RÉCIT – Visé par une fatwa de Khomeini en 1989, l’auteur des Versets sataniques a été attaqué ce vendredi sur scène dans l’État de New York.
Cet article a été publié dans Le Figaro le 21 août 2020.
“Au nom de dieu tout-puissant. Je veux informer tous les musulmans que l’auteur du livre intitulé Les Versets sataniques, aussi bien que ceux qui l’ont publié, ont été condamnés à mort. J’appelle tous les musulmans zélés à les exécuter rapidement, où qu’ils les trouvent…” Le 14 février 1989, tandis que le monde occidental découvre le sens du mot fatwa, Salman Rushdie pense qu’il ne verra jamais grandir son fils. Sur les ondes de Radio Téhéran, l’ayatollah Khomeini vient de lancer un appel à tous les musulmans pour tuer l’écrivain ainsi que ses éditeurs.
“Écrire un livre, c’est conclure un pacte faustien à l’envers. Pour gagner l’immortalité, ou du moins conquérir la postérité, on perd, ou du moins on compromet, sa véritable existence quotidienne”. Tout au long de l’écriture des Versets sataniques, Rushdie avait gardé cette note punaisée au-dessus de son bureau. Il ne se doutait pas à quel point ces phrases allaient se révéler prémonitoires. Il ne pouvait pas imaginer que son troisième livre allait le condamner à une vie de proscrit, faire de lui un “homme mort”.
Les Versets sataniques, publié en Grande-Bretagne le 26 septembre 1988, devait être le livre de la consécration pour cet écrivain britannique de 41 ans d’origine indienne qui avait connu une ascension fulgurante. Sept ans auparavant, en 1981, Rushdie avait reçu le prestigieux Booker Prize pour sonpremier livre, Les Enfants de minuit.
Pour lui, la religion n’était qu’un aspect de son histoire et Les Versets sataniques “un roman sur le déracinement de l’immigré“. Mais pour une partie du monde musulman, il s’agissait d’une insulte au Coran, d’un blasphème. Le roman tire son titre de la légende selon laquelle des versets, retirés duCoran, auraient été inspirés à Mahomet par le diable lui-même.
Rushdie fait du prophète une figure comique qu’il appelle Mahound. Il y a aussi cette scène dans une maison close où les prostituées s’amusent à prendre les noms des épouses de Mahomet pour provoquer leurs clients…
Un “homme à abattre”
Un mois après sa parution, le livre est interdit en Inde, où est né l’écrivain, puis en Afrique duSud, au Pakistan, et presque partout au Maghreb et au Moyen-Orient.
Rushdie est devenu “Satan Rushdie“, un auteur représenté avec les cornes du diable sur des pancartesbrandies par des manifestants dans des pays lointains. “Pendez Satan Rushdie“, peut-on y lire. Bien avant Twitter, les fax et les télex circulent d’un pays à l’autre, d’associations religieuses en mosquées. Le 14 janvier 1989, c’est à Bradford, ville du Yorkshire comptant à l’époque le plus grand nombre de musulmans en Grande-Bretagne, qu’on entend ce type de slogan. La foule réunie devant la mairie, plus d’un millier de personnes, tous des hommes, a cloué un exemplaire du livre sur un morceau de bois puis l’a immolé. Pourtant, les autorités ne réagissent pas.
“L’islam, c’est la paix“, martèle Mohamed Ajeeb, conseiller municipal de Bradford tandis que plusieurs figures parlementaires du parti travailliste se rangent du côté des manifestants allant jusqu’à proposer le rétablissement de lois sur le blasphème. Le lendemain, la plus grande chaîne de librairies de Grande-Bretagne, WHSmith, retire le livre des rayons de ses magasins. Après l’annonce de la parution américaine le 12 février 1989, à Islamabad, dix mille Pakistanais tentent d’incendier le Centre culturel américain.
