE et passeront quelques années en France avant d’émigrer en Israël.
Le père de Lulek, avant d’être gazé, avait fait promettre à son aîné de protéger son jeune frère et qu’il fallait qu’ils survivent. La lignée rabbinique de leur famille ne devait pas s’interrompre.
Ysrael Meir Lau ( Lulek ), deviendra en 1993 le Grand Rabbin d’Israël.
Ce jour-là, son frère aîné est allé prier au Mur Occidental à Jérusalem. Un Kaddish pour son père. Il avait tenu sa promesse.
© Daniel Sarfati
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