Peggy Sastre devait donner à des étudiants du campus de Reims de Sciences Po Paris des cours sur l’évolution. Ils ont été annulés. Explication.
Fin juin, après plusieurs mois d’enquête, L’Express publiait un article sur la censure, à l’Institut d’études politiques de Paris, de deux cours proposant une analyse biologique, cognitive et évolutionnaire du comportement humain.
Deux cours confirmés par la direction académique de l’établissement depuis novembre 2021, avec jour, heure et salles de cours attribués, pour être annulés le 12 janvier 2022, soit moins de 15 jours avant le début du semestre.
Une suppression demandée par la gouvernance du Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (Presage) et consentie par la doyenne du collège universitaire et la directrice du campus de Reims, où les enseignements devaient se tenir.
Le premier cours, intitulé « Psychologie politique évolutionnaire », aurait dû avoir comme enseignant Leonardo Orlando (docteur en sciences politiques de l’IEP Paris). Pour le second, « Biologie, évolution et genre », il était prévu que ce même chercheur soit aux manettes avec moi-même.
J’ai choisi de ne pas poursuivre de carrière scientifique au-delà de mon doctorat de philosophie des sciences obtenu en 2011 et, pour mon plus grand bonheur, ma vie professionnelle se partage à l’heure actuelle entre mon salariat au Point et mes essais et traductions (de Steven Pinker, Robert Plomin, Randolph Nesse, Robin Dunbar, Bari Weiss…).
Depuis 2009 et la publication de mon tout premier livre, Ex utero, mon « œuvre » se concentre principalement sur une lecture biologique et évolutionnaire des questions de sexe et de genre, avec quelques blagues, gros mots et virgules mal placées au milieu.
Je suis en outre profondément féministe et c’est dans cette optique, par exemple, que j’ai pu critiquer le mouvement #MeToo dès son apparition fin 2017.
Une position notamment incarnée dans l’écriture à dix mains du texte « Des femmes libèrent une autre parole », publié dans Le Monde en janvier 2018 et passé à la postérité sous son sobriquet « Tribune Deneuve » (du nom de sa signataire la plus fameuse) après avoir fait le tour du monde comme « la résistance française à #MeToo» (pour les appréciations les plus polies de cette lettre ouverte défendant l’État de droit, condamnant la censure artistique et s’opposant à un « féminisme » faisant des femmes d’éternelles proies sans défense à la merci d’hommes automatiquement pervers et prédateurs).
Dire que je suis habituée aux controverses que mon jus de crâne a tendance à susciter tient donc de l’euphémisme.
Reste que j’ai pourtant été sidérée par cette censure. Par les mensonges que Sciences Po véhicule pour la défendre. Par exemple, Sciences Po prétend que Leonardo Orlando aurait lui-même validé ses propres cours sans se référer aux autorités pédagogiques idoines.
Ce qui, je vous épargne les détails techniques, est tout bonnement et matériellement impossible – l’inverse serait quelque peu inquiétant pour la grande école.
L’IEP affirme également que les cours n’auraient pas répondu à ses « critères scientifiques ».
Il faut donc en déduire qu’aux yeux de Sciences Po les travaux de Steven Pinker (MIT, Harvard), Jonathan Haidt (Yale, université de New York), David Buss (Berkeley, Harvard) ou Nicholas Christakis (Harvard, Yale, université de Chicago), tous présents dans nos bibliographies, sont de la crotte en barre.
Et enfin, ils soutiennent que les « conceptions » sur le sujet que je peux exposer dans mes livres et articles « peuvent presque conduire à légitimer le viol » – non, vous n’avez pas la berlue, voilà un établissement d’enseignement supérieur pour qui chercher à expliquer un phénomène, c’est le justifier.
Quelle époque épique !
Mais le pire dans toute cette histoire, c’est le climat de peur qu’elle révèle au sein même du monde académique et universitaire. Dès l’enquête de L’Express parue, j’ai ainsi été contactée par les rares chercheurs français œuvrant à une appréhension biologique du comportement humain – Robert Trivers explique ici pourquoi la France n’est pas le pays idéal pour mener une telle entreprise. En substance, tous me disaient qu’ils étaient d’accord avec moi mais qu’ils ne pouvaient pas se permettre de me soutenir publiquement. Qu’il ne fallait pas que la polémique « Darwin contre Sciences Po » les éclabousse – que leurs carrières, postes et financements étaient en jeu.
Leonardo Orlando, aujourd’hui postdoc, a décidé de supprimer son actuelle affiliation académique de son compte Twitter et, après un unique commentaire vidéo au Figaro, refuse désormais toute sollicitation médiatique.
Parce qu’il marche sur des œufs et craint de se faire virer en cherchant à se défendre contre les calomnies de Sciences Po ?
Tout ce que je sais, c’est que des membres « juniors » du laboratoire où il est employé – masters, doctorants et jeunes chercheurs – ont reçu un courrier de leurs supérieurs leur recommandant de ne pas commenter l’affaire sur leurs réseaux sociaux personnels.
Parmi les autres passions intellectuelles qui m’animent, il y a comprendre comment l’humain peut en venir aux lynchages, aux pogroms et aux régimes totalitaires.
Pourquoi la liberté, la loyauté à ses principes et le courage de ses opinions ont tout d’une étrange maladie que nous sommes visiblement très rares à pouvoir choper.
Mais plongez-vous trois minutes dans la cervelle d’un universitaire travaillant sur des sujets « controversés » et rien ne vous semblera plus logique.
