Les Ukrainiens contrôlent parfaitement les informations qu’ils diffusent : ils ont demandé à tous leurs partisans sur internet, à tous les blogueurs, tous les journalistes, à tout le monde, de ne pas donner de détails précis sur ce qui se passait en ce moment, dès lors que chaque détail peut renseigner l’ennemi. Dès lors, du côté ukrainien, on ne sait quasiment rien de ce qui se passe sur le terrain, on ne le sait que de la part des renseignements étrangers (qui, eux non plus, ne disent pas tout ce qu’ils savent), et du côté russe. Et c’est paradoxal, mais caractéristique : ce sont les blogueurs poutiniens qui racontent, comme malgré eux, qu’aujourd’hui l’offensive ukrainienne se poursuit et s’élargit encore dans les quatre grandes directions du front (Kharkov, Donetsk, Zaporijia, Kherson), et que, dans ces quatre directions, l’armée russe recule. Et recule d’une façon qui, très souvent, n’est plus organisée ; pire encore, il semble que la désorganisation soit due à une faillite de la chaîne de commandement, c’est-à-dire qu’entre le moment où un ordre d’évacuation est donné et l’évacuation concrète de l’unité concernée sur le terrain, on se rend compte qu’il n’y a pas d’équipement pour assurer cette évacuation, pas de transports de troupes ou de munitions, ce qui explique ce que les Ukrainiens appellent « le lend-lease russe » — des centaines de matériels militaires en bon état de fonctionnement abandonnés sur le terrain (par exemple faute d’essence), matériel immédiatement reconverti par les mécaniciens de l’armée ukrainienne. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas seulement de défaites militaires sur le terrain qui entraîneraient des reculs sur le terrain, mais bien d’un effondrement de l’armée en tant que structure — effondrement par faillite de commandement et par un manque de personnel actif. Parce que la deuxième catastrophe pour l’armée russe est qu’elle ne semble pas en mesure de faire tourner ses effectifs et de faire parvenir des renforts. En fait, d’après ce que je peux comprendre, des renforts, il n’y en a tout simplement pas.
*L’armée ukrainienne avance donc, et, sur le front de Kharkov a déjà atteint la frontière russe. Ce sont les blogueurs russes, et RIA novosti (agence russe officielle) qui font état de combats près de Donetsk, en mentionnant toujours l’aéroport (pour dire que les Ukrainiens ont été repoussés — mais ils le disent depuis plusieurs jours de suite), alors que les Ukrainiens, eux, ne disent pas un mot sur d’éventuels combats autour de Donetsk. De même ne disent-ils rien du fait que les habitants de la région de Kherson filment des bombardements et des combats toujours plus près de la ville, en particulier autour de l’aéroport de Tchernobaïévka, célèbre aujourd’hui par le fait que les Ukrainiens n’avaient cessé de le bombarder, et que les Russes, à chaque fois (une bonne vingtaine de fois en tout), remettaient des armes exactement au même endroit, sans changer la disposition. Cette obstination était devenue proverbiale. Les Ukrainiens reprennent leur terre, en silence, et tous les commentateurs, même ceux qui détestent Zélensky (et il y en a beaucoup), respectent le pacte : ils ne disent rien qui pourrait mettre en danger l’offensive actuelle, et ne se basent pour parler que sur les canaux russes.
