Sans saveur ni audace, l’Entretien du GRF Haïm Korsia à L’Eclaireur

Pour un « néo franco judaïsme »

A lire cet entretien, On croirait que « tout va bien », Monsieur le Grand Rabbin.

Entretien avec Haïm KORSIA, grand rabbin de France

Monsieur le Grand Rabbin de France, vous connaissez très bien la pensée et l’œuvre du grand rabbin Jacob Kaplan à qui vous avez consacré, il y a quelques années, une thèse de doctorat puis un livre. Quelle était sa conception des liens entre les Juifs et la République ?

C’était avant tout une convergence des vocations et des espérances. On trouve dans la Bible les mêmes aspirations à la liberté, à l’égalité et à la fraternité, dans des termes d’ailleurs très proches, que celles qu’on peut trouver dans la République tout au long de son histoire. Pour le grand rabbin Kaplan, il était évident qu’il y avait une rencontre presque « messianique ». Il faut d’ailleurs relire les écrits des rabbins français à l’époque de la Première Guerre mondiale, c’est édifiant de voir la façon dont ils présentent le conflit entre la France et l’Allemagne comme une poursuite de celui qui opposa jadis Jérusalem à Babylone. La France et le judaïsme, c’est une très ancienne histoire d’amour. « Malgré tout », pourrait-on dire, car Kaplan n’était pas naïf, lui qui était né au moment de l’affaire Dreyfus dont il prit la mesure. Mais il avait surtout en mémoire l’événement majeur que fut l’émancipation des Juifs de France le 27 septembre 1791. À partir de ce moment, tous les ghettos de France mais aussi d’Europe s’ouvrirent et les Juifs prirent pleinement part à la nouvelle aventure nationale.

Où en est-on, aujourd’hui, de cette vision des choses ? La communauté juive française, ses rabbins et ses intellectuels s’inscrivent-ils encore dans la tradition du « franco-judaïsme » ?

Disons que cette espérance est mise à rude épreuve car, depuis la Seconde Guerre mondiale, les Juifs n’ont jamais été absolument tranquilles. Le meurtre d’Ilan Halimi, l’assassinat de Sarah Halimi, etc., tout cela, c’est notre tragique actualité. La haine des Juifs prend de multiples formes, même dans des actes quotidiens. Depuis Carpentras et les profanations régulières de tombes juives en Alsace, même nos morts ne sont pas en paix. Pourtant, le propre du judaïsme est de porter une espérance en toute circonstance, même quand plus personne n’espère. L’enjeu n’est donc pas de constater ou pas la persistance du franco-judaïsme, mais de le créer. De le renforcer et de le réenchanter.

On a souvent parlé du « bonheur d’être juif en France ». Mais, depuis quelques décennies, certains s’inquiètent des débats sur la laïcité et d’une certaine opposition aux arrangements pragmatiques qui avaient jusque-là facilité la pratique religieuse. À ceci s’ajoutent les critiques permanentes à l’encontre de la politique israélienne qui met mal à l’aise les Juifs de France. Est-ce la fin de l’idylle entre la République et le judaïsme ?

Non, sûrement pas. Dans mon livre sur le grand rabbin Kaplan, je parlais déjà de « néo-franco-judaïsme ». C’était une façon de rappeler à la France ce qu’elle est et au judaïsme ce qu’il est. Je vous l’ai dit, il faut que ces deux dimensions – française et juive – soient fidèles à leurs aspirations.

Au-delà des questions qui touchent spécifiquement les Juifs, n’y a-t-il pas des phénomènes généraux qui empêchent la poursuite d’un franco-judaïsme tel qu’on l’imaginait avant, notamment l’individualisme ou la virtualisation du monde qui transcende les limites géographiques.

Je ne pense pas que cela remette en question notre vision des liens entre judaïsme et République. Le franco-judaïsme n’est pas une invention de Napoléon, du XIXou du XXe siècle, c’est la rencontre magique entre Rachi, célèbre rabbin et exégète, et la France. Nous avons le privilège de porter la langue qu’il a utilisée pour rendre accessibles la Tora et le Talmud. Le franco-judaïsme débute à ce moment-là et il n’est pas près de s’éteindre.

 Il est vrai que l’on observe aujourd’hui une « archipélisation » de la vie sociale, un éclatement et un morcellement de la société au sein de laquelle chacun ne défend plus qu’un groupe donné. Cela devrait inquiéter tout le monde et, à ce propos, la Tora a des choses à nous dire. Un verset nous enjoint : Lo titgodédou (Deutéronome 14,1), c’est-à-dire, selon l’interprétation de nos maîtres (traité Yébamot p. 13b) : « Ne faites pas des clans » (lo taassou agoudot agoudot). Or justement le franco-judaïsme déclare : « Nous sommes la communauté juive mais nous sommes inclus dans la grande communauté nationale. » Nous n’aspirons pas à être « à part » et c’est une leçon fondamentale aujourd’hui.

Revenons justement à une question plus générale : certaines règles halakhiques sont spécifiquement prévues pour éviter une trop grande assimilation des Juifs au sein de leur environnement non juif (bichoul goï*, etc.). Comment concilier cela avec la dimension de fraternité envers les concitoyens que vous encouragez ?

Ce n’est pas parce qu’on sera « plus juif » qu’on sera « moins français » ou parce qu’on sera « plus français » qu’on sera « moins juif » ! Quand on est fidèle au judaïsme aussi bien qu’à la France, de manière authentique, on est absolument soi-même. La fraternité est un état d’esprit. J’ai par exemple toujours mangé avec mes collègues ou amis, notamment quand je travaillais à l’armée. J’avais ma barquette casher et ils avaient leur propre repas. C’est une question de volonté. On n’a pas à renier une partie de soi-même ou à renoncer à ses pratiques pour être dans une démarche de partage et de concitoyenneté. Certains pensent à tort qu’en étant « moins juifs », en s’assimilant, ils seraient « plus français ». C’est une conception erronée. De toute façon, on est perçus comme « Juifs » par les autres, donc autant l’être pleinement ! Un célèbre midrash raconte qu’un renard proposa à des poissons de venir se réfugier chez lui pour échapper aux filets du pêcheur. Ce à quoi les poissons répondirent : « Mais l’eau est notre élément, hors d’elle nous mourrons ! Même si nous y sommes en danger, en sortir serait bien pire ! » Les mitsvot (pratiques religieuses) sont notre « eau », notre élément à nous. Et elles ne nous ont absolument jamais coupés de nos concitoyens. Cela n’est jamais arrivé.

*Règle selon laquelle la cuisson des aliments doit parfois être faite exclusivement par un Juif, NDLR.

Publié le 24/07/2022

Propos recueillis par Karen Allali

https://www.leclaireur.org/magazine/article?id=435

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