Pauline Brault. La « solastalgie », cette déprime climatique qui nous ronge

Un lac devenu sec, une forêt brûlée et des souvenirs de ces lieux qui partent en fumée. La solastalgie est l’un des symptômes des dégats causés par la crise climatique sur notre santé mentale.

La solastalgie porvoque du chagrin et de colère face à des paysages détruits par le changement climatique. BERKO85 VIA GETTY IMAGES

ENVIRONNEMENT – « Le mal du pays c’est la nostalgie du pays que l’on quitte, tandis que la solastalgie c’est le pays qui nous quitte », définit Alice Desbiollesmédecin de santé publique, interrogée par Le HuffPost. Depuis le début de l’été, la canicule et la sécheresse embrasent les cultures, assèchent les rivières et les feux brûlent les forêts. Face à ces paysages métamorphosés, vous avez peut-être ressenti un sentiment de perte. Cette souffrance a un nom : la solastalgie.

Inspiré de la « nostalgie », ce néologisme a été inventé en 2003 par le philosophe australien Glenn Albrecht pour définir la souffrance ressentie face à des paysages détruits par le changement climatique. Étymologiquement le terme vient de l’anglais « solace » (réconfort) et d’algie (douleur), soit la perte de ce qui nous réconforte. C’est dans son ouvrage Les émotions de la Terre (French Edition) paru en 2020 qu’il développe ce concept selon lequel la santé humaine serait liée à celle de son environnement. Depuis, la solastalgie est devenue un sujet de recherche dans le monde entier et émerge même dans la littérature grand public.

« Une vague de chaleur s’accompagne souvent d’une vague d’éco anxiété »

Tout le monde peut être touché, quel que soit son niveau d’expertise ou son intérêt pour les questions environnementales. Souvent insidieux, les symptômes ne sont pas toujours perceptibles et apparaissent lentement avec le temps. « C’est tout un cheminement lié à des informations scientifiques, d’actualités que l’on va observer mais aussi à des évènements que l’on va traverser comme des canicules exceptionnelles et des sécheresses », détaille Alice Desbiolles, auteure de L’éco-anxiété : Vivre sereinement dans un monde abîmé (Fayard)

Mais parfois la prise de conscience est beaucoup plus rapide. Un seul événement peut nous faire ressentir du chagrin, de la colère ou de la frustration.Le déclic peut survenir à la vue d’un paysage d’enfance dévasté par l’homme que ce soit par la construction d’un parking ou d’un supermarché à la place d’une friche, d’un jardin ou d’une forêt. D’autres fois, c’est un événement climatique extrême, comme une sécheresse et une canicule.

« Ce que l’on observe de manière empirique c’est qu’une vague de chaleur s’accompagne souvent d’une vague d’éco anxiété et ça pourrait tout à fait être le cas après cet été, poursuit la docteure, pour certains les symptômes apparaissent, pour d’autres ils s’aggravent ».

Pour éviter de tomber dans cette déprime climatique, certains ont changé leur destination de vacances au dernier moment pour s’évader en famille dans un lieu encore vert, comme Simon Gascoin,hydrologue et chargé de recherche au CNRS : « On n’avait pas envie de voir des cours d’eau asséchés et des champs brûlés en Italie, alors on a préféré changer nos plans et partir au nord de l’Espagne, dans un endroit encore préservé de la sécheresse », raconte-t-il au HuffPost.

Les experts du climat sont particulièrement vulnérables 

Déjà soumis à des images accablantes au quotidien, celui qui est devenu hydrologue par « passion du cycle de l’eau » n’avait pas envie « d’en rajouter une couche ». Jamais il n’aurait pensé que le changement climatique deviendrait la toile de fond de toutes ses recherches. Dans les Pyrénées où il travaille, il observe impuissant les derniers glaciers disparaître, et cela n’arrange rien à sa souffrance. Un glacier qui fond, « c’est un emblème des paysages de hautes montagnes qui s’en va, c’est le même déchirement que lorsque la cathédrale de Notre-Dame de Paris est partie en fumée. »

Ce « mélange de tristesse et de nostalgie » face à la fonte des glaciers, Gaëtan Heymes, prévisionniste et nivologue à Météo France, confie au HuffPost qu’il le ressent aussi. Il faut dire que le météorologue a cumulé des expériences professionnelles qui l’ont bouleversé. Il y a eu des plongées sous-marines sur la Grande Barrière de Corail ou en Polynésie « qui risquent fort de disparaître à cause des vagues de chaleur maritimes à répétition ». Mais aussiune mission d’un an en Antarctique, l’endroit du globe qui se réchauffe trois fois plus vite que le reste de la Planète. Il était aussi sur place lors des mégafeux en Australie en début 2020. Tous les fronts où le changement climatique fait des ravages.

#Solastalgie fleurit sur Twitter 

Il n’est pas le seul à souffrir des conséquences du dérèglement. Les climatologues sont nombreux à exposer leurs angoisses sur les réseaux sociaux et le hashtag #solastalgie fleurit sur leurs comptes Twitter. À défaut d’arriver à se faire entendre dans les médias traditionnels, ils s’essayent à des threads sur les réseaux pour sensibiliser la population, mais pas forcément avec succès. « Ils peinent à se faire entendre, analyse Alice Desbiolles, forcément ils ressentent parfois de la frustration, c’est toujours difficile de faire émerger ces sujets-là dans le débat public ».

La frustration, la colère, et la peur peuvent même provoquer des « burn out » ou des versions « pathologiques » de la solastalgie, alerte la docteure. Les experts des sciences de l’environnement, du climat mais aussi les militants ou les personnes très sensibilisées à ces questions sont particulièrement vulnérables.

La solastalgie est particulièrement difficile à soigner parce que « pour résoudre son éco-anxiété, il faudrait en résoudre les causes et ses causes elles sont systémiques, globales et internationales et dépassent la seule action d’un individu aussi motivé soit-il ». À force de vouloir trop bien faire, vous pouvez même baisser les bras. Pour se protéger du « désenchantement voire du désengagement », Alice Desbiolles conseille de faire un travail sur soi pour trouver un juste équilibre entre ses préoccupations, l’engagement dédié, et une certaine forme de bien-être, car ces enjeux, eux, sont bien là pour durer.

Pauline Brault

https://www.huffingtonpost.fr/environnement/article/la-solastalgie-cette-deprime-climatique-qui-nous-ronge_206443.html

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