Michaël Prazan. Au-delà de l’ »affaire Iquioussen »: l’histoire et l’influence des Frères musulmans

Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans (à gauche) et Hassan Iquioussen, imam affilié à la confrérie d’inspiration salafiste (à droite). AFP/ PIERRE ROUANET/PHOTOPQR/VOIX DU NORD/MAXPPP

TRIBUNE – Le journaliste et réalisateur de documentaires Michaël Prazan* retrace l’histoire de la Confrérie, à laquelle se rattache l’imam Iquioussen, visé par un arrêté d’expulsion suspendu par le tribunal administratif de
Paris.

Concomitance des dates ; alors qu’un drone américain tuait Ayman al-Zawahiri, à Kaboul, le 31 juillet, la France annonçait vouloir expulser l’imam autoproclamé Hassan Iquioussen, auteur de prêches sexistes, homophobes, antisémites, complotistes appelant à éliminer les musulmans coupables d’apostasie, qu’il traite de « collabos ».
Quel rapport, me direz-vous, entre le chef d’Al-Qaida et un « prêcheur de haine » marocain résidant en France depuis sa naissance?

Un seul, mais non des moindres: la confrérie des Frères musulmans.

Les deux hommes, aux parcours singuliers et différents, ont été formés à la doctrine matricielle de l’islam politique représentée par la puissante confrérie d’inspiration salafiste, créée en 1928 par Hassan al-Banna, un enseignant originaire de la région du Delta.

À l’époque, dans une Égypte sous domination britannique où commencent à circuler les idées démocratiques, laïques ou féministes, Hassan al-Banna a le projet de « réislamiser » le peuple, proie de la dépravation occidentale, qu’il placera sous la férule d’un islam rigoriste, littéraliste et autoritaire. Son programme, édité en 1936, connu sous le nom du « Manifeste en 50 points », a pour priorité le rétablissement de la charia, le re-voilement des femmes, la séparation totale entre les sexes, et la mise sous surveillance d’une population avec, en bout de course, « la restauration du califat
islamique ».

Interdire, surveiller, punir, en sont les maîtres mots. La litanie des interdictions qu’Al- Banna entend édicter une fois au pouvoir est interminable. Il s’agit, entre autres, d’ »interdire le jeu », « la danse », « l’alcool et la drogue », « la mixité entre étudiants », « les livres et les journaux qui promeuvent le scepticisme » et « l’immoralité », pour « insuffler l’esprit du djihad islamique ».

Hassan al-Banna ne se contente pas de prêcher partout en Égypte, c’est aussi un homme politique fortement influencé par les fascismes européens.
Après son assassinat, en 1949, par la police politique du roi Farouk et le renversement de ce dernier en 1952 par les « officiers libres » de Nasser alliés aux Frères musulmans, c’est une nouvelle figure, plus radicale encore, Sayyid Qutb, qui devient l’idéologue de la Confrérie.

Interdire, surveiller et punir sont les maîtres mots du programme d’Hassan al-Banna en 1936
Michaël Prazan

Ce poète, initialement romantique et laïque, effectue un virage à 180 degrés après un séjour en 1948 dans une université du Colorado, où il déteste le mode de vie occidental et « l’impudeur des femmes américaines ». Sayyid Qutb formalise dans plusieurs ouvrages, dont Jalons sur la route de l’Islam, la décadence de l’Occident, le « djihad contre les Juifs », qui permettra d’éradiquer l’État d’Israël, une pustule insupportable édifiée sur le territoire sacré du califat islamique, qu’il entend restaurer, et la nécessité d’islamiser la planète entière. Il appelle de ses vœux la création d’une « avant-garde révolutionnaire », qui permettra par la violence de renverser cet Occident honni et d’instaurer le règne de l’Islam – celui, bien sûr, des Frères musulmans – sur la terre entière.

Mais Nasser s’est retourné contre ses anciens alliés. Devenu le « raïs », dont le pouvoir est contesté par Qutb et les « frères » qui tenteront de l’assassiner en 1954, Nasser fait pendre l’idéologue en 1966.

Suivra une terrible répression qui a bien failli voir disparaître les Frères musulmans. Ils se maintiendront pourtant, profitant de leur faiblesse en Égypte pour gagner de nouveaux territoires dans le monde musulman, puis, à partir des années 1970, en Europe et aux États-Unis, notamment grâce au militantisme acharné du gendre d’Hassan al-Banna, Saïd Ramadan – le père de Hani et Tariq Ramadan -, qui installe la première antenne frériste à Munich, en 1973.

