Léon Ouaknine. Dans la série « Bien vieillir »: L’âge d’or

En instituant une démarcation claire et obligatoire entre le monde du travail et ceux qui en sortent, on créa ainsi une nouvelle phase de la vie, distincte de la longue période caractérisée par le travail, dès la fin de l’école primaire, pour la plupart des hommes de 14 à 65 ans, mais pas vraiment moins rude pour les femmes avec les charges domestiques en plus du champ, de la manufacture ou du travail d’employée.
Cette nouvelle phase, où la personne touche jusqu’à sa mort un revenu sans travailler est un fait totalement inédit dans l’histoire des sociétés. De plus, l’homme se retrouve à disposer d’un temps échappant aux contraintes hiérarchiques, temps libre que les sociologues, démographes et gérontologues vont nommer 3e âge plutôt que vieillesse, terme devenu dérogatoire, synonyme de déchéance, mais que les marchands de rêve vont appeler « âge d’or », un âge censément de loisir et de vacances. Et pas juste pour 5 à 7 ans.
L’ allongement de la durée de vie a fait que presque soudainement au regard du temps historique, le baby-boomer se retrouve avec un bonus de 20 à 30 ans par rapport à ses grands-parents et de toute évidence, il y est très mal préparé. Personne ne lui a donné le mode d’emploi de ce bonus ; lors de sa vie « active » il devait travailler, élever et éduquer ses enfants, et comme ses ancêtres, partir assez rapidement, pas le temps de s’ennuyer trop. Comble de l’ironie, au moment où on lui donne ce bonus, la société, traversée par un « jeunisme » frénétique, ne reconnaît comme idéal suprême que les corps de Vénus et d’Apollon. La pression est énorme et incessante pour paraître jeune en toute occasion y compris pour les performances sexuelles. Chirurgie esthétique de rigueur, remodelage du corps, usage forcené d’adjuvants divers et de pilules miracles, témoignent d’une peur pathologique du déclin, alors on choisit l’apparence sans réaliser que cette course en avant se paye psychologiquement d’un sentiment intérieur de duperie, moins vis-à-vis des autres car peu de gens confondent l’apparence et la réalité, que vis-à-vis de soi-même.
L’ aura qu’avait le vieillard, la sagesse supposée que ses cheveux blancs lui conféraient avant, n’est plus reconnue par personne. Pire, la société hyper-technique qui est la nôtre a des effets paradoxaux; pour être compétitifs sur le marché du travail, de longues années d’études deviennent indispensables, mais leur validité est de plus en plus temporaire, tant l’obsolescence des techniques s’accélère ; la formation acquise se déclasse à toute vitesse et les qualifications valables il y a 10 ans ne suffisent plus, il faut se requalifier sans cesse sauf pour les diplômés des universités d’élites. Il devient non seulement difficile de décrocher un emploi mais ardu de le garder. Lorsqu’on dépasse la cinquantaine, on est quasiment hors-jeu; un racisme d’un nouveau genre couve partout, silencieusement : l’âgisme.
Celui-ci renforce l’idée que passé un certain âge, on est pour ainsi dire inutile. Au lieu de projets forts, puisque la personne âgée ordinaire n’est plus considérée comme un agent actif de la société, on lui propose des passe-temps !

Passer le temps en attendant la mort,
c’est comme mourir avant la mort!

Léon Ouaknine

Léon Ouaknine a travaillé au Québec et en France dans les réseaux de la santé et des services sociaux pendant 32 ans comme directeur général d’établissements de santé et de services sociaux et comme consultant avec la firme Ernst & Young auprès d’institutions gouvernementales, de municipalités, d’hôpitaux, d’agences régionales de santé, de mutuelles. Il créé en 1993 le premier centre de recherche universitaire au Québec en gérontologie sociale, affilié à l’université McGill, l’UQAM et l’université de Montréal, et met sur pied la « Fondation pour le Bien-Vieillir/Foundation for Vital- Aging ».

Parallèlement à ses activités de consultant, de 2000 à 2005 il crée et dirige en collaboration avec le professeur Claude Jasmin, le « diplôme universitaire de Qualité en Santé » à la faculté de médecine de Kremlin-Bicêtre de l’Université Paris-Sud en France. Il est diplômé en travail social (BSS), administration publique (MAP) et a une scolarité de doctorat en science politique. En 1994, il a obtenu le prix d’excellence de l’Association des Directeurs Généraux de Santé et de Services Sociaux du Québec, visant à souligner le leadership et l’innovation dans la gestion des établissements publics. Il a été « adjunct professor » à la faculté de médecine de McGill et professeur invité en gérontologie sociale à l’université de Provence à Marseille.

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