Qu’est ce qui fait l’originalité de HaTikvah, l’hymne israélien? C’est un des rares hymnes qui ne comporte pas d’inflexion martiale, s’interprète en mode mineur, dans un mouvement d’une fluidité émouvante, explique Théa Herz en introduction de la conférence sur l’histoire de cet hymne, à laquelle j’ai eu le plaisir d’assister. Une conférence qui évoque l’histoire du texte et de la mélodie, pour s’achever sur quelques unes de ses interprétations les plus remarquables.
Le texte
Il est écrit par un poète un peu bohème, Naftali Imber, né en 1856 en Galicie austro-hongroise, en plein coeur du « Hassidland ». Enfant prodige mais turbulent, le jeune Imber quitte sa famille à l’âge de 15 ans pour entreprendre un périple vers l’est, qui le mènera en Palestine, en compagnie du couple formé par Lady Alice et Sir Laurence Oliphant, adeptes du retour des juifs à Sion. Pour Imber, influencé par les mouvements qui prônent un tel retour et qui correspondent à l’époque de la première Aliya, le peuple juif ne doit pas se résigner à l’exil: il met son credo par écrit, ce qui donne « Tikvaténou », un poème en deux strophes, qui fera le tour des villages où se sont installés les premiers pionniers.
En 1887, un certain Samuel Cohen arrivé de Bessarabie, propose de lui accoler une mélodie issue d’un chant moldave, et qui évoque les temps anciens, d’avant la révolution industrielle, où l’on circulait en chars à boeufs. La mélodie colle bien, le titre est changé en « Hatikva », et les deux strophes sont inversées pour donner plus de logique. La chanson devient l’hymne des Yichouvim, comme à Rehovot.
C’est à partir du 5e congrès juif mondial que les congressistes prennent l’habitude de l’interpréter. Herzl n’avait pas prévu d’hymne sioniste, et aurait préféré quelque chose de plus martial, plus politique, plus « Marseillaise », que cette mélodie un peu triste. Les dernières touches sont apportées au texte, progressivement, et lors de la déclaration d’indépendance, HaTikva est entonné par les participants avant la proclamation officielle par David Ben Gourion.
Ce n’est pourtant pas encore l’hymne officiel de l’état d’Israël: il faudra attendre 2004 et une loi proposée par le député druze Ayoub Kara, pour que HaTikva devienne officiellement l’hymne de l’Etat d’Israel, près d’un siècle après la mort de Naftali Imber, décédé en 1909 à New-York. Ses restes ont été transférés en Israel en 1953.
La mélodie
La mélodie est bien connue, et je croyais jusque là que son auteur s’était inspiré de la Moldau, poème symphonique du compositeur Tchèque Smetana. Mais c’est plus compliqué que cela. Smetana lui-même reconnaissait s’être inspiré de différents airs populaires d’Europe de l’Est. Mais desquels?
Thea Herz opère alors un remarquable voyage musical au travers de toutes les sources dont peut se revendiquer HaTikva. En commençant par la France, et Camille Saint-Saëns, dont la rhapsodie sur des cantiques bretons ressemble énormément au motif de la Moldau.
Ou bien est-ce le cantique 171 (ô prends mon âme) qui lui ressemble tant?
Difficile de répondre. Car à y regarder de plus près, ces airs ne seraient-ils pas inspirés, eux-mêmes… de la 8e variation de « A vous dirais-je maman », que composa Mozart en 1785 (passer à la minute 6:56)?
Mozart lui-même n’aurait-il pas fait un emprunt à Louis-Claude Daquin, claveciniste et organiste du roi et son Noël Suisse (1757)?
Ce serait oublier que la famille de Daquin est d’ascendance juive, d’Aquino, et que là-bas, ses grands-parents ont pu être exposés à la musique du Ballo di Mantova.
D’ailleurs, on retrouve des traces de cette mélodie dans l’interprétation de deux poèmes liturgiques: Ygdal, interprété à Hambourg avec cette même musique, et le Tikoun HaTal des communautés espagnoles et portugaises.
Cette origine est illustrée par la pianiste Astrith Baltsan dans l’interview qu’elle donne dans cette vidéo.
Des interprétations historiques
Le web regorge d’interprétations historiques de HaTikva. En voici quelques unes, mentionnées par Thea.
La soprano Alma Gluck et le violoniste Efrem Zimblalist, dans ce qui semble être la première interprétation enregistrée sur un disque, paru en 1918.
Al Jolson, l’interprète de Jazz Singer
Les enfants d’une école de Munkacs, en Hongrie, en 1933. Peut-être l’interprétation la plus poignante, quand on pense à ce qui s’est produit en Europe quelques années plus tard. Il y a quelques jours, la télévision israélienne a diffusé un documentaire étonnant, où quelques vieillards israéliens – rescapés ou ayant pu fuir à temps? – se retrouvaient sur ces images.
L’interprétation terrible quelques jours à peine après la libération du camp de Bergen-Belsen, avec l’aide d’un chaplain de l’armée britannique.
L’interprétation qui suivit la déclaration d’indépendance par David Ben Gourion, en 1948, quelques minutes avant l’entrée de shabbat.
Leonard Bernstein lors d’un concert donné peu après la gierre des six jours, sur le Mont Scopus.
Enfin, Thea conclut par cette remarque, très juste: nous avons tous, en nous, une interprétation de HaTikva que nous portons toute notre vie. Laquelle? Cela dépend de ce que vous avez vécu jusque là…
Update:
Un remarquable article pointé par El Mahdi El Mhamdi, sur une interprétation tunisienne de HaTikva, au début du siècle dernier.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Une très belle aventure pour un hymne national qui relate à la perfection le voyage d’un peuple , d’une nation errante parmi les nations .
Une très belle histoire à diffuser. Sans oublier que nous sommes et seront toujours présents parmi les nations et les peuples .
En effet, Sarah, ce qui me plaît le plus dans Hatikvah c’est, justement, que l’hymne est dépourvu de toute intonation martiale.
D’ailleurs, à chaque fois que je l’entends, et c’est plus fort que moi, j’ai des larmes aux yeux, en rapport sans doute avec les multiples épisodes tragiques subis par les Juifs.
Article remarquable, qui nous fait découvrir des interprétations si belles ou si émouvantes.