André Markowicz. Et de cinq… le miroir

On compte les mois. Nous avons passé le cinquième. Mais nous sommes entrés dans la troisième phase de la guerre.

La première, ç’a été le blitzkrieg contre Kiev, qui s’est soldé par un désastre russe. La deuxième, ç’a été celle de l’offensive dans les province de Lougansk et du Donbass — et là, les Russes ont pris des villes, très lentement, ils ont avancé, au prix de pertes qui s’accumulaient. Avec la même tactique qu’au début : le ravage total des territoires qu’ils « libéraient » et des exactions innombrables contre les populations civiles. Le but n’était pas seulement la terreur, pour tuer dans l’œuf toute possibilité de résistance, physique ou morale. Il fallait chasser les gens, et l’essentiel a été le flot de réfugiés — je crois qu’il y a eu, à un moment, plus d’un quart de toute la population de l’Ukraine qui a été déplacée, c’est-à-dire plus de dix millions de personnes (un enfant sur deux, à travers toute l’Ukraine). Il s’agissait de faire, si je puis dire, place nette. Parce que la guerre de la Russie est une guerre de conquête territoriale. Sauf, que, là, dans cette deuxième phase de la guerre, les Ukrainiens ont répondu à la ruine par l’usure, par le temps gagné. Il s’agissait de résister, le plus longtemps possible, en infligeant de plus de pertes possibles — en matériels et en hommes (ce qu’on appelle, en ukrainien, en « forces vives » ], et force est d’admettre que cette deuxième phase d’avancée, aujourd’hui, s’est pratiquement arrêtée. Pas arrêtée totalement, parce que l’offensive continue au moment où j’écris. — Mais le bilan catastrophique, si je parle de la Russie (et, à l’évidence, je ne parle pas des pertes ukrainiennes, militaires et, surtout, civiles). Pour la Russie, nous en sommes à quelque chose comme 40.000 morts, ce qui signifie, mathématiquement, le double, sinon le triple, de blessés (et je ne parle pas des « disparus » ou des prisonniers).

Dans le même temps, la qualité des armements russes diminuait, à cause de l’impossibilité où ils sont de renouveler leurs stocks (du moins d’une façon significative) — même si, des stocks, ils en ont des quantités astronomiques, datant, pour l’essentiel, de l’URSS.

Nous sommes entrés dans la troisième phase, qui est celle qui verra l’initiative de la guerre changer de camp. Et, quoique je n’arrive toujours pas à le comprendre réellement, nous y sommes entrés à cause de la fourniture des canons à longue portée — que les Ukrainiens demandaient à corps et à cris depuis le début de la guerre. Une dizaine de HIMARS (peut-être, aujourd’hui, une vingtaine) aura suffi. L’Ukraine cible aujourd’hui les dépôts de munitions situés loin du front, elle cible les voies de communcation, et la Russie perd progressivement, mais assez vite, toute possibilité de se renforcer, et toute possibilité de manœuvre. Là, avec la destruction des ponts qui traversent le Dniepr, c’est toute la partie gauche du Dniepr qui se retrouve isolée, avec les troupes russes qui y sont.

Je ne pense pas que les Ukrainiens vont, maintenant, lancer une grande offensive contre ce groupement. Mais je me dis que le destin de ce groupement sera un signe pour tout le déroulement ultérieur de la guerre. — Les Russes ne peuvent plus être ravitaillés depuis la rive droite (occupée). Ni en munitions, ni en nourriture. Ils peuvent encore emprunter le pont, à pied, en laissant tout leur matériel (parce que même un camion ne passe plus sur le pont). Ou bien ils peuvent se rendre, hommes. Ou bien ils peuvent avoir reçu l’ordre de résister jusqu’au dernier, à l’image de  ces « chaudrons », de ces « régions forteresses » (ou comment ça s’appelait ?) que les Allemands laissaient dans leur retraite, pour fixer autour d’eux le maximum de troupes soviétiques. Cet ordre de résister jusqu’au dernier, visiblement, ils l’ont reçu. La question est de savoir s’ils vont y obéir. La seule tactique de l’armée ukrainienne sera donc, là encore, de les user. Attendre, bombarder, et attendre encore. — Si les soldats, réellement, résistent jusqu’au dernier (comme en miroir de ce qui s’était passé à Marioupol), alors, ça signifie ce que le régime de Poutine est encore très solide. Objectivement, je crois qu’il l’est.

*

Militairement, la Russie ne peut pas gagner cette guerre. — Je dis «militairement », — parce que nous savons que « militairement », c’est loin d’être l’essentiel, même là.

*

Mais réellement, comme je l’écrivais dès le mois de mars, quel miroir que cette guerre.

Le miroir de la Russie. — De la nature de son régime, de son idéologie, impérialiste et raciste. De sa corruption, radicale, totale — qui se retourne contre lui, évidemment (là, le dernier épisode a été celui de la DCA contre les Himars : sur le papier, la Russie a de quoi les intercepter, sauf qu’en réalité elle n’a rien, parce que le système d’interception, très complexe, du fait que les HIMARS ne lancent pas des missiles mais des obus, a été détourné, simplement « mangé » par les entreprises qui ont reçu la commande du ministère de la Défense). Un miroir de la misère de sa population en dehors de quelques grandes villes : plus de 80% des morts russes répertoriés ne sont pas « russes », mais appartiennent à d’autres nationalités, qui vivent dans la misère et pour lesquelles l’armée est, le plus souvent, le seul moyen non pas d’en sortir, mais de gagner au moins quelque chose. La Russie s’est révélée pour ce qu’elle a toujours été : non pas un pays uni, mais un pays colonial, qui s’est agrandi par la conquête et l’annexion. Et un miroir aussi de sa fragilité : imaginer que 20 canons puissent faire basculer la guerre… Comprendre à quel point les armements de l’OTAN ont toujours été supérieurs aux armements russes. Et à quel point la situation de la Russie face à ses voisins est, elle aussi, fragile : le fait que le Kazakhstan se détache aussi vite ; le fait que la Chine n’aide que très très superficiellement, — que la Russie n’a pour allié officiel que l’Iran.

