La résolution de la NUPES sur le soi-disant “apartheid” israélien vise à implanter au cœur du débat politique français le discours mythique antisioniste. Dans les lignes qui suivent, extraites de mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, lui-même tiré d’un cours donné sur Akadem , je retrace l’origine de ce mythe antisioniste.
Il est toujours délicat d’établir avec précision les origines d’un mythe politique. Celui-ci, comme tout mythe, puise ses sources dans une histoire déjà ancienne et floue. L’accusation d’apartheid portée contre Israël a des origines multiples : parmi ses promoteurs, on trouve des acteurs très divers – États, organisations et personnes physiques – qui incluent à la fois les militants anti-apartheid en Afrique du Sud et ailleurs, l’URSS et ses satellites, l’OLP etc. C’est toutefois cette dernière, avec l’appui et sans doute sur l’instigation de l’URSS, qui a transformé l’accusation d’apartheid lancée contre Israël en un véritable mythe, lequel perdure jusqu’à nos jours.
Pour comprendre comment est apparu et s’est développé ce mythe, il est nécessaire de rappeler les origines du mouvement national palestinien. L’émergence du nationalisme arabe palestinien est en effet étroitement liée aux trois grands totalitarismes du vingtième siècle : le mouvement islamiste des Frères musulmans (qui ont exploité la cause de la Palestine arabe, avec l’aide du père fondateur du mouvement national palestinien, le grand mufti Hadj Amin al-Husseini) ; l’Allemagne nazie, qui s’est servie du nationalisme arabe pour combattre ses deux ennemis irréductibles, l’Angleterre et les Juifs ; et enfin l’URSS et ses satellites.
Le mouvement national palestinien et les trois grands totalitarismes du 20e siècle
Cette dernière a joué un rôle décisif – et largement oublié ou occulté aujourd’hui – pour promouvoir la cause palestinienne et transformer l’OLP, organisation relativement marginale dirigée par Ahmed Choukeiry depuis 1964, en représentant « légitime » du peuple palestinien sur la scène internationale. Comme le relate Ion Pacepa, ancien conseiller de Ceaucescu qui fit défection en 1978, c’est en effet le KGB qui fut à l’origine de la création de l’OLP et du personnage même de Yasser Arafat.
Dans son livre The Kremlin Legacy (1), Pacepa raconte ainsi qu’un jour de 1964, “nous avons été convoqués à une réunion conjointe du KGB, à Moscou. Il s’agissait de redéfinir la lutte contre Israël, considéré comme un allié de l’Occident. La guerre arabe pour la destruction d’Israël n’était pas susceptible d’attirer beaucoup de soutiens dans les «mouvements pour la paix», satellites de l’Union Soviétique. Il fallait la redéfinir. L’époque était aux luttes de libération nationale. Il fut décidé que ce serait une lutte de libération nationale : celle du « peuple palestinien ».
L’organisation s’appellerait OLP : Organisation de Libération de la Palestine. Des membres des services syriens et des services égyptiens participaient. Les Syriens ont proposé leur homme pour en prendre la tête, Ahmed Choukeiry, et il fut choisi. Les Egyptiens avaient leur candidat : Yasser Arafat. Quand il apparut que Choukeiry ne faisait pas l’affaire, il fut décidé de le remplacer par Arafat, et celui-ci fut “façonné” : costume de Che Guevara moyen-oriental, barbe de trois jours de baroudeur… « Il fallait séduire nos militants et nos relais en Europe ! » (2).
C’est dans ce contexte de la création de l’OLP et de l’invention du peuple palestinien, instrument de la lutte idéologique de l’URSS contre Israël et contre les États-Unis, que se situe l’apparition du mythe de l’État d’apartheid, dont nous allons à présent retracer les étapes.
Première étape : Choukeiri à l’ONU et la Charte de l’OLP
Selon le politologue américain Daniel Pipes, le premier à accuser Israël d’être un État d’apartheid fut Ahmed Choukeiri, futur dirigeant de l’OLP en 1964. Cela se passait en 1961, au moment du procès Eichmann, et Choukeiri était alors diplomate à l’ONU. Auparavant, il avait été le bras droit du mufti pro-nazi Ami Al-Husseini (3). En 1961, le procès Eichmann battait son plein à Jérusalem, attirant l’attention des journalistes du monde entier. Citons, parmi les plus connus, le correspondant de France Soir, Joseph Kessel, ou la philosophe Hannah Arendt, devenue reporter pour l’occasion.
