Après l’article de Yana G, Information Juive poursuit la publication de réflexions sur les Juifs antijuifs, ceux que Shmuel Trigano dénomme « les alterjuifs ».
Ces Juifs s’opposent violemment à la politique israélienne, parfois à l’existence-même d’Israël. Souvent, ils critiquent aussi la pratique juive, se présentant comme les seuls “vrais” Juifs. Selon Alexandre Feigenbaum, cette attitude est liée à la difficulté de supporter l’antijudaïsme et les persécutions infligées aux Juifs pendant des siècles. Il a étudié quelques figures qui expriment à travers de leurs écrits ou de leurs actes une hyper-sensibilité à ces persécutions.
Ces personnalités juives sont souvent des personnalités intellectuelles reconnues, et connues pour leur engagement pour les Droits de l’Homme.
Jimmy Lustig, ce personnage de Philip Roth dans La Contrevie
Le prototype de ces alterjuifs pourrait bien être Jimmy Lustig, ce personnage de Philip Roth dans la Contrevie. Jimmy Lustig veut effacer la haine antijuive de l’histoire de l’humanité. Pour cela, il détourne un avion d’Elal sur Munich, l’endroit où le nazisme a commencé. Sa revendication est qu’on détruise Yad Vashem, le musée de la haine. Ainsi, il n’y aura plus de haine, il n’y aura plus jamais eu de haine. Jimmy remonte l’espace et le temps pour que ce ne soit pas arrivé.
C’est pathétique. Mais beaucoup de Juifs antijuifs raisonnent de la même façon. Autour de nous, des Jimmy Lustig, terrorisés par le racisme, préfèrent croire que les Juifs sont responsables de l’antijudaïsme, que tout est de leur faute, de la faute des Israéliens. Si on en est responsable, on peut infléchir la vague raciste, la contrôler, l’arrêter. C’est plus rassurant de penser qu’on a le contrôle, qu’on peut demander à d’autres Juifs, au gouvernement israélien, par exemple, de prendre « enfin » les mesures qu’il faut.
C’est pathétique enfin parce que les gens de bonne volonté, ceux qui veulent sincèrement lutter contre le racisme (et ils sont nombreux), n’y comprennent plus rien ; les Jimmy Lustig brouillent les pistes de la compréhension du conflit israélo-arabe.
Elie Barnavi
Le premier personnage cité ici n’est pas n’importe qui : c’est Elie Barnavi. En 1967, il combattait dans les Unités d’élite. Intellectuel renommé, ancien Ambassadeur d’Israël à Paris, Professeur d’Histoire occidentale à l’Université de Tel Aviv, il a eu une forte contribution à la culture israélienne, à l’image d’Israël. Il a défendu non seulement son pays avec beaucoup de courage, parfois au-delà de ce que lui demandait le gouvernement israélien, comme lorsqu’il a mis en doute la version de France 2 de la prétendue mort de Mohamed Al Dura, première histoire de crime rituel du 21ème siècle.[1] Il est professeur d’Histoire de l’Occident moderne à l’université de Tel Aviv, directeur du comité scientifique du musée de l’Europe à Bruxelles et avait, à ce titre coorganisé l’exposition “L’islam, c’est aussi notre histoire” en 2017.
Récemment, Elie Barnavi a exprimé des positions qui tranchent avec cet engagement. La Revue des Deux Mondes publiait récemment un numéro consacré à la haine d’Israël[2]. L’article d’Elie Barnavi, intitulé “De l’antisionisme”, illustre l’ambigüité de l’auteur : la conclusion de cet article va à l’encontre des propos de l’introduction.
En effet, l’introduction de l’article explique bien le procès que l’antisionisme instruit contre Israël :
«Il ne s’intéresse pas à son régime politique, ni à son discours, ni même à ses actes… En dénonçant son idéologie fondatrice, il s’en prend à son essence même, jugée une fois pour toutes illégitime. »
C’est la définition-même d’un racisme et il rejoint là une affirmation de Boualem Sansal dans le même numéro de la revue :
« Ce n’est pas la présence du Juif qui gêne, c’est son existence ».
Mais étrangement, tout au long de cet article s’élabore progressivement une thèse qui dit l’inverse de la phrase citée ! L’antisionisme aurait de bonnes raisons, liées au régime politique, au discours, et aux actes d’Israël.
