Ypsilantis. En lisant « Le Mur de fer – Les Arabes et nous » de Vladimir Jabotinsky – 1/2

Recevoir un livre de Pierre Lurçat pour le présenter est toujours un plaisir. Le style en est sobre, la structure bien définie, les idées exposées avec retenue (ni agressivité, ni arrogance) mais fermeté.

La Bibliothèque sioniste (Éditions de l’Éléphant) compte à présent quatre titres dont le dernier (voir le titre du présent article) que je vais présenter. Sur ces quatre titres, trois se rapportent à Vladimir Jabotinsky dont Pierre Lurçat a traduit l’autobiographie sous le titre « Histoire de ma vie », un livre que je recommande.

Fondateur de l’aile droite du sionisme politique, Vladimir Jabotinsky est peu connu et, surtout, mal connu. On lui colle encore volontiers les étiquettes de « fasciste » et de « militariste », entre autres étiquettes guère plus aimables, ce qui révèle une profonde méconnaissance de cet homme dont il faudrait au moins se donner la peine de lire les écrits et étudier la vie. Mais on le sait, l’étiquetage permet aux paresseux et aux conformistes de continuer à se vautrer dans leur paresse et leur conformisme. Lire Pierre Lurçat aide également à en finir avec ce laisser-aller.

Vladimir Jabotinsky

Le livre que j’ai devant moi se structure en six parties, soit cinq écrits de Vladimir Jabotinsky et un préambule de Pierre Lurçat, préambule que je vais paraphraser car la paraphrase suppose un exercice d’attention.

Pierre Lurçat écrit volontiers que Vladimir Jabotinsky a été le plus lucide des sionistes, une opinion que je partage dans la mesure de ma connaissance du sionisme, un sujet extraordinairement vaste et en constante expansion. Vladimir Jabotinsky peut avant tout être considéré comme un anti-démagogue radical, d’où ma sympathie à son égard.

Mais tout d’abord, Vladimir Jabotinsky n’a jamais désigné Eretz Israel comme une « terre sans peuple pour un peuple sans terre », une expression attribuée à Israël Zangwill, jamais ! Le fondateur de l’aile droite du mouvement sioniste a d’emblée envisagé la question des relations Juifs / Arabes comme une confrontation entre deux revendications nationales et jamais il ne déviera de cette perspective. Mais attention ! S’il reconnaît la revendication nationale arabe dans son principe, il pose comme base que le règlement pacifique du conflit judéo-arabe « ne dépend pas de notre attitude envers les Arabes, mais uniquement de l’attitude des Arabes envers le sionisme ». Vladimir Jabotinsky avance ainsi son argument central en opposition au Brit Shalom (qui pourrait être traduit par Alliance pour la paix), un cercle de pacifistes juifs allemands alors très en vogue et dont le membre le plus influent est Martin Buber. L’influence de ce cercle a métastasé dans la société israélienne.

Vladimir Jabotinsky peut être envisagé comme un antidote à ce pacifisme et aucun de ses écrits ne rend mieux compte de sa position à ce sujet que « Le Mur de fer » publié en 1923 et qui peut se résumer ainsi : la revendication nationale arabe est fondée mais la juive l’est plus encore. Il ne nie pas l’existence du peuple arabe en Eretz Israel mais « deux peuples sur une terre » n’a pas pour corollaire « une terre pour deux peuples » car il ne faut pas confondre les droits civiques et individuels et les droits nationaux ainsi qu’il le déclare dans un article publié en mai 1916, sous le titre « Sionisme et morale ». Il insiste sur l’immensité de l’aire occupée par les tribus arabophones avec, inséré dans cette aire, un lambeau de terre où tente de s’installer un peuple pourchassé et sans patrie, peuple qui par la seule force de son esprit a rendu Eretz Israel (soit à peine 1 % des terres habitées par les Arabes) incomparablement prestigieux dans le monde entier.

Vladimir Jabotinsky a pressenti dans les années 1930 l’abîme au bord duquel se tenait le peuple juif, en particulier en Pologne. Il y avait urgence et Eretz Israel représentait en quelque sorte un canot de sauvetage. La revendication juive sur cette terre ne s’appuyait pas exclusivement sur des références bibliques (plutôt absentes des écrits de Vladimir Jabotinsky) ou historiques mais plus largement sur une argumentation morale (un thème qu’exposera dans un prochain livre La Bibliothèque sioniste) et politique. Ce faisant, il dénonçait la morale des pacifistes qui ne s’adressait qu’aux Juifs et qui faisait fi de l’attitude arabe sur la question de la coexistence entre Juifs et Arabes.

