Nanou Lrde.  » Nuit et brouillard  » de Jean Ferrat

Photographies de jeunes détenus du camp d’Auschwitz prise au moment de leur enregistrement matriculaire, sans date (coll. Musée d’Etat d’Auschwitz). Sur les photographies de gauche, prises de profil, à côté du matricule attribué, figure la catégorie dans laquelle les détenus ont été enregistrés. En haut, une garçon juif ; au centre, une fille tsigane; en bas, une fille polonaise.

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers, nus, maigres et tremblants, dans ces wagons plombés, qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants, ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent.

Ils se croyaient des hommes, ils n’étaient que des nombres, depuis longtemps leurs dés avaient été jetés, dès que la main retombe, il ne reste qu’une ombre.

Ils ne devaient jamais plus revoir un été. La fuite monotone et sans hâte du temps, survivre encore un jour, une heure obstinément. Combien de tours de roues, d’arrêts et de départs, qui n’en finissent pas de distiller l’espoir ?

Ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel, certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou, d’autres ne priaient pas, mais qu’importe le ciel, ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux.

Ils n’arrivaient pas tous à la fin du voyage, ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux ? Ils essaient d’oublier, étonnés qu’à leur âge, les veines de leurs bras soient devenues si bleues.

Les Allemands guettaient du haut des miradors, la lune se taisait comme vous vous taisiez, en regardant au loin, en regardant dehors,votre chair était tendre à leurs chiens policiers.

On me dit à présent que ces mots n’ont plus cours,qu’il vaut mieux ne chanter que des chansons d’amour, que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire, et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare.

Mais qui donc est de taille à pouvoir m’arrêter ?

L’ombre s’est faite humaine, aujourd’hui c’est l’été. Je twisterais les mots s’il fallait les twister, pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez.

Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers, nus, maigres et tremblants, dans ces wagons plombés, qui déchiriez la nuit de vos ongles battants, vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent …

 » Nuit et brouillard  » Jean Ferrat 1963

La rafle du  » Vel d’Hiv  » est l’un des événements les plus tragiques survenus en France sous l’occupation. En moins de deux jours, les 16 et 17 juillet 1942,12 884 femmes, hommes et enfants, répartis entre Drancy et le  » Vel d’Hiv  » ont été arrêtés par la police parisienne à la suite d’un arrangement criminel entre les autorités allemandes et le gouvernement français.

© Nanou Lrde

Merci à Aline Chalom

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