Dans le corps de l’article, Barnavi relativise progressivement la radicalité de ce racisme. D’abord il cite le nazi arabe, le mufti Amin al Husseini, et le met en balance avec le pape Pie X qui éconduisit Herzl en 1904. Les deux sont déplorables, mais ce pape ne faisait pas de la propagande et de l’activisme nazi.
Dans ce numéro de la Revue, il y avait aussi un article de Franz Olivier Giesbert, qui exprime, lui, une véritable empathie pour les Israéliens. Rien de tel chez Barnavi. Barnavi critique presque tous les Israéliens qu’il évoque. Il fait preuve une fois de compassion, c’est pour … Edward Saïd, père des théories décoloniales, qui se plaint de l’inefficacité, voire de la contre-productivité de l’antisionisme :
« Tout ce qu’ils [les antisionistes qui hurlent la haine d’Israël dans les capitales européennes] ont réussi à faire, c’est conforter la droite israélienne la plus dure ».
Les Palestiniens victimes de l’antisionisme, il fallait y penser.
Mais l’article va crescendo : lui, l’ancien Ambassadeur, écrit que l’OLP a voté l’abrogation dans sa Charte « des articles fixant comme objectif l’anéantissement d’Israël ». Pourtant Barnavi ne peut ignorer qu’en 2022, cette charte n’a toujours pas été modifiée. En 1989, Arafat avait déclaré cette charte “caduque”. Puis, en 1998, Arafat, toujours le même, avait nommé une commission chargée d’étudier la modification de cette charte, toujours la même. À ce jour, les conclusions de cette commission sont toujours attendues. Pourquoi Barnavi exonère-t-il ces antisionistes de leur volonté de détruire Israël ?
Puis l’article évolue vers l‘approche de Jimmy Lustig et la responsabilité des Juifs dans l’antisionisme. La conclusion, intitulée « Que faire ? », prend en effet le contre-pied de l’introduction : si le gouvernement israélien changeait, s’il changeait de politique, s’il suivait les recommandations d’Elie Barnavi, cela irait mieux :
« Si la détestation d’Israël a précédé l’occupation, celle-ci l’a considérablement aggravée »
L’occupation ! Ce thème était pourtant hors sujet dès l’introduction, où Barnavi expliquait que l’antisionisme ne s’intéresse pas aux actes d’Israël, mais à son “essence”. Alors pourquoi reprendre cet argument des antisionistes ?
Pour conclure, je propose d’imaginer un scénario. On sait que le Président Poutine tient des propos très négatifs sur la France et son Président. Rien à voir avec la violence destructrice de l’antisionisme, mais imaginons qu’un Ambassadeur de France s’adresse à M. Poutine, le priant de boycotter la France pour qu’elle mette un terme aux sanctions contre la Russie. Que penser d’un tel scénario et de cet Ambassadeur ?
Et que faut-il alors penser des Israéliens qui, en 2017, ont écrit au gouvernement irlandais (l’Irlande étant un des pays les plus anti-israéliens au sein de l’Union européenne) pour lui recommander de prendre des mesures contre Israël, parce qu’ils étaient « convaincus que la poursuite de l’occupation est néfaste sur le plan moral autant que sur le plan stratégique, elle empêche la paix et constitue une menace stratégique pour Israël. »[3]
Ces signataires (dont Elie Barnavi faisait partie) ont-ils “amélioré” l’image d’Israël ? Il est plus vraisemblable qu’ils ont “considérablement aggravé” la haine antisioniste, en la cautionnant.
© Alexandre Feigenbaum
Alexandre Feigenbaum est Président de Dhimmi Watch, l’Observatoire International de la Dhimmitude
https://dhimmi.watch/
[1] Luc Rosenzweig Charles Enderlin et l’Affaire Al Dura https://www.cairn.info/revue-cites-2010-4-page-159.htm
[2] La Revue des Deux Mondes, 5 octobre 2020 https://www.revuedesdeuxmondes.fr/antisionisme/
[3] https://israelvalley.com/2019/01/25/lirlande-elie-barnavi-boycott-disrael-ministere-affaires-etrangeres-colere/
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