*L’événement majeur de la journée du 14 septembre a été la visite du président ukrainien dans la ville d’Izioum, qui vient juste d’être libérée. Non seulement cette visite prouve que la ville a bel et bien été libérée, mais c’est un geste politique et symbolique majeur. — Un peu, je ne sais pas, comme la présence de Gaulle à Bayeux aussitôt après la libération de la ville, alors que les Allemands étaient à une vingtaine, voire moins, de kilomètres. On a vu quelques images d’une ville dévastée, et Zelensky, visiblement bouleversé, a prononcé un bref discours devant les soldats qui étaient rassemblés là. Il a prononcé son discours, et, au milieu du discours, on a entendu le canon — pas à côté, mais très nettement, et il a continué son discours sans s’interrompre. Il a fait hisser le drapeau ukrainien — pas une bannière énorme, non, un petit drapeau, — sur le haut de l’Hôtel de Ville, — un bâtiment noirci par l’incendie, visiblement ravagé, et il a demandé une minute de silence à la mémoire des victimes. — Et c’est cela qui a été si fort : il ne s’agit pas d’une visite de victoire, mais d’une visite de deuil, de recueillement.Cette minute de silence, réellement, a duré une pleine minute. Les victimes, d’ores et déjà, on sait qu’il y a eu, au minimum, un millier de personnes (civiles) tuées pendant la prise de la ville par les Russes, quand les combats ont duré pendant presque un mois, je crois (et je ne parle pas des pertes militaires). Et, pendant l’occupation, un autre millier de personnes ont été tuées (en l’espace, donc, de trois mois). Les Ukrainiens ont libéré quelque chose comme 300 villes et villages, quelque chose comme 150000 habitants, et les récits que font les habitants sont, dans l’ensemble, toujours les mêmes : les humiliations, les tortures, pour rien — parce que (je suis tombé sur ce témoignage-là, un homme se fait arrêter dans la rue, les Russes regardent son portable, ils voient des photos d’un homme en uniforme (il s’agit de son frère qui avait fait son service militaire, mais qui habitait dans un autre endroit d’Ukraine), et, pendant une semaine, l’homme est torturé à l’électricité pour qu’il explique où est son frère aujourd’hui et ce qu’il fait… Ou bien, raconte une femme, les soldats arrêtent une femme dans la rue, dehors, la font se déshabiller pour vérifier si elle a des tatouages, comme ça, en pleine rue, pour rien. Et on ne compte pas les exactions, les viols. — Et, bien évidemment, nous n’en sommes là qu’aux premiers jours d’enquête. Mais, dans tous les villages, il y a des fosses communes et des gens disparus. Les gens disent que la situation était bien pire dans les campagnes, parce que, là, les habitants n’avaient nulle part où se cacher. Dans les villes, on pouvait encore, d’une façon ou d’une autre, passer d’un appartement à un autre.
*Izioum est une ville dont les infrastructures civiles sont détruites à 80%. D’autres villes ont moins souffert, parce qu’elles avait été prises plus vite. Des dizaines de villages sont simplement rayés de la carte. Il n’y a que des ruines, juste rien d’autre. Si : partout, les Russes, comme à Boutcha, ont laissé des milliers de mines anti-personnelles (interdites par la Convention de Genève). Donc, avant de pouvoir laisser revenir les survivants, il faut tout déminer, mètre carré par mètre carré. Et, là encore, il y a des gens qui meurent.
*Les Russes, voyant qu’ils ont perdu, détruisent tout ce qu’ils peuvent. Ils utilisent leurs missiles à longue portée (dont le nombre diminue sans cesse, mais, hélas, pas suffisamment) pour détruire des infrastructures civiles critiques pour la vie des gens. — Les centrales électriques (mais, à Kharkov, au bout de trois jours, l’électricité semble avoir été rétablie). A Krivoï Rog (Krivij Rig) c’est, comme le rapporte Jean-Marc Adolphe, un barrage qui fait que la ville est menacée d’inondation. Une ville qui, on le comprend bien, ne peut pas être une cible militaire. Mais, aujourd’hui, les poutiniens revendiquent ces crimes de guerre : il s’agit de détruire pour détruire, pour se venger.