Comme Lionel Shriver l’écrit dans Propriétés privées (traduit chez Belfond par Laurence Richard) : « L’enseignement conférait l’autorité arbitraire mais absolue des dictatures de pacotille, et montait fatalement un jour ou l’autre à la tête de ceux qui s’y livraient. »
Au sein de notre espèce, les spirales du silence, la pleutrerie et la pusillanimité ne sont pas l’exception, mais la règle.
Ce qui, en définitive, pourrait être parfaitement inoffensif si tous ces gens très intelligents n’avaient pas littéralement nos vies entre leurs mains. On doit ainsi à Sciences Po la formation de plus de 90 % de l’élite politique française et l’IEP compte parmi ses anciens élèves cinq présidents et onze Premiers ministres.
Sans parler d’une myriade de fonctionnaires – la France peut se targuer d’un des taux d’emploi public les plus élevés au monde – chargés de faire respecter les quelque 300 000 lois et règlements régissant notre quotidien.
À l’heure où j’écris ces lignes, l’écrasante majorité des enseignements de Sciences Po ignore, voire nie ouvertement la biologie et la théorie de l’évolution dès que le comportement humain est dans les parages. Par exemple, en études de genre, environ 80 cours sont confirmés pour l’année universitaire 2022-2023 et pas un seul d’entre eux n’aborde des faits biologiques. Il suffit de rechercher « gender » ou « genre » dans l’annuaire des cours de Sciences Po pour s’en convaincre.
Par contre, si c’est la psychanalyse ou « l’économie féministe » qui vous bottent, alors la Rue Saint-Guillaume saura vous combler.
Que Darwin et la théorie de l’évolution y soient des hérétiques, comme dans la plupart des départements de sciences sociales en France, n’a donc rien d’étonnant. Toutes les thèses qui y sont « débattues » contredisent et s’opposent même directement aux faits scientifiques établis sur la nature humaine par la biologie, la primatologie, l’anthropologie physique, les neurosciences, la psychologie et les sciences cognitives.
Et c’est pour cette même raison que, depuis déjà belle lurette sur les campus américains, et maintenant en France, des militants politiques (sous les atours de chercheurs bien peignés) ont tout intérêt à se démener pour que leurs étudiants ne se familiarisent jamais avec la théorie de l’évolution.
Les études de genre, telles qu’enseignées par des idéologues dans nos universités, en sont un cas d’école : confrontées à la biologie et à l’évolution, leurs belles histoires ne résistent pas et s’écroulent comme un château de sable.Voilà pourquoi étudier des approches biologique et évolutionnaire du comportement social humain – ou, comme moi, chercher à les faire largement connaître – n’est pas de tout repos.
Voilà pourquoi les attaques sont si nombreuses et les calomnies, si vicieuses. Si Darwin est le tabou ultime lorsqu’il est question de comportement humain, c’est parce qu’il est le grand mur de preuves cumulées et multiniveaux contre lequel s’écrasent toutes les lubies financées par le contribuable que les départements de sciences sociales produisent à la pelle avant leur déferlement dans la société.
Sauf que Darwin est aussi le socle le plus fondamental pour reconstruire des sciences sociales ancrées dans le réel et qui, ainsi, nous aideront à aborder le plus efficacement possible les plus grands problèmes sociétaux de notre temps.
Un jour, un ami m’a fait cette blague : « La France est le dernier pays soviétique au monde à ne pas savoir que l’URSS s’est effondrée. » On ne pourrait pas taper plus juste. Dans notre si cher pays, il y a la tour Eiffel et, juste derrière, le lyssenkisme qui pète la forme.Le 9 février 1619, à Toulouse, Giulio Cesare Vanini était brûlé après avoir été privé de sa langue et étranglé. Il avait 34 ans. Son crime ? Avoir écrit que « la matière du ciel n’est pas différente de celle de l’homme ou du scarabée ».
Soyons donc optimistes et célébrons les progrès accomplis depuis ces heures obscures : aujourd’hui, dans la fabrique à orthodoxie intellectuelle, plus personne n’arrache des langues.
Mais on empêche toujours les gens de parler s’ils ont l’outrecuidance de démontrer que l’homme et le monde naturel sont faits du même bois.
© Peggy Sastre
https://www.lepoint.fr/debats/peggy-sastre-quand-sciences-po-censure-darwin-20-07-2022-2483889_2.php
La Théorie du genre est la version platiste de la Théorie de la terre plate.
Les universités occidentales sont tombées aux mains des platistes.
La Théorie du genre est la version biologique de la Théorie de la terre plate…Nos universités sont dirigées par des platistes.
Les universités occidentales n’ont plus rien à envier aux prêches des Talibans ou aux embrigadements du 3ème reich (car cet article très pertinent ne fait cependant qu’effleurer un sujet beaucoup plus vaste). On ne voit ce genre de phénomène que dans les pires régimes fascistes.
Vous oubliez étrangement les intégristes chrétiens qui sont les premiers à s’opposer à ces théories. Ouvrez les yeux et sortez de votre conditionnement idéologique.
@Rime Remarque totalement hors de propos.
La Théorie du genre ou machin n’a pas plus de crédibilité scientifique que le mythe de la résurrection de Jésus ou celui de Marie tombée enceinte sans rapport sexuel. Donc qui sont les intégristes ? (Et je ne suis pas Chrétien).
Et avec notre nouveau ministre de l’éducation nationale, le naufrage intellectuel des universités et de la France va s’accentuer. Ce pays est une ruine.
Que vient faire ici le nouveau ministre de l’éducation nationale ? Est-ce à cause de ses origines ?
@Rime Pour quelqu’un qui parle de « conditionnement idéologique » vous êtes AU MIEUX complètement sous-informé(e). On va faire preuve d’indulgence et retenir cette hypothèse…