On écrit qu’il n’y a plus d’opposition en Russie — je veux dire, que l’opposition est persécutée, qu’on condamne les gens à des années de prison simplement pour avoir dit le mot « guerre » . Ceci, mes chers lecteurs, c’est une calomnie poutinophobe. Parce qu’elle s’exprime, l’opposition. Elle s’exprime sur le canal youtube d’Igor Girkine.
Vous savez qui c’est, Igor Girkine ? C’est un des types qui ont organisé, en 2014, la soi-disant révolte spontanée des habitants du Donbass contre le pouvoir ukrainien. C’est lui qui, cela a été prouvé par toutes les instances internationales, dirigeait les gens qui ont descendu le Boeing de la Malaysia-Airline. Ensuite, pour des raisons qui ne me sont pas très claires, il a été écarté du pouvoir par d’autres chefs de guerre du Donbass et il est rentré à Moscou. — Ce Girkine est un criminel de guerre, et, au moins jusqu’à très récemment, il était un membre actif du FSB. — Je vous dis, en passant, parce que ça pourrait en être comique (mais ce ne l’est pas du tout), comment on a pu le savoir : Christo Grozev, le grand journaliste de Bellingcat, a établi que le passeport dont il se servait, avec sa femme, pour les vacances, portait un numéro d’une série qui suivait exactement celle des empoisonneurs d’Alexéï Navalny, que c’était, en quelque sorte, un passeport signé, interne…
Bref, Girkine, lui, a, depuis le début de « l’opération spéciale », acquis un statut étrange, parce que, sur sa chaîne youtube, il critique systématiquement les militaires russes, explique ce qui se passe réellement, l’ampleur de l’incompétence, des défaites — et il explique cela du point de vue de l’extrême-extrême droite qu’il représente. Pour lui, les Russes ne frappent pas assez fort, ne savent rien faire. Le résultat est que sa page est très suivie par les Ukrainiens eux-mêmes, parce que, paradoxalement, c’est le seul endroit en Russie où, d’une façon ou d’une autre, on peut apprendre la réalité de ce qui se passe sur le terrain du point de vue de l’armée russe. Pas du point de vue du haut commandant, mais de celui, disons, des officiers — parce que Girkine a gardé des dizaines de contacts dans l’armée active.
On ne cesse de se demander comment ça se fait qu’il continue de parler, de critiquer (très violemment) les hauts dignitaires de l’armée russe, et on a plein d’hypothèses — en particulier le fait que son existence prouve la force d’un courant encore plus dur que celui de Poutine lui-même, en tout cas de celui de la ligne officielle. Il faudrait que j’en parle davantage, mais, là, je suis tombé sur une émission ukrainienne qui parle de lui, et pas seulement de lui.
Le fait est que les Russes avaient nommé comme chef de la police des territoires qu’ils occupent dans la province de Zaporijia un type qui s’appelle AlexéÏ Sélivanov. Ce Sélivanov, natif de Kiev, citoyen ukrainien, est connu depuis 2014 pour ses émissions à la télé de Lougansk (une télé, évidemment, totalement contrôlée par le FSB), — et ce sont des émissions d’une saleté et d’une violence rares, racistes (parce que Sélivanov attaque les Ukrainiens en tant que tels, comme un peuple qui, en tant que tel, est violent, et, surtout « antirusse »).
Bon, Sélivanov appelait à la guerre, quasiment au meurtre, dans toutes ses émissions, et ces émissions ont duré pendant les huit ans qu’ont duré les différents régimes de ces « républiques ». Et là, donc, de journaliste propagandiste, il a été nommé chef de la police locale.
Or, imaginez-vous que Sélivanov a été arrêté et qu’il est en ce moment en prison. — Pas arrêté par les Ukrainiens pour être traduit en justice, non. Arrêté par les Russes. — Et il y a une campagne de presse, sur internet, pour sa libération. Ses amis, nombreux, protestent, en disant que Sélivanov est un homme d’une parfaite fiabilité, d’un « patriote » russe, et pas seulement un patriote russe, mais aussi un patriote orthodoxe… oui, parce que, dans ses émissions, il s’est toujours proclamé de l’onction du patriarche Kirill, et de l’Eglise orthodoxe russe. Il se proclamait un « soldat de la foi ». Il s’avère que ce soldat de la foi a été arrêté pour pédophilie.
