ENTRETIEN – Pour l’historien des idées, la proposition de résolution de certains députés Nupes sur la reconnaissance d’un régime d’apartheid en Israël est symptomatique d’une propagande anti-israélienne qui séduit l’extrême gauche depuis cinquante ans.
LE FIGARO. – Trente-huit députés de la Nupes ont cosigné une proposition de résolution ayant pour objectif d’interpeller l’exécutif afin qu’il condamne «l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien». Qu’est-ce que cela vous inspire?
Pierre-André TAGUIEFF. – C’est une affaire qui n’a rien d’étonnant: une nouvelle action de propagande anti-israélienne, tragiquement banale. Il s’agit là simplement de la reprise par des députés néogauchistes d’un thème fondamental de la propagande palestinienne depuis plus d’un demi-siècle. Il s’agit de «raciser» l’État juif, pour le priver de toute légitimité. L’antiracisme est ainsi, une fois de plus, instrumentalisé dans le cadre d’une opération de criminalisation d’un ennemi politique fantasmé. L’antisionisme radical a en effet pour objectif d’éliminer l’État d’Israël, pour crime d’apartheid. Mais l’apartheid dénoncé est imaginaire. L’État d’Israël n’a rien à voir avec le régime raciste qui fut celui de la République sud-africaine de 1948 à 1990.
Dans la démocratie parlementaire qu’est Israël, les Arabes israéliens ont le droit de vote et sont représentés par des députés à la Knesset. On ne trouve en Israël rien qui ressemble à un système de ségrégation et de discrimination fondé sur la race. Voir de l’apartheid partout chez ceux qu’on n’aime pas, c’est comme voir du «fascisme» ou du «pétainisme» partout dans le camp de ses adversaires politiques. Cette accusation d’apartheid relève à la fois de l’ignorance, du mensonge et du délire. Elle est aussi venimeuse qu’irresponsable, car elle revient à mettre en danger les Israéliens et tous ceux, Juifs et non Juifs, qui défendent le droit à l’existence d’Israël.
Que révèle cet amalgame que vous dénoncez?
Il dévoile avant tout le clientélisme communautaire éhonté des députés qui ont signé cette proposition de résolution, synthèse à la soviétique des clichés et des slogans diabolisants employés depuis la guerre des Six-Jours (juin 1967) par les ennemis d’Israël. Il s’agit d’abord de plaire à l’électorat de culture musulmane, qui a fortementcontribué à leur élection. La démagogie prétendument antiraciste de ces diabolisateurs professionnels est sans limites: l’amalgame entre Israël et un «régime d’apartheid» enveloppe en effet l’accusation de racisme portée contre l’État juif.
Mais qui est donc le «groupe racial» accusé de mettre en œuvre à son profit ce «régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématique»? Ce ne peut être la «race israélienne», qui n’existe pour personne. C’est donc bien la «race juive». Les antisionistes d’extrême gauche pensent leur ennemi en termes racialistes. Le racisme qu’ils dénoncent ici, c’est celui qu’ils attribuent à ce «groupe racial» maudit qu’on appelle ordinairement «les Juifs», et qu’ils accusent indirectement de racisme. Explicitons: ce qui est dénoncé, c’est ce que les antisémites à l’ancienne appelaient le «racisme juif». Mais, argumenter de la sorte, c’est jouer avec des représentations antijuives, les réveiller, les réactiver. Sans le savoir pour certains, avec des arrière- pensées inavouables pour d’autres.
Forgé par la propagande soviétique relayée par celle des pays arabes, l’amalgame polémique «sionisme = racisme» est devenu un lieu commun, et la mise en équivalence de l’«antiracisme» et de l’«antisionisme» a égaré nombre de militants antiracistes sincères. Les partisans de l’antisionisme absolu, qui n’a rien à voir avec une libre critique de la politique d’Israël, cherchent à réaliser, par tous les moyens, leur objectif final: la destruction de l’État d’Israël. Tel est le paradoxe tragique de l’histoire du peuple juif dans la deuxième moitié du XXe siècle et au début du XXIe, après la Shoah et la création de l’État d’Israël: la réactivation des passions antijuives dans un contexte où elles auraient dû avoir disparu et se réduire à de marginales résurgences.
Qu’appelez-vous le «néogauchisme»?
Les deux piliers du néogauchisme contemporain sont le néoantifascisme et le néoantiracisme, assortis d’un volet antisioniste en raison de la place centrale accordée dans l’imaginaire victimaire contemporain au «peuple palestinien». Mais, depuis le début des années 2000, le champ du néogauchisme s’est transformé sous l’influence du postcolonialisme, du décolonialisme et du néoféminisme misandre, sans parler de l’écologisme radical. Tous ces courants idéologiques postmodernes sont résolument antisionistes. J’ai publié un article sur la question dans le dernier numéro de la Revue politique et parlementaire.
Le néoantiracisme à la française a la particularité d’être inconditionnellement islamophile, et cette islamophilie peut dériver vers une l’«islamismophilie» chez certains admirateurs d’organisations islamistes, comme le Hamas ou le Hezbollah, qui s’opposent à tout compromis avec Israël et rêvent de sa disparition.
La «lutte contre l’islamophobie», aujourd’hui placée au cœur des luttes antiracistes en France, s’est transformée progressivement en légitimation de l’islamisme chez certains militants et intellectuels néogauchistes. C’est au nom de la lutte contre le racisme que les islamistes les plus intellectualisés, suivis par leurs compagnons de route d’extrême gauche, légitiment l’antisionisme exterminateur. Ce message idéologique s’est répandu sur les réseaux sociaux, mais il est aussi repris dans les discours d’universitaires de gauche ou de militants des droits de l’homme. Il y a une frappante convergence, sur le conflit israélo-palestinien, entre les courants d’extrême gauche et les mouvements islamistes. Le discours de propagande islamo-gauchiste érige la cause palestinienne en cause emblématique des opprimés et des «racisés». La conclusion logique et pratique de cette élection du «Palestinien» en martyr suprême est la démonisation d’Israël. À travers la haine d’Israël, la haine des Juifs s’est frayé un nouveau chemin à l’extrême gauche.
Par Eugénie Boilait
Derniers ouvrages parus de Pierre-André Taguieff: «L’Antiracisme devenu fou» (Hermann, 2021) et «Sortir de l’antisémitisme?» (Odile Jacob, 2022).
Aussi respectable soit-il, Targuieff contribue à cette manie de mal nommer les choses. Si l’on disait clairement et nettement que le Parti des indigènes de la République est un parti d’extrême (ce qui a été démontré en long et en large il y a déjà des années) et qu’en conséquence ses alliés politiques le sont aussi, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Est un parti d’extrême droite