Commémorer la Saint-Barthélemy ? C’est la question posée cette année par les protestants, quatre cent cinquante ans après le massacre, pour leur Assemblée du désert organisée dimanche 4 septembre, comme chaque année. Pour y répondre, le philosophe protestant Olivier Abel était invité. Voici un extrait de son intervention. (1)
Faut-il commémorer la Saint-Barthélemy ? Oui, peut-être, pour faire mémoire de l’horreur passée, qui appartient certes à un cycle de violences commencé bien avant et qui ne s’y est pas terminé, mais qui a quelque chose d’unique, d’incomparable, d’asymétrique, et en ce sens d’imprescriptible. Même aujourd’hui, avec la distance historique, la relativisation peut devenir une facilité, une manière de rouler l’histoire dans la farine. La rhétorique du « tous coupables, tous responsables, tous méchants » est indécente. On comprend sans doute la panique religieuse, pour la majorité catholique, d’avoir à côté de soi, et jusque parmi ses proches, des gens aussi dépourvus d’angoisse religieuse. Auraient-ils pactisé avec le diable ?
Ceux qui vivent le « désangoissement » apporté par la prédication de la Réforme ne perçoivent pas l’effroi de ceux qui les voient ne plus aller à la messe, ne plus participer aux processions et pèlerinages, et quitter ainsi le corps mystique de l’Église. Mais, au-delà de la Renaissance évangélique ainsi égorgée, il y avait là une toute jeune France océanique, mineure et dans l’enfance encore, qui a commencé à la Saint-Barthélemy à être expulsée par la France de l’intérieur, et dont l’exil jettera le feu de la révolte dans les Provinces-Unies. Et cette histoire ira jusqu’à la chute de La Rochelle, sinon jusqu’aux dragonnades. Comment oublier cette longue suite d’abus de force d’un État-Église qui ne supportait pas jusqu’à la plus faible contestation de son monopole absolutiste ?
Et pourtant, il y a un temps pour l’oubli, pour l’apaisement des mémoires dans une histoire commune. Déjà l’édit de Nantes (en 1598, soit vingt-six ans de guerre plus tard) avait pris parti, avec une grande sagesse politique : pour arrêter la guerre de Religion et rétablir la paix, il est interdit de rappeler les malheurs passés ! Pourquoi dis-je qu’il y a là une grande sagesse politique ? Pourrait-on parler d’un devoir d’oublier comme on parle de devoir de mémoire ?
L’amnistie n’est pas l’amnésie
C’est qu’il y a un temps pour arrêter le malheur, ne pas le répéter, et tout faire pour se réinstaller dans une cohabitation, même fragile. Une société où il n’y aurait jamais d’amnistie, jamais de prescription, serait sans cesse rongée par les deuils et les rancœurs du passé. C’est une société où la mémoire des morts hanterait le présent au point de ne plus faire aucune place aux nouveau-nés. Mais si les enfants des victimes sont encore, parfois, victimes, les enfants des coupables ne sont pas coupables, surtout dans un contexte où bien des coupables étaient aussi des victimes. Les uns et les autres doivent d’ailleurs se déplacer pour prendre la responsabilité éthique et politique du futur, et rompre avec le cycle du malheur, tant subi qu’agi. La justice vise à arrêter les responsabilités pour les sanctionner, certes, mais sa visée à long terme est de restaurer la paix civile.
Attention cependant : l’amnistie n’est pas l’amnésie ! L’amnésie est le symptôme d’un malheur tellement profond et douloureux que refoulé, et dont on ne peut pas se souvenir. Et puis l’amnistie est une annulation des poursuites pénales (en punitions et réparations), mais non pas une annulation des responsabilités éthiques et politiques. Au contraire, elle est tournée vers le futur, et son message essentiel est de faire en sorte que « plus jamais cela ». Une société où, au nom des nouveau-nés, on jetterait les morts aux oubliettes, à coups de bulldozers et de grands films numériques nous refabriquant un passé totalement merveilleux ou totalement abominable, serait une société amnésique, où les morts bientôt reviendront hanter les vivants.
Commémorer, dans le temps de la prescription où le mal est depuis longtemps fini, c’est d’une part re-présenter le passé comme ce qui « a été », et le plus possible tel qu’il a été, dans sa complexité ; et d’autre part le mettre à distance comme ce qui « n’est plus », ce qui est fini. C’est ici le sens d’une telle commémoration, non pour rendre le passé perpétuel, mais au contraire pour répéter que c’est fini, que c’est bien fini.
Nous sommes responsables de faire en sorte que cela ne recommence pas
Nous pensions ici parvenir au terme de ce parcours méditatif, mais l’actualité nous relance comme un aiguillon : est-ce bien fini ? L’époque de Louis XIV a connu ce que le philosophe Pierre Bayle appelait ironiquement « La France toute catholique ». Notre époque actuelle connaît le puissant renouveau d’une France « toute laïque », dans un sens en effet bien nouveau de la laïcité, et qui semble soudain souder une droite longtemps anti-laïque! Dans cette étonnante volte-face, on retrouve cette identité unanime d’un corps social presque royal (le peuple souverain), et presque mystique, et qui était déjà à l’œuvre au moment de la Saint-Barthélemy, sinon la panique face à ce qui menace l’union sacrée – en ces temps là déjà, la Ligue avait un rêve bien plus politique encore que théologique.