L’accusation d’apartheid, lancée contre Israël devant la tribune des Nations unies devait permettre, dans l’esprit de celui qui était alors ambassadeur d’Arabie saoudite aux Nations Unies et de ses commanditaires, de noircir l’image d’Israël – alors même que le procès Eichmann rappelait au monde entier les horreurs de la Shoah – et de préparer ainsi le terrain idéologique en vue de sa destruction physique. Après le discours de Choukeiri devant les Nations Unies, c’est logiquement dans la Charte de l’OLP (à la rédaction de laquelle auraient collaboré les commanditaires soviétiques de Choukeiri, selon Pacepa) qu’on retrouve l’amalgame sionisme=racisme. Ainsi, à l’article 22, la Charte de l’OLP affirme que “Le sionisme… est raciste et fanatique par nature, agressif, expansionniste et colonialiste dans ses buts et fasciste par ses méthodes”.
Deuxième étape : la Résolution “Sionisme = Racisme”
L’assimilation du sionisme au racisme, initiée par l’URSS et par l’OLP, va culminer dans l’adoption de la Résolution “Sionisme = Racisme” par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 10 novembre 1975 (4). Lors du vote, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Abba Eban, déclara que celle-ci pourrait tout aussi bien voter une résolution proclamant que “la Terre est plate”. Rappelons que la résolution 3379 fut adoptée à la majorité de 72 voix pour, 35 voix contre et 32 abstentions. Elle “Considère que le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale”, et affirme également dans son avant-dernier paragraphe :
“Prenant note également de la résolution 77 (XII), adoptée par la Conférence des chefs d’États et de gouvernements de l’Organisation de l’Unité Africaine, tenue à Kampala, du 28 juillet au 1er août 1975, qui a estimé que “le régime raciste en Palestine occupée et les régimes racistes au Zimbabwe et en Afrique du Sud ont une origine impérialiste commune, constituent un tout et ont la même structure raciste, et sont organiquement liés dans leur politique tendant à la répression de la dignité et l’intégrité de l’être d’humain ».
Manifestation antisioniste à Washington, 2014
Dans l’esprit des promoteurs de la Résolution “Sionisme = Racisme”, le racisme supposé de l’État d’Israël découle donc de sa nature impérialiste. Notons que l’accusation d’impérialisme et celle de colonialisme – son corollaire – sont plus anciennes que celle de racisme. L’examen des déclarations successives des conférences des pays arabes et africains(5), des années 1950 aux années 1970, permet de retracer la généalogie de cette dernière, qui constitue en quelque sorte le point d’orgue de la dénonciation du “colonialisme” et de “l’impérialisme” israéliens.
Ainsi, en avril 1955, à Bandung, la 1ère conférence afro-asiatique a “déclaré son soutien au peuple arabe de Palestine”. De manière notable, l’expression de “peuple palestinien” ne figure pas encore dans le vocabulaire politique international de l’époque. (Elle n’apparaîtra que dans les années 1960, et sera consacrée sur la scène internationale, notamment par les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies établissant une “Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien”(6), fixée au 29 novembre, date de la résolution de partage de 1947).
En janvier 1961, la Conférence des pays africains de Casablanca “appelle à une juste résolution du problème de Palestine”, rappelle la conférence de Bandung et “observe avec indignation qu’Israël a toujours choisi le camp des impérialistes, chaque fois qu’une position devait être prise sur des problèmes essentiels concernant l’Afrique, notamment l’Algérie, le Congo ou les essais nucléaires en Afrique”. Elle “dénonce Israël comme un instrument au service de l’impérialisme et du néo-colonialisme”.
La même année, à Belgrade, la conférence des pays non-alignés condamne les “politiques impérialistes poursuivies au Moyen-Orient”. En octobre 1964, cette même conférence, réunie au Caire, “condamne la politique impérialiste poursuivie au Moyen-Orient” et “déclare son total soutien au peuple arabe de Palestine dans son combat pour la libération du colonialisme et du racisme”. C’est donc la Conférence du Caire qui a employé pour la première fois – sur la scène internationale – le qualificatif de “racisme” au sujet d’Israël, en 1964.
