Tribune Juive

Nidra Poller. Cris de guerre

CRIS DE GUERRE II

Au moment du partage des eaux, il faut trancher.
Six mois déjà que ça dure. L’invasion terroriste de l’Ukraine, la destruction futile de vies et de biens. Sur fond, successivement, de tempêtes de neige, de pluies et de boues printanières, d’été verdoyant comme l’espoir, de champs de blé idylliques et de silos engorgés de récoltes bloquées, ça se poursuit.

Des morts et des estropiés, des habitations massacrées, des bombardements hargneux. Pour rien. Ce n’est pas la guerre « hybride », c’est le nihilisme génocidaire. Six mois de courage ukrainien, de soutien moral et militaire des alliés, de gâchis. Pas de stratégie russe, pas de tactiques, de logique, de préparation, d’organisation de bases arrière … Tout objectif annoncé ou deviné s’avère factice. Le but est de détruire. Nous, l’Europe, l’Occident, le monde libre, sommes la cible de la haine qui alimente cette destruction.

Comment ne pas prendre position ?
Je me suis prononcée [Cris de guerre], tout en mettant mes intuitions à l’épreuve des informations, des débats, des déclarations et des silences. Consternée par les propos d’anciens complices devenus disciples d’une realpolitik cynique, qui plus est, divorcée du réel, je suis troublée par les réserves d’autres encore, bien-estimés.

Je n’ai pas voulu polémiquer, ni de près ni de loin. Je comprends les réticences. L’Ukraine ne sonne pas joliment bien aux oreilles juives. Ses héros, nos bourreaux, sa fierté nationale, notre hantise jadis, ses paysages trempés d’atrocités très personnelles commises contre nous. On me montre les preuves d’un déshonneur tout à fait actuel : en pleine invasion russe, des voisins ont pillé des maisons juives et en ont chassé les occupants. Une suite de méfaits du genre se déroule sur l’écran. Je ne veux pas répondre avec des « tout de même » et des « pourtant ».

J’ai entendu les grincements de dents quand le président Zelensky, s’adressant à la Knesset, a tordu le bras à l’histoire. Par ailleurs, untel me dit qu’il faudrait cautionner le déguisement, par le metteur-en-scène russe, en combattants nazis les femmes et enfants écrasés dans les décombres du théâtre de Marioupol bombardé. Pourquoi donc ? Parce que la prochaine fois qu’Israël frappe une base militaire nichée dans une école à Gaza, en disant que les victimes sont des combattants du Hamas… Tu auras compris!

La couverture de Vogue en a froissé plus d’un. En fait, il ne s’agit pas de fashion. Vogue se voit comme revue d’actualité haut de gamme! Mais la gêne ne se conteste pas. Aussi, les milliards versés par les Américains éveillent des soupçons : qu’est-ce qu’ils fabriquent au juste? Je ne cherche pas à imposer mon point de vue. J’écoute. Je réfléchis encore et toujours. Ai-je tort de reconnaitre des concordances entre Russes et Palestiniens opposés au monde libre ?

Je me tâte et ne vacille pas. Si les héros ne sont pas plus-que-parfaits et les victimes du terrorisme n’ont pas toujours été de mon côté, ça ne change rien aux forces en présence : la tyrannie contre la démocratie.

I stand with Ukraine. J’admire ce peuple qui se bat pour la liberté. Et dément le pronostique. Combien de fois ai-je vu, dessiné sur une carte, l’arc de la conquête regrettable mais inévitable ? Depuis les premières prévisions—l’armée ukrainienne va s’effondrer au bout de deux semaines—et jusqu’aux récentes spéculations—la guerre s’amenuisera à cause de l’opinion publique occidentale fatiguée—on tombe à côté de la plaque. La réalité est étonnante : au cœur de l’Europe, un pays réputé puissant ose verser sur un voisin souverain un orage de destruction bordélique et les démocraties, paralysées par le chantage nucléaire, ne peuvent pas y mettre toutes leurs forces pour stopper l’agression. L’Ukraine, avec l’aide militaire de ses alliés, est seule capable de se défendre et, en dernier lieu, de gagner.