“J’ai compris que d’autres écrivains, artistes et intellectuels se‐ raient forcément visés, et dans le monde entier”. Salman Rushdie
Mais pour Salman Rushdie, tout bascule deux jours plus tard lorsque l’ayatollah Khomeini lui offre ce cadeau si spécial pour la Saint-Valentin. Ce matin-là, c’est une journaliste de la BBC qui lui apprend par téléphone la terrible nouvelle. “Qu’est-ce que ça fait d’êtrecondamné à mort?” Le sol se dérobe sous ses pieds, mais, mi-gentleman britannique, mi-sage indien, il conserve tout son flegme. Comme prévu, il se rend aux obsèques d’un ami écrivain dans une église orthodoxe de Londres. “J’imagine qu’on reviendra ici pour toi la semaine prochaine, Salman“,lui lance sur le ton de la plaisanterie le romancier Paul Theroux durant la cérémonie. Après celle-ci, Rushdie sera pris en charge par des officiers de protection et ne rentrera jamais chez lui. Avec une prime d’un million etdemi de dollars sur sa tête, la menace contre lui était de “niveau deux”. Cela signifiait qu’il était considéré comme plus en danger que n’importe qui d’autre dans le pays, à l’exception peut-être de la reine… Les six premiers mois, il changera 56 fois de domicile.
Le monde de la littérature ainsi que l’establishment britannique se divisent. Malgré les menaces, le livre est publié dans de nombreuses langues et des écrivains, comme Tom Wolfe, en organisent des lectures publiques. Stephen King va jusqu’à interdire aux libraires qui tenteraient de supprimer Les Versets sataniques de leurs rayons de vendre ses propres best-sellers. Mais bien d’autres (John Le Carré, Roald Dahl) l’accuseront de “l’avoir bien cherché“,d’être un “opportuniste” en quête de publicité. Bien avant le triomphe des thèses intersectionnelles, la “féministe” Germaine Greer ira jusqu’à lui reprocher d’être un traître à sa communauté: “Rushdie est un mégalomane, un Anglais pur sucre, mais avec la peau foncée”. Rushdie n’est reçu ou visité par aucun membre du gouvernement Thatcher. Après l’avoir longtemps soutenu, ses éditeurs refuseront de publier Les Versets sataniques en livre de poche ainsi que son manuscrit suivant, Haroun and the Seaof Stories.
En 1991, Ettore Capriolo, le traducteur italien des Versets sataniques, est grièvement blessé dans unattentat. Le traducteur japonais, Hitoshi Igarashi, mortellement poignardé. En 1993, l’éditeur norvégien du livre, William Nygaard, écope de trois balles dans le dos. Son traducteur turc, Aziz Nesin, échappe à un incendie criminel qui cause la mort de 37 personnes.
Rushdie lui-même fait l’objet d’une vingtaine de tentatives d’assassinat. Il restera caché jusqu’en 2002.
Dans sa puissante autobiographie, intitulée Joseph Anton, il fait le récit de ces treize années de vie reclus: il y raconte la terreur au quotidien, le sentiment d’injustice et de frustration, les changements de planque chaque semaine, l’humiliation de devoir porter une perruque, le parcours du combattant pour continuer à voir son fils, l’impossibilité de construire une vie de couple, et ce mélange étrange d’absolue solitude et d’absence d’intimité. “Je n’étais pas habitué à voir quatre policiers dans ma cuisine, c’était quasiment de la claustrophobie“,se souvient-il. Rushdie devient en quelque sorte l’un des personnages de ses romans, étranger à lui-même, affublé de multiples identités. Il disparaît derrière le pseudonyme de Joseph Anton composé des prénoms des écrivains Joseph Conrad et Anton Tchekov que Rushdie admire.
Tchekov, le maître de la solitude et de la mélancolie. Conrad, dont le héros du Nègre du Narcisse dit: “Je dois vivre jusqu’à ce que je meure, n’est-ce pas?” Une phrase qui devient comme une devise pour Rushdie à l’époque. La fatwa lancée par Khomeini n’a pas été levée. La prime pour sa tête a même augmenté. Mais Rushdie porte un regard teinté d’ironie sur sa propre tragédie.
Cette fatwa lui a donné accès à des choses dont un écrivain fait rarement l’expérience, explique-t-il: 80.000 personnes l’acclamant dans un stade lors d’un concert du groupe U2, des histoires d’amour improbables avec des femmes qui, dans d’autres circonstances, ne l’auraient même pas regardé. “Même dans les événements littéraires les plus réussis, il y a beaucoup moins de top-modèles“, s’amuse-t-il, conscient de “l’attrait de la dangerosité” qu’exerce la fatwa.
Devenu citoyen américain et résidant à New York, il refuse désormais de vivre caché bien qu’il demeure sous protection policière permanente. La fatwa ne l’a pas empêché d’écrire. Il a poursuivi la construction de son œuvre riche aujourd’hui d’une quinzaine de romans et que beaucoup jugent nobélisable. Pour les admirateurs de l’écrivain, c’est la preuve que les mollahs ont perdu la bataille.