*En Russie, là encore cependant, on vit dans le silence. Il y a eu les élections, et, très étrangement, personne n’en a parlé. Évidemment qu’elles ont été massivement truquées (à Moscou, par exemple, ils ont trafiqué le vote électronique, mais ils se sont trompés dans leur traficotage : dans un secteur, ils ont mis à voter pour Poutine 600000 électeurs de plus qu’il n’y avait d’électeurs inscrits). Mais personne n’y fait attention, on dirait. À cause de la sidération de la guerre, je veux dire celle du désastre. Le mot « guerre » a été prononcé à l’Assemblée, et le consensus s’est fait pour dire que, oui, c’était une guerre. Ziouganov, le chef historique des communistes, a expliqué la différence qu’il y avait entre une « opération militaire spéciale » et la guerre. L’opération militaire, tu peux l’arrêter quand tu veux. La guerre, non. C’est la victoire ou la défaite.On parle de mobilisation générale, mais on sait bien que c’est une chose impossible : Poutine et les siens ont réduit la Russie à un tel état que le pays est juste techniquement, et économiquement, incapable, de mobiliser des millions de personnes. Et l’appel aux volontaires pour se battre en Ukraine a été un échec retentissant, quoique très silencieux. En tout et pour tout, d’après ce que je comprends, 13000 hommes y ont répondu, parmi lesquels… 10000 détenus, qui se sont engagés en échange d’une amnistie totale, et, pour la plupart, « parce qu’il y allait y avoir du sang gratuit » (— du sang versé sans conséquence, j’ai lu la phrase je ne sais plus où).
En Russie, ce silence officiel recouvre une rumeur, aujourd’hui grandissante. Ça ne va plus du tout.
© André Markowcz
André Markowicz, né de mère russe, a publié plus d’une centaine de volumes de traductions, d’ouvrages de prose, de poésie et de théâtre, parmi lesquels l’intégralité des œuvres de fiction de Fiodor Dostoïevski, le théâtre complet de Nikolaï Gogol, les oeuvre d’Alexandre Pouchkine, et, en collaboration avec Françoise Morvan, le théâtre complet d’Anton Tchekhov. Il a publié quatre livres de poèmes. Ses quatre derniers livres sont parus aux éditions Inculte : Partages (chroniques Facebook 2013-2014, et 2014-2015), Ombres de Chine et L’Appartement.
“Partages”
“Partages est le journal d’un écrivain qui se retourne sur son travail de traducteur, sur ses origines, sur ses lectures, sur la vie qui l’entoure. C’est une tentative, aléatoire, tâtonnante, de mise en forme du quotidien, autour de quelques questions que je me suis trouvé pour la première fois de ma vie en état de partager avec mes lecteurs, mes “amis inconnus”. Quelle langue est-ce que je parle ? C’est quoi, parler une langue ? Qu’est-ce que cette “mémoire des souvenirs” ? Qu’est-ce que j’essaie de transmettre quand j’écris, mes poèmes et mes traductions ? – C’est le reflet, que j’espère partageable, d’une année de ma vie.” André Markowicz
Rectification de la première phrase :
Les USA et l’UE contrôlent très bien la désinformation qu’ils diffusent.
(Après la première phrase, je me suis arrêté et n’ai pas lu le reste).
Le problème c’est le rôle des USA dans le monde. La Russie a déclenché une guerre qui a été voulue par les Américains. Si les Russes perdent le prochain sur la liste c’est la Chine. Le terrain a commencé à être préparé par des visites américaines de haut niveau à Taïwan.
Les USA veulent diriger le monde et peu à peu avancent leurs pions.
On nous parle aujourd’hui d’amener Poutine devant un tribunal pour crime de guerre. Dans les 20 dernières années les responsables américains auraient pu passer pour ce motif des dizaines de fois devant un tribunal.
Nos braves journalistes bavent tous les jours sur Poutine sans nous expliquer les tenants et aboutissants de ce drame.
Si l’on continue sur cette voie, si, content, on suit Biden et la va-t’en guerre qui sert de présidente de la Commission Européenne, nous pouvons générer une réaction très violente. Poutine et son armée sont confrontés à l’Ukraine et quasiment à l’Otan. Ils peuvent décider, face à ça, de réagir très violemment.
Kinski ci-dessus a raison. La prose de Markowicz est pure propagande.
N’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine.
Il s’agit d’une guerre entre la Russie et les USA de Biden par l’Ukraine interposée.