On peut à la limite comprendre le scepticisme perplexe, mais d’où vient les cris rauques des intransigeants-indulgents ? « Ce n’est tout de même pas le conflit entre le Bien et le Mal ! » Ceux qui n’ont pas toléré le plus petit geste de dhimmitude, le moindre signe de faiblesse de nos dirigeants mal-aimés, reprennent à leur compte les exigences russes. D’accord, ils se méfient de la bien-pensance internationaliste comme de l’engouement pour la cause du dominé, mais ça ne s’arrête pas là. Ils accusent l’Ukraine de menacer la paix en Europe et l’ordre mondial. C’est normal, disent-ils, que la Russie se protège contre l’Ukraine–bras armé d’un Occident agressif–qui s’apprêtait à intégrer l’Otan.

Méga provocation ! Pas plus acceptable que les missiles russes à Cuba. L’Ukraine, disait le candidat sauveteur-de-la France, c’est la Galicie à l’ouest, la Russie à l’est et le petit garnement Zelensky est manipulé par l’Oncle Sam dans un jeu de rivalités qui ne nous concerne pas. Il aurait fallu, disent-ils, calmer les ardeurs de l’Ukraine, l’obliger à accepter le statut quo. Faute de quoi, elle va perdre le Donbass, Odessa et au-delà, jusqu’à la Transnistrie. La Russie aura son arc du nord au sud et son port sur la Mer Noire. Grâce au crâneur Zelensky.

Ces flèches sont lancées par une droite populiste qui se targue de défendre l’Etat-nation contre le multiculturalisme et de défendre l’Occident contre le jihad. Le nationalisme ukrainien, par contre, est une provocation et son commandant en chef, un petit clown manipulateur manipulé par l’Amérique du vieux Biden. Pour certains, l’Occident se trompe, encore une fois, à vouloir imposer la démocratie. La nation-building décriée. Ceux-là ne font pas la différence entre l’Irak, l’Afghanistan et l’Ukraine.

L’idole américain de cette droite isolationniste avait promis de mettre fin aux endless wars. Aujourd’hui il joue la géopolitique à reculons : « Si j’étais aux commandes, rien de cela ne se serait produit ». Le néo-realpolitik opte pour la solution à deux Etats : un Etat croupion, privé de ses richesses et un Etat prédateur, aménagé en tremplin pour conquérir l’autre moitié.
La Russie, énorme et immense, se prend pour un petit lapin menacé par l’Ukraine; les Palestiniens, soutenus par l’immense oumma, pleure la domination du superpuissant Etat juif.

J’essaie de comprendre les réticences de ceux qui calquent la solidarité populaire internationale avec l’Ukraine sur le Palestinisme dont on souffre tant. Mais moi, je vois l’Ukraine et Israël sur deux lignes de confrontation entre la civilisation et la barbarie. Dans les deux cas, le processus de paix mènera à la disparition de l’Etat légitime et souverain.

La sécheresse a exposé au fond du Danube des navires nazis et l’attentat inexpliqué, coutant la vie à Daria Dougina, dévoile les liens du père et de sa fille avec un courant du populisme international. On citera en vrac Marion Maréchal, Steve Bannon, Alain Soral, Alain de Benoist, Aymeric Chauprade sans oublier Viktor Orban, invité d’honneur au récent Congrès de la droite américaine (CPAC). On reconnaîtra des brins des thèses douginesques chez des parties et des candidats bien en vue. Je n’y vois pas un vaste complot militaro-idéologique mais plutôt une arborescence du style Facebook. Ce qui expliquerait, dans certains cas, des propos bizarres au sujet de la guerre contre l’Ukraine. On peut, à tort ou à raison, choisir de ne pas parler de « la guerre ». Par crainte de se faire berner, de prendre parti, de choisir son camp, de se tromper …
Faudrait-il se taire pour ne pas être bombardé d’adjectives ?
« …de géopolitologues murés dans leurs certitudes, de guerriers en peau de lapin aux artères tapissées de graisse qui seraient bien incapables de courir 100 mètres sans cracher un poumon et ou de contempler sans défaillir un corps sans vie, baignant dans son sang, démembré peut-être [….] Qui ne combat pas réellement, dans un camp ou dans l’autre, n’a que le droit de se taire, car celui-là ne va pas au bout de ses idées (s’il en a) ou de son engagement ».
Pas seulement ils parlent de ce qu’ils ne connaissent pas, ils découpent l’éthique à la hache :
« …ne pas disposer d’une autorité incontestable et quasi divine qui leur dise : ‘Voici le Bien, voici le Mal, choisis ton camp ».