Neuf ans plus tard, le 14 décembre 1973, l’Assemblée générale des Nations unies condamne dans une résolution “l’alliance entre le racisme sud-africain et le sionisme”. En août 1975, l’Organisation de l’Unité Africaine, réunie à Kampala en Ouganda, dénonce le “régime raciste en Palestine occupée”. Cette résolution est citée à l’appui de la fameuse Résolution “Sionisme = Racisme” du 10 novembre 1975, parmi d’autres textes antérieurs. Cette dernière résolution sera abrogée, mais le mal est fait.
Ainsi, comme le fait observer P.A. Taguieff, “Depuis le milieu des années 1970, l’association des mots « racisme » et « sionisme » est devenue une évidence idéologique, qui a inspiré nombre de slogans et de mots d’ordre, en particulier ceux qui appellent au boycottage d’Israël (en matière de commerce, de culture, de recherche et d’enseignement, etc.), ainsi traité en État criminel. La force symbolique de l’amalgame nazifiant a donc survécu à l’abrogation de la Résolution 3370” (7).
Troisième étape : la conférence de Durban
A la Conférence de Durban de 2001, Israël est transformé en principal accusé de la part des pays participants arabes et musulmans, mais aussi et surtout des ONG qui font de cette conférence ‘“contre le racisme” un tribunal, où les accusés sont, indistinctement, Israël (qualifié d’État raciste et d’État d’apartheid’), le sionisme et les Juifs. Le forum des ONG de Duurban adopte ainsi une déclaration qualifiant Israël d’État raciste, l’accusant d’actes de génocide et affirmant l’existence d’un apartheid israélien. Durban est une étape clé dans la constitution du mythe “Israël État d’apartheid”. En raison du lieu même de la conférence, en Afrique du Sud, mais aussi et surtout du fait de l’importance grandissante des ONG dans la politique internationale, et dans le conflit israélo-arabe en particulier (8).
© Pierre Lurçat
NB L’article ci-dessus est extrait de mon livre Les mythes de l’antisionisme contemporain, fondé sur le cours donné en 2019-2020 dans le cadre de l’Université populaire du judaïsme dirigée par Shmuel Trigano.
Notes
1. The Kremlin Legacy, Bucarest 1993
2. Voir notamment Jamie Glazov “From Russia With Terror”, Jewish Press 31.3.2004
3. Amnon Lord, Israel Hayom 4/8/2018, https://www.israelhayom.co.il/article/576893
4. Consultable sur le site de l’ONU, https://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/3379(XXX)&Lang=F
6. Voir notamment https://www.un.org/fr/observances/International-day-of-solidarity-with-the-palestinian-people
7. P.A. Taguieff, La Nouvelle Propagande anti-juive, op. cit.
8. Sur cet aspect voir notamment le rapport de NGO Monitor, “The Centrality of NGOs in the Durban Strategy”, 11.7.2006.
ILS ONT LU “LES MYTHES DE L’ANTISIONISME”
“Magistral, il a le mérite d’être clair et de permettre de repondre à tous les arguments de nos détracteurs”
Dorah Husselstein
“Un livre excellent par sa qualité argumentative et sa qualité de raisonnement et de savoir historique”.
Yana Grinshpun
“Ce livre est un véritable pense-bête et une Bible de poche du militant pro-israélien. Avec Bat Ye Or, Pierre Lurçat dément une thèse en vogue : le monde musulman ne serait que comme une « page blanche » sur laquelle on aurait transposé, à l’identique, l’antisémitisme européen”.
Marc Brzustowsky, Terre-des-Juifs
“Un ouvrage d’une grande érudition historique, rigoureux, documenté et sourcé. Toutes les sources sont vérifiables dans les ouvrages cités en anglais, en français, en hébreu et en arabe. Ce livre est un document précieux pour discerner la réalité derrière les discours tendancieux de la presse européenne”.
Cléo, Amazon.fr
VUDEJERUSALEM.OVER-BLOG.COM Le blog de Pierre Lurçat, essayiste, écrivain et traducteur. L’actualité vue de Jérusalem, avec un accent particulier sur l’histoire d’Israël et du sionisme.
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