Dans le même temps, Ayman al-Zawahiri, un élève brillant issu de la haute bourgeoisie du Caire, a rejoint les Frères musulmans dès l’adolescence. À 15 ans, il crée, dans le giron de la Confrérie, le groupuscule terroriste al-Djihad, qui, en 1981, assassinera Sadate, parce que ce dernier a osé signer un accord de paix avec l’État Hébreu. Après avoir purgé une légère peine de prison, Zawahiri rejoint le Palestinien Abdoullah Azzam, Frère musulman et fondateur méconnu de l’organisation djihadiste al-Qaida, qui organise le séjour des combattants arabes en Afghanistan. Zawahiri y fait la connaissance du protégé d’Azzam: Oussama Ben Laden. Après avoir éliminé Azzam, les deux hommes se lancent dans une série d’attentats qui ciblent les États- Unis, et dont le point d’orgue sera les attentats du 11 septembre 2001.
Quand elles ont lieu, les tentatives de prise du pouvoir par la force ou par les urnes menées par les Frères dans les années 1980 et 1990 en Égypte, en Syrie, en Tunisie ou en Algérie se sont soldées par un échec. Leurs leaders, tels Rached Ghannouchi, le fondateur d’Ennahda, la branche tunisienne des Frères musulmans, ont trouvé refuge en Occident, notamment à Londres, où le réseau associatif frériste a pris souche.

Désormais, la Confrérie est présente dans 80 pays à travers le monde. Au début de la décennie 1980, l’UOIF (Union des organisations islamiques de France), créée par deux Frères musulmans marocains, qui déploie rapidement une constellation d’associations cultuelles, éducatives ou sportives, s’implante en France et rassemble, avec la bénédiction des pouvoirs publics, une masse de fidèles en permanente expansion, qui culmine avec l’instauration de la RAMF, le Rassemblement annuel des Frères musulmans au Bourget, où affluent 100.000 personnes depuis 1988. Les plus prestigieux prédicateurs de la Confrérie, tels que l’imam Youssef al-Qaradawi, l’émir réfugié au Qatar qui anime l’émission «La Charia et la Vie» sur al-Jazeera, ou l’Égyptien Safwat Higazi, qui entend «envoyer ces fils de porcs et de singes (les Juifs) dans le feu de l’enfer, sur les ailes des roquettes Qassam» (les roquettes du Hamas, les Frères musulmans palestiniens), y ont tenu des prêches très radicaux. Le président Sarkozy leur interdira l’entrée du territoire en 2012.

Le prosélytisme de la Confrérie n’a jamais été si intense, particulièrement en Occident. Une nouvelle génération s’est em‐ ployée à produire un argumentaire à même de pervertir le cadre laïque et démocratique
Michaël Prazan

Replacé dans ce contexte, on comprend mieux les diatribes d’un individu tel que Hassan Iquioussen. Ce dernier ne fait que suivre le discours, les objectifs, et le corpus des Frères musulmans. Et, comme tout bon Frère musulman, il se montre incapable de condamner Ben Laden et les attentats terroristes d’al-Qaida. La « taqiya » – le mensonge légal à destination des « infidèles » – a ses limites.

Depuis que la Confrérie a raté ses rendez-vous politiques dans la foulée des révolutions arabes de 2011, qu’elle est partiellement détruite dans son fief égyptien et que l’organisation a été interdite ou placée sous surveillance dans de nombreux pays, l’UOIF s’est empressée de changer de nom. Les Frères musulmans français se font désormais appeler « Musulmans de France », histoire de noyer le poisson.

Pour autant, le prosélytisme de la Confrérie n’a jamais été si intense, particulièrement en Occident. Une nouvelle génération, qui a pris acte des lignes de résistance du cadre laïque et démocratique, s’est employée à produire un argumentaire à même de le pervertir. Il s’agit de victimiser les musulmans sous l’étendard de l’«islamophobie», de sanctuariser le voile en le faisant passer pour un objet d’émancipation féminine, de faire abroger le droit au blasphème.

Pour cela, les Frères musulmans français ont créé des associations tels que le CCIF, et nouent des partenariats avec des associations d’extrême gauche, telles qu’Alliance citoyenne, qui promeut à Grenoble le voile des
« hijabeuses » et le « burkini » dans les piscines municipales. Hassan Iquioussen, Tariq Ramadan, et tant d’autres, qui prêchent davantage aujourd’hui sur les réseaux sociaux que dans les mosquées, se sont fait le relais de cette idéologie, reprenant un argumentaire mieux adapté aux réalités françaises.

Si le ministère de l’Intérieur parvient un jour à expulser Hassan Iquioussen, ce ne sera que l’arbre qui cache la forêt: les écoles théologiques créées par les Frères musulmans, les « Instituts européens des sciences humaines » installés à Château- Chinon et à Saint-Denis, sont toujours en charge de la formation des imams de France.

Michaël Prazan

Michaël Prazan est l’auteur de « Frères musulmans. Enquête sur la dernière idéologie totalitaire ». Grasset. 2014.

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