Notre président en prend pour son grade :  » …[le] squatteur du l’Élysée… « , tout comme le nain prétentieux : « une nouvelle divinité le De Gaulle du moment en T-shirt kaki… « , mis dos à dos avec « le Napoléon des steppes ».

Cette attaque en règle vient d’un auteur qui ne s’exprime pas sur le conflit mais, horrifié par  » …une cohorte de vampires dansant autour du corps disloqué d’une jeune femme de trente ans à laquelle on ne peut personnellement imputer aucun crime, si ce n’est le délit d’opinion…  » et dégoûté par « les propos “chiés” par ceux qui se réjouissent » de la mort de Daria Dougina, « refuse de danser autour de la tombe de cette belle jeune femme ».

En conclusion, « Le père parle aussi en moi. “’No doubt the Russians love their children too ‘(Sting détourné) ».
En visant ceux qui dansent sur la tombe d’une belle jeune femme, l’auteur s’accorde le droit de parler de la guerre sans en parler. Hissé au-dessus des esprits simples qui croient choisir entre le Bien et le Mal, il se range, humainement, aux côtés du père endeuillé qui, à ses heures, prônait l’élimination des Ukrainiens.
Sans se demander comment a-t-on décidé de faire partir la fille dans la voiture du père … qui se savait, oui ou non, menacé ?

En effet, il n’y a pas de raison de danser sur la tombe de la belle et jeune Daria Dougina. Ni de s’agenouiller aux pieds d’une « philosophe » de l’impérialisme sauvage. Dans un entretien complaisant, Breizh Info gobe sans réserve le mélimélo sophiste de Daria Dougina qui enrobe d’un langage boursouflé « l’opération militaire spéciale » en Ukraine. De Platon au tiers-mondisme, Daria déverse des kilos de déchets pseudo-intello/ géopolitiques piqués de pépites d’antisémitisme qu’elle fait passer pour la pensée.

Au fond, qu’est-ce qu’ils nous vendent, ces Dougines père et fille ? l’Empire de la Grande Russie en waqf : là où nous avons mis les pieds, c’est à nous, inaliénable. Or, ça coince aux frontiers (en anglais dans le texte). L’Ukraine, par exemple.

La solution ? On efface la frontier, on impose notre néo-multilatéralisme et on avance vers la frontier suivante. Il y en aura toujours, jusqu’à la conquête totale, l’oumma à la russe.
L’entretien a été réalisé le 21 mai. Nous avons vu de nos yeux grands ouverts les faits et gestes, les crimes abominables, les atrocités commis par l’armée de Poutine depuis le 24 février. Daria, armée jusqu’aux dents de concepts entortillés, glorifie « l’opération militaire spéciale ».
Délit d’opinion ?
Quelques extraits de l’entretien publié :
Le fait d’être sous le coup de sanctions de la part des États-Unis, du Canada, de l’Australie et du Royaume-Uni est aussi un symbole que nous, les Douguine, sommes sur le chemin de la vérité dans le combat contre le globalisme.
Mes centres d’intérêt sont à la fois l’espace de civilisation européen et le Moyen-Orient, où une sorte de révolution conservatrice est en train de s’amorcer – de la confrontation constante de l’Iran avec l’hégémonie américaine ou de la lutte de la Syrie contre l’impérialisme occidental à la Turquie, qui montre aujourd’hui des tendances intéressantes d’éloignement de l’OTAN et du bloc géopolitique anglo-saxon et tente de construire sa politique étrangère sur une base multipolaire, en engageant un dialogue avec la civilisation eurasienne.