C’est là encore le creuset de notre nationalisme le plus terrible, le plus sacrificiel, et d’ailleurs le plus athée, et dont la France a su donner si « magnifiquement » l’exemple à tant des « nations » du monde moderne et contemporain, devenues à leur tour opératrices de purifications ethniques et/ou religieuses et/ou politiques ! Non, en ce sens-là, rien n’est fini.
Ce que je sens, de toute ma mémoire et mon oubli vifs et mêlés, ce que j’éprouve et ce que je redoute, c’est la capacité de notre société à fabriquer lentement en son sein un corps étranger, pour l’expulser puisqu’il ne se laisse pas entièrement digérer et assimiler. Certaines de nos banlieues sont moins intégrées qu’elles ne l’étaient il y a trente ans, non parce que nous recevons trop d’étrangers, mais parce que nous fabriquons des étrangers avec nos propres enfants. C’est la même alternative à laquelle les diasporas et minorités juives ont dû naguère se plier, tombant à leur tour sous la coupe d’un nationalisme inédit.
Les 450 ans de la Saint-Barthélemy, une occasion manquée
Ce que je vois venir et se préparer, de plus en plus puissamment et aveuglément, ce sont de nouvelles Saint-Barthélemy. Les protestants français d’aujourd’hui ne sont plus en rien des victimes, mais nous sommes responsables, avec d’autres, et d’abord avec nos sœurs et frères catholiques, de faire en sorte que ce soit bien fini, que cela ne recommence pas. Telle est notre tâche de vigilance.
Olivier Abel est Philosophe, professeur à l’Institut protestant de théologie de Montpellier
(1) Le texte intégral est lisible sur le site de Réforme www.reforme.net
Merci à Jean-François Prost
Ce monsieur mélange tout ! Ni les Protestants I les Juifs ne voulaient modifier la France pour en faire autre chose, contrairement aux nouveaux ‘immigrants’ qui la détestent et voudraient en faire une terre d’islam.
Evoquer la crainte que la laïcité puisse provoquer d’autres Saint-Barthélémy me semble pour le moins curieux, surtout de la part d’un Protestant. En 1905, Protestants et Juifs étaient favorables, et même acteurs de la loi. Les Catholiques étaient hostiles, mais sont satisfaits aujourd’hui. Certains Musulmans français se déclarent prêts à accepter le système actuel, en adoptant le statut d’associations « cultuelles », pratiqué par les Juifs et les Protestants. Mais ceux-ci craignent dans les projets actuels du gouvernement concernant les Musulmans, un renforcement pour eux des contraintes administratives (contrôle des comptes, financements étrangers,…) et n’en voient pas la nécessité. D’où une situation un peu délicate, et pas de solution dans l’immédiat.
Ce texte ne semble ne parler du passé que pour éviter de nommer le présent. Je ne crois que pas malgré les dénonciations et les indignations multiples et réitérées il existe une véritable prise de conscience (sauf chez une poignée de personnes politiquement cultivées). Y compris au sein de la communauté juive : dénoncer tout ce qui se passe et EN MÊME TEMPS voter Macron, être pour l’UE et par dessus tout et soutenir les USA de BLM, Hollywood et Biden…témoigne d’une incompréhension totale de la situation à laquelle nous sommes confrontés.
Je viens de lire l’article d’Olivier Abel ainsi que les quelques commentaires qui en sont faits. Je suis perplexe !!!
Le titre, expression de la conviction de M. Abel m’a intéressé. Mais je reste sur ma faim. J’espérais une approche scripturaire de la part d’un professeur de la faculté de théologie protestante de Montpellier publiant dans une revue de spécialistes des Ecritures.
Quel dommage de n’aborder ce sujet que sur un plan politique. Il me semble que le débat et la réflexion auraient mérité mieux.
Dès les premiers mots de Béréchit, le texte annonce un commencement qui se dirige vers un repos sabbatique. Mais le parcours met en opposition deux groupe, deux clans, symbolisés par les ténèbres, une postérité dont le leader est satan, et en face, la lumière avec une postérité qui est dirigé par le Messie.
Les textes des Ecritures et du segond Testament annoncent sans tergiversations possibles que ce que craint et annonce M. Olivier Abel se produira à nouveau.
Oui, il y aura de nouvelles Saint Barthélémy. Seule l’arrivée du Messie résoudra le problème. Aucune solution humaine ne mettra fin à ce conflit spirituel entre les ténèbres et la lumière
Des nouvelles saint-barthélemy il y en a tous les jours…contre les Chrétiens au Nigeria, contre les Kurdes et les yezidi au Kurdistan (commis par les turcs et les islamistes ) …Il y en aurait beaucoup d’autres à citer mais notre prétendu monde démocratique et progressiste est toujours du côté des bourreaux. Pas des victimes.