Si je fais cette chronique, c’est pour vous donner les explications d’Igor Girkine — en défense de Sélivanov. Parce que ces explications montrent d’une façon extraordinaire ce que c’est que le pouvoir installé par les Russes dans les territoires occupés.
Sélivanov a été arrêté parce que, dit l’acte d’accusation, il séquestrait une adolescente de 17 ans. Girkine explique que, ça, ce n’est pas une accusation qui peut tenir la route. Parce qu’il était chef de la police et, dit-il, « je suis pratiquement certain que, dans cette position, tu peux faire absolument tout ce que tu veux, tu pourrais être cannibale, mettons » et donc, si on l’a coffré, ce n’est pas pour cette histoire avec l’adolescente, c’est pour autre chose. — De cette adolescente, moi, je ne sais rien. Je n’ai rien trouvé sur elle : a-t’elle été enlevée, ou est-ce une histoire d’amour, je n’en sais strictement rien. Mais il est sûr que le chef de la police peut, oui, faire absolument tout ce qu’il veut : il peut voler, il peut violer, il peut tuer, et les policiers d’occupation ne se privent pas de le faire, — j’en ai déjà souvent parlé. Il s’agit de faire régner une terreur totale sur les gens, et une terreur qui, une fois encore, rappelle celle de l’occupation nazie. N’importe qui peut se faire tuer n’importe quand pour n’importe quoi, ou sans raison aucune.
Sélivanov, dit Girkine, a été arrêté parce qu’il ne « s’est pas entendu » avec ses chefs hiérarchiques, les gouverneurs de la province, parce qu’il y a des luttes internes sanglantes. — Et certes, ces luttes internes n’ont pas cessé, pendant huit ans, de laisser des traces sanglantes, — on ne compte plus le nombre de « leaders » séparatistes qui se sont fait tuer. Ils se tuent les uns les autres. Et là, Girkine continue.
La preuve que Sélivanov est innocent du crime dont on l’accuse, c’est que personne n’a même essayé d’arrêter le ministre de l’intérieur de la république de Lougansk, Alexéï Diky (ça veut dire « le sauvage », mais, visiblement, c’est vraiment son nom). Ce Diky, explique benoitement Girikine, tout le monde sait que c’est un drogué, et pas seulement un drogué, d’ailleurs, poursuit-il, c’est lui qui dirige tout le trafic de drogue de la république. Et lui, n’est-ce pas, personne ne le touche, — au contraire : il est ministre de l’intérieur.
Le ministre de l’intérieur qui dirige le trafic de drogue. — C’est ça, la réalité du pouvoir installé par les Russes. Parce que, aussi invraisemblable que ça puisse paraître, les chefs de ce trafic de drogue, au niveau national, et international, sont au Kremlin.
© André Markowicz
Les Russes dévorent leurs enfants ? Mais bien sûr !…
Markowicz est publie avec régularité: il chronique en effet sur le sujet.
Nous publions notamment face à lui l’excellent Sacha Bergheim
Il est détestable de ne vouloir entendre et lire qu’un son de cloche
Comme il est particulièrement faux de prétendre que les commentaires ne sont pas tous publiés.
J’aime bien quant à moi les questions tout à fait pertinentes posées par Gérard Boyadjian aux cerveaux lavés anti-russes et Pro-Otan. Les trois premières :
1/ Pourquoi est-ce que tu protestes avec autant d’indignation sur l’Ukraine aujourd’hui, alors que tu t’es soigneusement tu hier sur l’ex-Yougoslavie ? Qu’est-ce qui fait et explique que pour les premiers tes larmes coulent abondamment, alors que pour les seconds tes yeux sont restés un peu trop secs ?
2/ Pourquoi est-ce que tu utilises le terme bien choisi « invasion » par la Russie, mais tu emploies le mot bien appris « intervention » lorsqu’il s’agit des États-Unis pour la Libye, la Syrie, etc. ?
3/ Pourquoi soudain tu demandes à ce qu’on fasse juger le criminel Poutine dans un tribunal international, alors que tu n’y as jamais songé pour BUSH le pacifiste (IRAK, 1 200 000 morts), CLINTON le droit-de-l’hommiste (ex-Yougoslavie 220 000 morts), OBAMA l’humaniste (Libye : 30 000 morts, Syrie : 225 000 morts) ?