Pour moi, un sujet particulièrement important est le développement de la théorie d’un monde multipolaire.
La situation en Ukraine est précisément un exemple de choc des civilisations … mondialistes et eurasiennes…
Après la « grande catastrophe géopolitique » (comme le président russe a appelé l’effondrement de l’URSS), les territoires du pays autrefois uni sont devenus des « frontières » (zones intermédiaires) – ces espaces auxquels l’attention des voisins s’est accrue, l’OTAN et surtout les États-Unis étant intéressés à déstabiliser la situation aux frontières de la Russie.
Dans les années 1990, un travail cohérent a été initié avec les cadres des nouveaux gouvernements des nouveaux États – l’Ukraine ne fait pas exception. Les événements de 2014 en Ukraine, le Maïdan, soutenus avec tant de ferveur à la fois par Nuland et le fameux Bernard-Henri Levy, soldat de l’ultra-mondialisation, ont été un tournant en fait ils ont ouvert la porte à l’établissement d’un dictat mondialiste direct sur l’Ukraine.

De plus, les éléments libéraux et nationalistes, qui étaient plus ou moins neutres avant 2014, ont rejoint un front uni avec un agenda mondialiste et pro-américain. Pendant 8 ans en Ukraine, la russophobie a été cultivée par divers programmes et l’histoire a été réécrite, jusqu’au massacre physique des Russes : ces mêmes 8 années terribles pour le Donbass avec des bombardements quotidiens.

Le public français peut entendre la documentaliste Anne Laure Bonnel, témoin de ces 8 années à Donetsk, qui n’a pas peur de dire la vérité dans ses films et ses interviews.
Un certain nombre de pays du Moyen-Orient ont soutenu l’opération militaire spéciale de la Russie.
Quant à la réaction des Russes, la majorité écrasante soutient l’opération militaire spéciale. À leurs yeux, il s’agit d’une défense compréhensible des intérêts géopolitiques de la Russie et d’une lutte contre la russophobie, car un régime s’est formé à Kiev qui dénie aux Russes le droit à l’autodétermination (langue, culture, identité) et à l’existence…

Nidra Poller


Nidra Poller, née aux Etats-Unis dans une famille d’origine mitteleuropéenne et posée à Paris depuis 1972,  est une romancière devenue journaliste, le 30 septembre 2000, par la force des choses, dit-elle, par  l’irruption brutale, dans mon pays d’adoption, d’un antisémitisme génocidaire, Nidra Poller est connue depuis comme journaliste, publiée entre autres dans  CommentaryNational Review OnlineNY SunControversesTimes of IsraelWall Street Journal EuropeJerusalem PostMakor Rishon , Causeur,  Tribune JuivePardès …

Elle rédigea longtemps le vendredi une Revue de la Presse anglophone pour la newsletter d’ELNET.

Elle est l’auteur d’une œuvre élaborée en anglais, en français, en fiction et en géopolitique, dont L’Aube obscure du 21e siècle (chronique), madonna madonna (roman), So Courage & Gypsy Motion (novel)

J’assume la contradiction, ajoute Nidra, me disant romancière mais pas auteure.

Observatrice des faits de société et des événements politiques, elle s’intéresse particulièrement aux conséquences du conflit israélo-palestinien et aux nouvelles menaces d’antisémitisme en France. Elle fait partie des détracteurs de Charles Enderlin et France 2 dans la controverse sur l’Affaire Mohammed al-Durah  et soutient la théorie d’Eurabia (en particulier avec Richard Landes).

Elle a fondé les Éditions Ouskokata.

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