Vraiment? Rushdie lui-même pense au contraire que ce qui lui est arrivé n’était que le début d’une immense régression: le prologue d’une ère de terreur et de censure…
Cauchemar prophétique
“Cette fatwa sonnait comme un micro-évènement alors qu’elle était l’un des premiers grands défis que lançait l’islam à l’Occident. Quelque chose de nouveau était en train d’arriver, écrit Rushdie. Cela se répandait à la surface de la Terre, mais personne ne voulait le savoir. Un nouveau mot avait été inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugles: islamophobie”. Dans son livre, Rushdie raconte ce cauchemar prophétique qu’il a fait à plusieurs reprises et qui n’est pas sans rappeler Les Oiseaux, d’Alfred Hitchcock: un merle isolé vient se poser dans la cour d’une école. Puis il en arrive d’autres. Dans l’école, les enfants chantent. Il y a maintenant des centaines de merles dans la cour et enfin ce sont des milliers d’oiseaux meurtriers qui vont emplir le ciel tout entier. “J’ai compris que j’avais été attaqué non par un merle solitaire, mais par une nuée d’oiseaux noirs: d’autres écrivains, artistes et intellectuels seraient forcément visés, et dans lemonde entier”.
Rétrospectivement, la fatwa a ouvert la voie au 11 Septembre, à l’assassinat de Théo van Gogh à Amsterdam, et aux massacres perpétrés à Charlie Hebdo, au Bataclan ou à Nice…
La réaction du monde politique et intellectuel français à l’affaire à l’époque des faits est éclairante. Le 26 février 1989, plus d’un millier de manifestants, Maghrébins, Turcs, Pakistanais, Afghans, s’étaient réunis dans les rues de Paris aux cris d’“À mort, Rushdie!“, “Nous sommes tous khomeynistes!“, priant en public place de la République. Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur, s’était félicité que la manifestation se soit terminée dans le calme. Jacques Chirac, alors maire de Paris, déclarait: “Je n’ai aucune estime pour Rushdieni pour les gens qui utilisent le blasphème pour se faire de l’argent. Quand on déchaîne l’irrationnel, il ne faut pas s’étonner de la suite des choses”. Les associations musulmanes “modérées” portaient plainte contre la publication du livre en France tandis que le recteur de la grande mosquée de Paris affirmait: “N’ayant pas lu le livre, je ne peux que prendre une position de principe, qui est de condamner toute atteinte à l’honneur et à la sainteté du Prophète“.
L’actrice Isabelle Adjani avait été une voix dissonante. Lors de la remise des César, le 4 mars 1989,elle avait lu un passage des Versets sataniques. En 2014, elle reconnaîtra cependant que la peur avait changé désormais de camp: “Hélas! À moins de mettre volontairement ma tête sur le billot, je ne pourrai plus faire ce genre de provocation symbolique”.
Pourrait-on encore aujourd’hui écrire un livre comme Les Versets sataniques et le publier?
Alexandre Devecchio
Bio express
19 juin 1947. Naissance à Bombay.
1960. La famille de Salman Rushdie quitte l’Inde pour le Royaume-Uni. L’adolescent étudie à laRugby School, puis au King’s College, à Cambridge.
1981. Salman Rushdie reçoit le prix Booker pour son roman Les Enfants de minuit.
14 février 1989. Prenant la parole sur Radio Téhéran, Khomeini prononce une fatwa contrel’écrivain.
2007. Rushdie est anobli par la reine d’Angleterre. Le Pakistan et l’Iran protestent.
2012. Parution de l’autobiographie de l’écrivain, Joseph Anton.
En Novembre 2017 j’écrivais l’article suivant et préconisait ce qu’il fallait faire avec la Fatwa de l’ayatollah Khomeini, qu’il brûle en enfer!!!
https://resistancerepublicaine.com/2017/11/27/la-troisieme-guerre-mondiale-a-commence-le-14-fevrier-1989/
Mais comme prévu les occidentaux, engoncés dans leur lâcheté n’ont pas bougé. ET C’EST POUR CELA QUE LA 3ÈME GUERRE MONDIALE A COMMENCÉ…CAR COMME AVEC HITLER NOUS N’AVONS PAS BOUGÉ. RÉSULTAT: 60 MILLIONS DE MORTS. COMBIEN CETTE FOIS-CI???