Sonia Devillers publie “Les Exportés”, longue enquête sur un drame historique trop peu raconté : la vente de juifs roumains, 15 ans à peine après la fin de la Seconde guerre mondiale et le traumatisme de la Shoah.
Dans “Les Exportés”, la journaliste à France Inter Sonia Devillers raconte les circonstances historiques qui permirent à ses grands-parents et à des milliers de Roumains de quitter la Roumanie communiste.
C’est l’histoire d’un “troc d’état”, selon l’appellation de l’historien Radu Ioanid dans Securitatea si vânzarea evreilor ou La Securitate et la vente des juifs, paru en 2015 et non traduit, un scandale qui n’apparut qu’après la “révolution” de décembre 1989, à la faveur de l’ouverture des archives.
Dans le récit qu’elle consacre à ses grands-parents, Harry et Gabriella, qui quittèrent la Roumanie en 1961 avec leurs deux enfants, – dont la mère de l’autrice, – Sonia Devillers raconte comment ils furent échangés contre “des bêtes à haut rendement”, selon la terminologie alors employée: C’est Henry Jacober, 1918-1994, Juif d’origine slovaque et businessman installé à Londres, qui se chargea d’échanger au prix fort le droit à la liberté de dizaines de milliers de personnes contre … des porcs reproducteurs ou des élevages de poulets, biens indispensables à la modernisation d’une agriculture collectivisée à l’agonie: “Un étrange passeur, à la fois bienfaiteur et affairiste”, dira de Henry Jacober Sonia Devillers: “Ma mère, ma tante, mes grands-parents et mon arrière-grand-mère ont été exportés. Tels des marchandises, ils ont été évalués, monnayés, vendus à l’étranger. Ils n’ont pas fui, on les a laissés partir et ils ont payé cela une fortune”…
Nicolae Ceausescu ne déclara-t-il pas pour sa part à propos de ce commerce un peu particulier et commencé juste avant son arrivée au pouvoir que “les juifs et le pétrole étaient les meilleurs produits d’exportation du pays”…
Sonia Devillers, elle, évoque sans manichéisme un troc “gagnant-gagnant”qui marcha de 1958 à 1965 : Si elle s’indigne de cette traite massive d’êtres humains, elle reconnaît ce que ces échanges eurent de libérateur pour une population interdite de sortie du pays: pour les juifs, Israël prit le relais, négociant directement avec Bucarest et en dollars le départ de ce qui restait de la communauté.
Lire un extrait sur le site des éditions Flammarion.
Les Exportés. Sonia Devillers. Flammarion
Sarah Cattan
Tout est question du choix des mots. Relativisons.
Dire de Henry Jacober “Un étrange passeur, à la fois bienfaiteur et affairiste”, enfonce des portes ouvertes. Certains firent bien plus que lui ; et dangereusement, car face aux nazis, pas face au miséreux Etat roumain des années 1950-60, affamé et téléguidé par Moscou.
Que dire dans ces conditions d’Oscar Schindler ? Il faisait du business ; s’il passe pour un saint c’est grâce à la gigantesque blanchisserie d’Hollywood (et la machine à noircir, d’ailleurs ; conformément à ce qui arrange le box-office du moment).
Et Joël Brand qui, comme Schindler, achetait des Juifs pour les sauver. (« Juifs contre camions » https://www.cairn.info/revue-le-monde-juif-1957-3-page-3.htm )
Et d’autres, tous mi- héros mi- traitres. Comme Rudolf Kastner (sauveur de Juifs contre argent payé aux nazis, ayant, disait un juge israélien, « vendu son âme au diable », il fut assassiné à Tel Aviv par un Juif resapé).
D’ailleurs, c’est toujours une histoire de Juifs contre argent. L’argent n’a pas d’odeur : qu’il se compte en dollars, en porcs ou en poulets est une affaire de taux d’échange.
L’opportunité économique voulait qu’il soit plus rentable de payer la Roumanie affamée en porcs ou en poulets, c’est tout.