Et encore: l’amplitude de l’ingérence américaine, par les armes, les munitions, la formation, les renseignements et la planification tactique et stratégique est telle que l’Amérique est pleinement cobelligérant; et l’Otan évidemment aussi et donc la France et l’UE aussi.
Nous fonçons dans le mur les yeux grands fermés. L’Amérique s’en sortira peut-être ; mais c’est nous qui serons les dégâts collatéraux, les dindons de la farce.
Lorsque la France ou les USA faisaient la guerre en indochine , la russie deversait ses meilleures armes pour aider les communistes .
Les russes ont soutenus gratuitement les genocidaires des dictatures arabes qui voulaient detruire Israel , ils ont meme envoyer leurs propres pilotes pour attaquer Israel .
Les occidentaux soutiennent militairement l ukraine face au fasciste poutine qui avait deja attaqué la crimée et la georgie , et je n y vois que la monnaie de la piece russe , la defaite cuisante de l armée russe sauvera certainement la lituanie ou l estonie d une probable attaque .
Que biden le pantin d obama exploite cette serie d erreurs delirantes du maitre du kremlin me parait normal, mais celui qui fait reculer la russie de 20 ans c est poutine et personne d autre , demandez aux russes leur avis
« Lorsque la France ou les USA faisaient la guerre en indochine (il y a soixante-dix ans) la russie deversait ses meilleures armes pour aider les communistes . »
Et ne parlons pas des Allemands, là c’est carrément l’horreur …
Quant aux Anglais, ils ont brûlé vive Jeanne d’Arc, ces sauvages !
Ces gens-là peuvent-ils être des amis ?
M. Markowicz ne veut voir que ce qu’il a envie de voir. Il est de parti-pris et reste à la surface des choses, ce qui fausse la donne.
Il faut connaître toute l’histoire et pas seulement les derniers faits pour juger une situation.
Le grand silence d’Ursula von der leyen et de l’UE au sujet d’Anush Apetyan, une Arménienne violée, démembrée et torturée à mort par des barbares Azerbaïdjannnais.
La vérité sur nos dirigeants finira par eclater.
Ursula Von der Leyen aura au moins eu (malgré elle) le mérite de démontrer la débilité profonde, la lâcheté, la tartufferie et la laideur morale sans limite de l’UE.
Nos médias aux ordres du pouvoir en place oseront-ils encore mentir et cacher les horreurs dont nos dirigeants se rendent un peu partout complices ?
De nombreux lecteurs ici se demandent régulièrement : « Pourquoi Markowicz est-il aussi biaisé / tendancieux / propagandiste ? Mais pour qui roule-t-il ? » La réponse simple : pour lui-même. Son auto-promotion. Sur sa page Facebook, il vend ses livres et ceux de sa compagne, en alternant habilement extraits littéraires et chroniques de guerre. Politiquement correct toujours : il s’agit de conserver les invitations du Monde et de France-Culture… A cela s’ajoute (de son propre aveu) sa détestation, bien réelle, de la Russie.
Et quiconque émet, par souci d’objectivité, quelque réserve, se voit aussitôt qualifié de troll, de poutinolâtre etc… et banni.
En dehors de son fan club d’admirateurs ébahis, il est démasqué depuis longtemps.
La meilleure réponse : cesser de lui donner de l’importance et, dans le doute, aller chercher la vérité ailleurs.
Un pays détesté par Biden, Macaron, Adolf Von der Leyen et leurs partisans ne peut être qu’un beau pays.
Depuis le début des sanctions d’Ursula Hilter contre la Russie, j’ai lu tous les contes et nouvelles de Tchekhov, plusieurs Tourgueniev, et j’aime de plus en plus Tchaikovski. Je viens d’entamer un recueil d’Ossip Mandelstam.
Auriez-vous des films russes à me conseiller ?
Yvan le terrible,Alexander Nevsky,Catherine II,Potemkine,Crime et chatiment,Guerre et paix….des chefs d oeuvre.
Merci Lamponeon. Ce ne sont pas les films les plus récents du cinéma russe mais je vais essayer de les trouver (dvd ou YouTube).