Tribune Juive

Un collectif d’universitaires : « Non aux professeurs low cost voulus par Macron ! »

Selon des universitaires réunis autour de l’Observatoire du décolonialisme, recruter des futurs professeurs dès le bac représenterait « un bond en arrière consternant ».

Le président français Emmanuel Macron (à droite) à la Sorbonne à Paris, le 25 août 2022

Quelle serait la légitimité d’un professeur de lettres low cost qui ne serait jamais allé à l’université ? Bien faible. C’est pourtant l’ornière dans laquelle Emmanuel Macron semble vouloir engager la France.

Nous souhaitons alerter l’opinion sur les propos tenus par le président de la République sur la formation des enseignants lors de son intervention devant les recteurs d’académie ce 25 août. Il évoque notamment un effondrement de la formation des enseignants pour pallier les difficultés de recrutement des professeurs mises en scène dans la presse depuis maintenant plus de trois mois. Il explique la solution miracle : « Il est clair que nous devons repenser la formation de nos enseignants. On a demandé des diplômes universitaires excessifs. Il faut assumer que des gens s’engagent dès le baccalauréat dans ce beau métier ».

Cette proposition est une pente dangereuse sur laquelle le gouvernement ne devrait pas s’engager.


Autrefois, il est juste de rappeler que les instituteurs étaient recrutés avec un niveau bac à la sortie des écoles normales. C’étaient d’excellents instituteurs. C’était avant la massification de l’enseignement ; c’était pour les métiers de l’enfance ; c’était avant l’effondrement du baccalauréat dont la presse ne cesse d’annoncer la suppression depuis une décennie et que l’on s’évertue à défaire.

Ces instituteurs étaient d’ailleurs d’excellents fonctionnaires qui sortaient de l’école avec les salaires de la catégorie B, ce qui engendrait une disparité avec les professeurs du second degré recrutés, quant à eux, avec une licence et étaient catégorie A de la fonction publique. Depuis cette époque, la France a fait de considérables efforts pour uniformiser la fonction des professeurs en intégrant tout le premier degré dans le même corps des professeurs où tous les fonctionnaires sont titulaires d’une licence universitaire dite « d’enseignement ». On a donc beau jeu « en même temps » d’annoncer qu’il n’y aurait plus d’enseignant qui gagnerait moins de 2000 euros par mois : soit les licences d’enseignement proposées par les universités après le bac en trois ans sont le lieu de cette préparation, et l’on n’a rien dit ; soit on envisage de créer des écoles parallèles pour la formation des enseignants, et c’est peu productif.

Une pierre, deux coups

La proposition du président de la République vise à détruire ce qui a été fait et à faire régresser tous les professeurs au même rang que les instituteurs d’il y a plus de quarante ans. Ce serait un bond en arrière consternant, et une régression extraordinaire. A l’heure où l’on ne cesse de rappeler que les professeurs français sont les plus mal payés au sein de l’OCDE, voilà qu’on envisage encore de les faire plonger dans la catégorie indiciaire. Les Français sont-ils prêts à confier leurs enfants aux 90% d’une classe d’âge qui ont obtenu ce diplôme ? Rien n’est moins sûr.

Au problème des économies de bout de chandelles vient s’ajouter celui de la casse de l’université. En débrayant la formation des enseignants de l’université, on vide de sa substance tout le supérieur en même temps qu’on délégitime les enseignants : une pierre, deux coups.

Dans une tribune du Figaro parue le 23 janvier 2008 intitulée « Tant vaut le maître, tant vaut l’école », Antoine Compagnon analysait les effets de la réforme Fillon et concluait en rappelant ce principe de bon sens : « Il est plus urgent de fortifier les licences générales préparant des professeurs des écoles polyvalents, et de compléter leur formation initiale par une formation continue leur donnant les moyens de faire réussir une bonne moitié des élèves qui entrent aujourd’hui au CP sans espoir. »

Renforcer le processus de sélection

Voilà que le président Macron, qui a pourtant lui-même engagé une réforme dans le recrutement des enseignants imposant une année d’étude supplémentaire pour passer le Capes, prend le contre-pied de tout ce qui a été fait. Et d’insister dans le même temps sur la notion floue de « projets » face à la crise de l’éducation en se défaussant sur les « acteurs de terrain »… Favoriser les projets d’écoles revient en réalité à édulcorer le projet de l’école républicaine.

L’avantage est très simple pour le ministère : en recrutant des enseignants formés en dehors des licences d’enseignement qui existent déjà, il s’offre la possibilité de manoeuvrer les salaires et de doubler la capacité de recrutement afin d’atteindre artificiellement ses objectifs managériaux. En agissant ainsi, le gouvernement qui prendrait cette décision effondrerait définitivement le service public de l’école.

Nous invitons donc le gouvernement à se saisir de cette opportunité pour renforcer le processus de sélection du baccalauréat à l’entrée des universités, à réinvestir les universités de la formation des enseignants et à protéger les licences d’enseignement des influences parasites.

Premiers signataires :

Xavier-Laurent Salvador (maître de conférence, président du LAIC et co-fondateur de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires), Pierre Vermeren (professeur, président du Conseil scientifique du LAIC), Philippe de Lara (maître de conférence), Albert Doja (professeur des universités), Pierre-André Taguieff (professeur et philosophe), Violaine Géraud (professeur des universités), Dominique Triaire (professeur des universités), Eric Desmons (professeur des universités), Sami Biasoni (essayiste, docteur en philosophie), Bruno Sire (professeur des universités), André Quaderi (professeur des universités), Bérénice Levet (docteur en philosophie et essayiste), Jean-Marie Brohm (professeur des universités émérite), François Vazeille (directeur de recherche émérite), L’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires.

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