La notion de « Mur de fer » est centrale dans le sionisme de Vladimir Jabotinsky qui, héritier de Theodor Herzl, a ajouté à sa vision la dimension militaire et stratégique destinée à imposer le sionisme comme une force politique sur la scène internationale. Selon l’expression de Vladimir Jabotinsky, le sionisme a besoin d’une baïonnette. Cette appréciation lucide est à l’origine d’un malentendu habilement propagé et entretenu par les détracteurs de Vladimir Jabotinsky, un homme qui n’est en rien un fétichiste de l’uniforme ou un militariste mais un homme lucide, dénué de l’optimisme de nombre de dirigeants sionistes d’alors à commencer par Theodor Herzl. Il juge que les Juifs doivent apprendre à se défendre, tout simplement. Après le pogrom de Kichinev (1903), Vladimir Jabotinsky participe à l’organisation de l’autodéfense juive en Russie puis, au début de la Première Guerre mondiale, il met sur pied une unité juive au sein de l’armée britannique. Vladimir Jabotinsky le théoricien est aussi un homme doué pour l’organisation et l’action.

Le mouvement sioniste a ostracisé sans tarder Vladimir Jabotinsky, en partie à cause de l’animosité de David Ben Gourion à son égard. Et pourtant, l’air de rien, Vladimir Jabotinsky a eu après sa mort et comme malgré lui une influence déterminante sur la doctrine stratégique de l’État d’Israël. Cet homme lucide, analytique et intuitif comprit sans tarder que le peuple juif ne devait pas rester à l’écart de la guerre, une guerre mondiale, qu’il devait combattre sous son propre drapeau, une opinion alors très peu partagée et considérée avec hostilité par les autres responsables sionistes.

Ci-joint, une vidéo où Pierre Lurçat met en regard « Le Mur de fer » et « Le Dôme d’acier », un sujet qu’il développe dans la dernière partie de son préambule :

(à suivre)

© Olivier Ypsilantis

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2 Comments

  1. L’essentiel de ce commentaire se trouvait déjà en bas de l’article précédent de Lurçat à ce sujet. Je trouve utile de le réitérer ici :

    Il y a un problème fondamental avec le discours de Jabotinsky ; un problème qui interdit qu’il soit reconnu comme l’un des fondateur de l’Etat d’Israël, et qui le pousse à la marge encore aujourd’hui.

    Jabotinsky était un intellectuel européen de son époque (1880-1940) ; une époque éminemment coloniale et qui ne voyait pas d’inconvénient à tenir un discours qui de nos jours serait inconcevable pour cause de racisme.

    Rappelons qu’en 1923, date de publication de son « mur de fer », Jabotinsky ignorait jusqu’à l’existence du nazisme car ce dernier n’existait pas encore. Le « mein kampf » d’Hitler n’était écrit qu’après (en 1924-1925, alors qu’Hitler était un agitateur inconnu et de surcroit en prison).

    En revanche, en 1922 Mussolini était déjà au pouvoir en Italie et son fascisme avait le vent en poupe. Jabotinsky en était impressionné; il ne voyait pas d’inconvénient d’être fasciste juif; ignorant que ce mouvement allait in fine rejoindre une Allemagne nazie et viscéralement antisémite.

    Les principaux pays d’Europe (notamment la France et la Grande Bretagne) possédaient des colonies qu’ils considéraient comme leurs légitimes empires, dont ils étaient fiers croyant que c’était l’ordre naturel des choses.
    Le « colonialisme » était une idéologie respectable et omniprésente en Europe.
    Les « blancs » européens se chargeaient, croyaient-ils dur comme fer, « d’apporter les lumières de la civilisation » aux « sauvages » qu’ils administraient dans leurs possessions lointaines. Que les « sauvages » le veuillent ou non d’ailleurs…

    Jabotinsky n’était d’ailleurs pas étanche à des idéologies racialistes, de celles qui faisaient fureur en Europe d’avant la deuxième guerre mondiale.
    Ni croyant ni pratiquant, pour lui les Juifs étaient plutôt une race (européenne) qu’une religion (rappelons qu’il ignorait quasiment l’existence de Juifs non-européens…).

    Voilà d’où vient Jabotinsky. Voilà le terreau où germèrent ses idées. Ce Russe considérait les Juifs comme ayant le « droit » de posséder au moins une colonie, acquise, au besoin, par la force ; comme les autres européens…

    Naturellement Jabotinsky est plus qu’obsolète de nos jours.
    Il serait nuisible de le mettre en avant aujourd’hui… Ce serait jouer entre les mains des opposants farouches à Israël. Il vaudrait mieux l’oublier.

    Hélas, Lurçat le rappelle sans cesse.

    • « Ce Russe considérait les Juifs comme ayant le « droit » de posséder au moins une colonie, acquise, au besoin, par la force ; comme les autres européens »…

      cela vaut pour la population palestinienne, ils estiment avoir le droit etc…
      la peur de dire amène le malheur, oui les juifs ont le droit de prendre les armes, l’histoire les légitime

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