Désigné chef d’Etat en mai après la mort de son demi-frère, MBS a offert à la France son premier voyage officiel dans le monde occidental, l’excellence des relations entre Paris et Abu Dhabi ayant été scellée en 2017 lorsqu’Emmanuel Macron se rendit aux Emirats pour son premier déplacement dans le monde arabe.
Arrivé en France et installé dans son château à Louvecienne, le prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed ben Salmane, est l’invité de notre Président au Palais duquel il a dîné jeudi soir, la chose entraînant la colère des défenseurs des droits de l’Homme et celle des membres de l’opposition.
TJ suivait le jeune Prince héritier, relevait ses frasques, jusqu’à l’indicible scandale qui aurait dû mettre un terme à l’ascension du personnage : le découpage en morceaux du journaliste Jamal Khashoggi, assassinat prémédité lorsque le jeune homme vint au consulat saoudien à Istanbul chercher un document lui permettant de convoler.
« Choquante », « scandaleuse », les qualificatifs pleuvent, évoquant les compromissions auxquelles nous nous prêtons pour … du pétrole et qui nous amènent à flirter avec l’Arabie saoudite, pays qui punit l’homosexualité de la peine de mort et tue sans aucune vergogne la population civile du Yémen.
« C’est un signal assez détestable que la France soit à genoux devant l’Arabie Saoudite », entend-on, nombreux s’offusquant un pouvoir français qui donne des leçons de morale à la Russie et à d’autres pays et en même temps reçoit le prince héritier.
C’est que à la faveur de la guerre en Ukraine et de l’envolée des prix du pétrole, le prince héritier saoudien est de nouveau fréquentable : Il faut avoir un dialogue pragmatique avec ce partenaire, sans oublier … la question des droits de l’Homme. Quel grand écart décidément…
De son côté, l’avocat de l’association Sherpa dénonce « l’hyper cynisme » du chef de l’État et la réception à l’Élysée de Mohammed ben Salmane accusé de complicité de torture et de disparition forcée en lien avec l’assassinat du journaliste.
Interrogé sur France Info et invité à différencier pragmatisme et complaisance, William Bourdon, avocat de l’association Sherpa, a évoqué l’hyper cynisme présidentiel et une tradition française en faveur des droits de l’Homme aujourd’hui en lambeaux, en miettes. Avec Emmanuel Macron, tout s’accélère. Après la visite du général Abdel Fattah al-Sissi, président de l’Egypte, cette complaisance se dévoie en cynisme, compte tenu de la réprobation unanime face à un des crimes les plus barbares, un crime politique, orchestré, prémédité, le guet-apens dans lequel est tombé Jamal Khashoggi. La conséquence de cette morale minimale, c’est de constater que l’obligation de la France d’intercepter les suspects des crimes les plus graves, qui est inscrite dans le marbre de notre loi nationale, est aujourd’hui en lambeaux.
Deux ONG, dont celle qu’avait fondée Jamal Khashoggi, ont déposé à Paris devant le doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris contre Mohammed ben Salmane plainte, à laquelle Sherpa et d’autres ONG pourraient s’associer : Il y a consensus absolu pour considérer que ce dauphin ne bénéficie d’aucune immunité, contrairement à un chef d’État en exercice. C’est ce qui devrait rendre recevable cette plainte immédiatement. J’ai été un des initiateurs, il y a 30 ans, de la mise en œuvre de la compétence universelle, avec l’arrestation de l’abbé Wenceslas Munyeshyaka après le génocide au Rwanda et je constate le délitement des obligations de la France. Ce délitement est aujourd’hui très spectaculaire. Il y a une documentation qui converge en direction de MBS pour dire qu’il est le chef d’orchestre, le donneur d’ordres de ce crime barbare. La loi de l’impunité est en train de gagner sur la loi que les ONG ont essayé vainement d’inscrire, c’est-à-dire de rendre redevables les plus puissants au moment où ils veulent rester le plus longtemps irresponsables.
Que vaut l’argument de l’exécutif, répétant la nécessité de continuer le dialogue avec l’Arabie saoudite à cause des enjeux énergétiques. Chacun évoquera le principe de real politic et se rappellera avec Créon qu’il en faudra toujours pour « faire le sale boulot ». Si d’évidence la France ne doit pas se couper de toute relation économique, diplomatique, avec des partenaires stratégiques, les relations diplomatiques et économiques n’exigent pas de recevoir un homme qui a autant de sang sur les mains avec autant de célébration, autant de scénarisation et une visite en grande pompe. Il y a là quelque chose de totalement révulsant, la suprême hypocrisie consistant à dénoncer les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les atteintes aux droits de l’Homme commises en Ukraine par la Russie.
On a le sentiment que cette dénonciation des crimes abjects commis par l’armée russe est une opération de blanchiment pour mieux faire écran à cet hyper cynisme d’Emmanuel Macron.
Pour rappel : Sur le plan stratégique, les deux pays nourrissent les mêmes craintes face à l’Iran et son programme nucléaire, et sont encore deux adversaires de l’islam politique. C’est aussi à Abu Dhabi en 2009 que la France a installé sa seule base permanente de la région, implantation stratégique offrant une capacité de projection au Moyen orient, permettant d’assurer l’accès aux hydrocarbures du Golfe et ayant notamment servi lors du pont aérien mis en place pour évacuer des étrangers et des Afghans de Kaboul en août 2021 après la prise de pouvoir par les talibans.
Pour rappel encore : Les Emirats sont l’un des plus gros clients de notre industrie d’armement et MBS est venu avec le chéquier et en a signé des contrats, avec les patrons de Thalès, Edf, Total ou Veolia.
Pour rappel enfin : Pour la vitrine, des initiatives culturelles prestigieuses : l’université de Paris-Sorbonne ou le musée du Louvre ont tous les deux une antenne à Abu Dhabi.
Mais surtout : Troisième producteur de pétrole du golfe, après l’Irak et l’Arabie saoudite, Les Emirats s’engagent à fournir du diesel pour garantir notre approvisionnement.
Alors ? Les « discussions énergétiques et les contrats justifient-ils de mettre sous le tapis les agissements de la « petite dictature » que sont aujourd’hui les E.A.U.
À la faveur de la guerre en Ukraine et de l’envolée des prix du pétrole, MBS est redevenu fréquentable pour ceux qui savent se boucher le nez. Et Mohammed Ben Salmane est « prévu » pour quelque 40 ans…
Le rédacteur de cet article aurait pu ajouter au titre la real politic les accords immigration et anti Israelisme contre du pétrole