Non, pas que dans la nostalgie, et encore moins les regrets.
Passé un certain âge, la vie n’est plus faite de ce que vous n’avez pas encore à faire mais de ce qui vous est encore permis et possible de faire.
Vieillir, c’est être enragé, révolté, sauvage, être en colère et surtout passionné.
Vieillir, ce n’est en rien renoncer.
Vieillir, ce n’est pas devenir raisonnable, surtout pas.
Vieillir, c’est se libérer de ce qui nous a encombré.
Vieillir, ce n’est plus attendre quoi que ce soit de ce que vous n’aimiez pas et que vous avez tout de même fait parce que vous y étiez obligé.
Vieillir, c’est ce n’est en rien accommoder ce qui nous reste.
Vieillir, c’est rejeter l’invisibilisation dans laquelle nous plongent les nôtres, les autres et la société.
Vieillir, c’est résister à l’image que l’on donne de nous.
Vieillir, ce n’est surtout pas vivre en solde, ne pas être un objet périmé.
Vieillir, c’est jouir, aimer, savourer chaque instant qui s’offre à nous.
Vieillir, c’est être là, debout pour savourer les matins calmes….
Vieillir, c’est regretter déjà la nuit qui s’avance pour espérer le jour qui revient
Pour moi vieillir voyez-vous c’est avoir d’autres projets, je vous le dis, je vais aimer, baiser, boire et fumer à en crever de bonheur …..
Je vais m’inventer d’autres horizons plus lointains, je vais les repousser, je vais chercher d’autres cieux encore plus vastes et précieux…
J’irais boire à toutes les sources, me baigner à toutes les eaux, courir dans les bois, je passerai ma main sur tous les troncs d’arbres, je caresserai toutes les écorces…
Je veux lire et relire tous mes classiques, relire Hugo, Stendhal, Zola, Molière, Vian, je déconseillerai à Camus de remonter de Lourmarin en voiture avec Gallimard ce fichu 2 janvier 1960, j’irais revoir Char à l’île sur la Sorgue, je relirai tout Aragon et surtout Les Yeux d’Elsa, je serai là pour retenir la main de Zweig à Petrópolis en 42, et je redirais à Maryline et à Dalida que la vie est bien au-dessus de tout…
Je voudrais écouter Mendes France et lui dire que nous le regrettons, revoir Jaurès et Blum, féliciter le Général De Gaulle et Churchill, dire à Jean Moulin, Jean Zay, Georges Mandel, et Pierre Brossolette que sans eux nous ne serions pas là. Je voudrais embrasser tous les résistants de la terre, réécouter John Kennedy à Berlin, et détourner la balle qui l’a abattu à Dallas, embrasser Martin Luther King et Mandela, et leur dire combien ils nous manquent…
Je voudrais tout à la fois être juif avec les juifs, chrétien avec les chrétiens et musulman avec les musulmans, mais aussi Libre penseur et athée avec les athées.
J’aurais été résistant en 40, je n’aurais pas hésité à rejoindre le maquis, j’aurais été un Juste parmi les Justes entre 39 et 45, et un policier français humain en juillet 42 lors de ces 2 jours maudits de la rafle des Juifs, être un sauveur d’humanité oui, mourir pour mes idées, si seulement j’avais pu être tout cela en même temps, tout cela à la fois…
J’aurais aboli l’esclavage bien plus tôt, j’aurais relâché tous les prisonniers politiques, réconcilié tous les peuples et frères ennemis. Je me battrais pour abolir la peine de mort dans le monde, déclarer illégales toutes les injustices, et libérer aussi les animaux de la servitude, de l’esclavage, les cobayes de laboratoires, interdire les Zoos mal famés, et les cirques aux numéros animaliers …
J’aurais été artisan juste pour pouvoir effectuer des travaux dans le cabinet de Freud, j’aurais sauvé Nietzsche de sa folie, et été la femme de ménage de Beethoven et puis j’aurais ciré les pompes de Mozart, Chopin, Bach et Haendel pour juste écouter quelques notes.
Que n’aurais-je pas donné pour revoir Gérard Philippe à Avignon jouer le Prince de Hombourg, courir les premières de la Calas à la Scala et revoir Léontine Price à Garnier dans la Force du Destin du grand Verdi…
Et puis dormir à la belle étoile après un concert à Bayreuth, flâner à Persépolis, et me perdre dans le temple Philae en quête de la déesse Isis pour comprendre ses mystères.
Défendre l’idée d’Epicure sur le plaisir de l’existence, suivre les cours d’Aristote dispensés au jeune Alexandre, avoir inspiré à Platon son Allégorie de la caverne, retenir la lame de Sénèque avant qu’il ne s’ouvrît les veines, et renverser la fiole de cigüe avant que Socrate ne l’eût avalée.
Revoir Piaf à l’Olympia et pleurer au son de sa voix, serrer la main de Reggiani dans Casque d’or, et aller revoir Ferrat à Antraigues, suivre Ferré en Toscane, et voir un jour avec Mouloudji, suivre le métèque Moustaki dans Alexandrie, entendre Béart chanter les Eaux vives, déjeuner avec Montand et Signoret à la Colombe d’Or, puis tous les embrasser et les remercier pour ces moments de grâce et enfin écouter seul la divine Barbara et aller ensuite baiser ses mains au bord de son piano noir.
Venir me pencher sur le dos de Cézanne en face de la Sainte Victoire, tendre ses pinceaux à Picasso, ramasser la veste de Manet, suivre et peut-être surprendre Van Gogh dans un café en Arles… Être une petite souris dans l’atelier de Vinci, porter de l’eau à Michel-Ange sur ses échafaudages dans la chapelle Sixtine, poser pour Renoir, et admirer Raphaël au travail…
Aller revoir Rome, Athènes et Jérusalem au soleil et sous la pluie, redécouvrir Paris au mois de mai, naviguer en gondole à Venise dans la brume et chercher une main qui ne se tend pas, filer à vélo à Amsterdam dans le brouillard, revoir le Machu Picchu pour enfin comprendre son mystère, marcher dans Moscou et Saint Pétersbourg sous la neige à la recherche de Nathalie…. et enfin me coucher sur le sable chaud d’Alexandrie, écouter les sirènes de son phare, cette Alexandrie des jours anciens, désormais révolus et évanouis…
Je voudrais goûter de tout et à tout, dévorer l’impossible, croire à l’irréel, comprendre le surnaturel, et puis courir sur les crêtes et porté par les vents, me jeter dans le vide.
Je me promets de ne plus perdre mon temps, ce temps précieux qui me reste à vivre, de passer des moments avec moi-même, et d’éviter la compagnie des inutiles, ces pollueurs d’existences.
Je veux voir grandir mes enfants, serrer dans mes bras mes petits-enfants, ne pas oublier l’odeur de peau si particulière de ma mère et les rires et l’autorité naturelle de mon père, dormir le plus longtemps possible auprès de ma compagne, me souvenir de tous les miens et ne pas oublier mes morts…
Non, je ne voudrais pas mourir avant d’avoir connu les chiens noirs du Mexique qui dorment sans rêver, les singes à cul nu dévoreurs de tropiques, les araignées d’argent au nid truffé de bulles.
Je ne voudrais pas crever avant d’avoir tâté le goût qui me tourmente, le goût qu’est le plus fort, je ne voudrais pas crever avant d’avoir goûté la saveur de la mort…
PTAH
Fils d’Alexandrie, de Memphis, de Jérusalem, d’Athènes, de Rome et des Lumières.
Inspiré par L. Adler et B. Vian…
Août 2022 Marsanne en Drôme provençale
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