Mais le miroir, aussi, de l’Occident. Parce que la Russie a aussi des alliés officieux. Et il y en a au sein même de l’Union européenne. Elle aurait pu compter sur tous les régimes d’extrême-droite, mais, bon, la Pologne, historiquement, est vaccinée. Orban est un allié véritable de Poutine. L’autre allié, aussi terrible que ce soit à dire, est l’Allemagne, qui freine toute livraison d’armement et ne respecte pas ses engagements vis-à-vis de la Pologne et de la Grèce, qui ont livré, elles, leurs armes aux Ukrainiens parce que l’Allemagne avait promis de compenser ces armes. Ce n’est toujours pas le cas. — Le tout s’explique, évidemment, par la dépendance aux énergies fossiles.

*

Miroir de notre fragilité, toujours croissante, — de la fragilité du monde occidental. Parce que, bien entendu que l’engagement américain aux côtés de l’Ukraine n’est pas désintéressé. Mais c’est Poutine lui-même qui a remis les USA faiblissants au centre de la vie de la planète, comme c’est Poutine qui a, je crois définitivement, forgé la nation ukrainienne — contre lui. Miroir, enfin, à l’intérieur de chaque société occidentale, des fractures sociales et intellectuelles qui les traversent et ne font que s’approfondir : Poutine, en Occident, a des soutiens, qui ne sont pas seulement à l’extrême-droite, mais aussi — et en nombre comparable — dans une partie de la gauche, anti-américaine, anti-israélienne, et, étrangement, mais c’est frappant, antivax, parce que radicalement « anti-système » (comme si le régime de Poutine n’était pas un « système », pour ne pas dire l’expression toute crue du système en tant que tel, le système en lui-même, sans aucun contre-pouvoir).

Ces fractures-là sont anciennes. Je n’ai pas cessé d’en parler dans mes chroniques depuis 2013. Comme je n’ai pas cessé de parler de la nature fasciste et raciste du régime de Poutine. Comme je n’ai pas cessé, en général, de dénoncer tous les nationalismes, y compris  — oui, depuis des années — le nationalisme ukrainien. Parce que cette guerre est un miroir du nationalisme : voilà le résultat final de tout discours identitaire, où que ce soit dans le monde. C’est juste une question d’échelle, mais tous les nationalismes, tous les communautarismes, portent la guerre.

*

Mais le miroir montre aussi autre chose : la force, j’allais dire médiocre, grise, banale, de la démocratie, c’est-à-dire de la prise en compte de la vie toute simple des gens. La force de ce désir, et sa nécessité. Juste vivre dans un pays banal, où on peut faire des choses banales, avec plein de problèmes politiques, plein de problèmes sociaux, plein d’insatisfactions de toutes sortes — et des élections qui ne soient pas truquées. Et des prisons qui ne soient pas pleines de gens qui n’ont rien à y faire, — parce qu’ils ont écrit quelque chose ou dit quelque chose à quelqu’un qui a dit quelque chose à quelqu’un. Ce désir-là, il est universel. Et, vous savez quoi ? malgré tous les malgrés, il est plus fort que tout.

© André Markowicz

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5 Comments

    • Résultats (liste incomplète) des Oscars 2023 :

      _ Meilleur film : « Rambo VI » (en fait il s’agit d’un remake de Rambo III, dont l’action ne se passe plus Afghanistan mais en Ukraine)
      _ Meilleur réalisateur : Joe Biden (venu en compagnie de ses infirmiers), réalisateur de Rambo VI.
      _ Meilleur scénariste : William Joseph Burnes, directeur de la CIA ayant écrit le script de Rambo VI
      _ Meilleur acteur : Volodymyr Zelensky interprète de John Rambo dans Rambo IV
      _ Meilleure actrice : Whoopi Goldberg dans « Only Black lives matter » de Jordan Peele
      _ Meilleure bande originale : Nick Conrad pour la musique de « Only Black Lives Matter »
      _ Meilleur film étranger : « Ceux qui ne sont rien » drame social d’Emmanuel Macron

      • Meilleurs acteur : Volodymyr Zelensky
        Interprète de John Rambo dans Rambo VI (*)
        (*) et non Rambo IV mais comme ils se ressemblent tous on finit par les mélanger)

  1. Absolument.

    2023 sera la première année où la même personne (Zelensky) aura le prix Nobel de la paix et l’Oscar du meilleur comédien (dans une mise en scène signée d’ailleurs Joe Biden, auteur aussi du scénario).

    Madame Zelenska, de son côté, aura le prix « Vogue » de la plus éblouissante robe d’apparat mettant ses rondeurs sveltes en évidence. Elle aura aussi le prix « Kleenex » du discours le plus lacrymogène prononcé aux USA.

    Les décors de ruines fumantes seront une coproduction américano-russe particulièrement réussies.

    André Markowicz aura le prix de la propagande la plus invraisemblable.

    Et nous, on aura le prix des dindons de la farce.

  2. Zelensky est un mauvais comédien jouant dans navet cinématographique écrit et réalisé par des fous furieux pour un public d’imbéciles.

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