Ypsilantis. Trop d’Etat!

Les dépenses publiques sont en France plus élevées que partout ailleurs. Elles asphyxient l’économie et ne cessent d’augmenter malgré les promesses électorales d’Emmanuel Macron, et ce avant la pandémie. En 2019, ces dépenses étaient de 1 348 milliards d’euros, soit 55,6 % du P.I.B., les plus élevées des pays de l’O.C.D.E.

L’État produit des services tels que l’éducation, la santé, la sécurité, etc., des services utiles au pays. Nous ne nous placerons pas dans cet article du point de vue de l’anarcho-capitaliste radical qui va jusqu’à remettre en question les fonctions régaliennes de l’État. Je constate simplement que des États de l’O.C.D.E. jouent mieux leur rôle de producteurs de services que ne le fait l’État français et je ne vais pas pointer d’un doigt accusateur toute « dépense publique » mais les gaspillages. Les dépenses sociales en France représentent près de 60 % des dépenses publiques. Toutes les études indiquent que ce sont essentiellement les dépenses sociales qu’il faudrait s’employer à réduire, une tâche qu’aucun gouvernement n’a voulu entreprendre par crainte d’un tollé social et d’une défaite électorale.

L’excès de dépenses sociales a une explication (et il n’y en a probablement pas d’autre) : le laisser-aller de l’État, un laisser-aller activé par la désindustrialisation du pays (l’une des plus fortes parmi les pays de l’O.C.D.E.) et un rapport des Français à leur État que je n’hésite pas à qualifier de névrotique. La désindustrialisation du pays a commencé il y a une bonne quarantaine d’années. Le secteur secondaire ne contribue plus à présent que pour environ 10 % du P.I.B. Sous l’effet de la pandémie, on découvre, bien tardivement, qu’il y a un rapport direct entre la production industrielle d’un pays et le P.I.B. per capita de ses habitants. Le Français par ailleurs volontiers frondeur se montre plutôt immature dans ses rapports avec son État. Bébé allaité et bébé au biberon du berceau au cercueil. Par interversion de deux lettres, sevrage donne servage. Étrange. La dépendance du citoyen envers l’État est devenue en France véritablement insupportable. Le pays se vide de ses énergies.

On traque les paradis fiscaux, on s’énerve au sujet de la taxe sur les transactions financières, on évoque le retour de l’I.S.F., on cherche des noises aux non-résidents, etc., etc., sans jamais demander de comptes à l’État, des comptes très précis, à l’euro près, comme le faisait si brillamment Michel de Poncins. Or, il conviendrait avant tout de mettre fin au gaspillage du produit des impôts et des taxes par l’État, un gaspillage qui s’est accentué avec l’argent « gratuit ». Les fraudes aux prestations sociales sont énormes. On évoque jusqu’à une cinquantaine de milliards d’euros par an. Il faudrait mettre fin au scandale des intermittents du spectacle et d’abord parce que l’État n’a pas à intervenir dans la production culturelle. Qu’il se contente de restaurer et de maintenir les monuments historiques, un travail déjà considérable. Le niveau de vie des Français ne sera pas garanti par le niveau des transferts sociaux mais par la croissance du P.I.B. de pays. A bon entendeur, salut !

François Facchini vient de publier un livre intitulé « Les dépenses publiques en France », livre que j’ai abondamment feuilleté et dont il me faudra faire une lecture systématique. François Facchini présente l’histoire des dépenses publiques en France et leur structuration pour la période 1870-2015 et il se livre à une analyse comparative avec les pays du G8 et de la zone francophone.

Il constate que depuis plus d’un siècle ces dépenses ont augmenté, essentiellement pour cause de dépenses sociales, les dépenses régaliennes restant relativement faibles par rapport au P.I.B. Il analyse la confusion, en France particulièrement, quant à la notion biens communs/biens publics, confusion qui a conduit trop souvent à privilégier l’étatisation afin de résoudre des problèmes que le privé saurait mieux résoudre. Si l’État peut être la solution, il peut également être le problème.

François Facchini s’efforce de comprendre pourquoi la dépense publique a augmenté de la sorte. A cet effet, il circonscrit des données statistiques et économétriques puis formule une explication globale. Les causes sont foisonnantes mais l’une d’elles les fédère, les lie en gerbe si je puis dire : la variable idéologique. Il repousse l’approche exclusivement paramétrique (soit l’étude des relations entre les grandeurs mesurables et quantifiables) pour mieux expliquer les faits par une cause finale et rassembler la diversité du monde et des êtres autour de catégories générales. Ce faisant il rejoint l’École autrichienne d’économie qui considère qu’il n’y a « ni loi empirique de l’économie, ni loi empirique des finances publiques, parce que, comme sur les marchés, la dynamique des ordres humains est créative ». Il ne s’agit donc pas de nier certains mécanismes généraux qui agissent sur les dépenses publiques, il s’agit de ne jamais oublier de tenir compte des motivations individuelles, de tous les individus sans exception.

J’ai souvent dit que les Français avaient un rapport à l’État, tantôt papa tantôt maman, le plus souvent les deux à la fois, qui relève de la psychanalyse. Ce rapport névrotique, disons-le, explique pour l’essentiel la croissance des dépenses publiques. De l’extrême-gauche à l’extrême-droite, en passant par le centre-gauche et le centre-droite, l’État est placé sur un autel, divinité devant laquelle on ne s’incline pas nécessairement mais que l’on ne cesse d’implorer. C’est ainsi que la divinité et ses prêtres ne cessent d’intervenir à tous les niveaux de l’édifice social, multiplient impôts, taxes et règlements. De plus, en France, le statut de la fonction publique (la classe sacerdotale en quelque sorte) rend particulièrement difficile toute réduction des effectifs publics. La création de la Sécurité sociale (la Sécurité sociale obligatoire et universelle est créée par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945), certes basée sur une bonne intention, voire une excellente intention, a favorisé l’extension illimitée des droits sociaux et des dépenses attenantes à ces droits, proches des 33 % du P.I.B., de loin le taux le plus élevé de l’O.C.D.E.

Ce constat posé, une question vient : les économies où la dépense publique est plus élevée qu’ailleurs sont-elles les plus prospères et les libertés y sont-elles mieux respectées ? Répondre à une telle question engage une part essentielle de subjectivité, la prospérité et la liberté ne se définissent pas exclusivement en chiffres et en graphiques, la liberté surtout, notion qui leur échappe.

François Facchini note tout simplement ce dont nous pouvons prendre note aussi longtemps que nous ne sommes pas enferrés dans une idéologie, à savoir qu’« en deçà d’un certain seuil, la dépense publique a un effet positif, mais au-delà de ce seuil, son impact sur la croissance est négatif », une remarque qui va à contre-courant du courant keynésianiste, si puissant à présent et qui avec l’actuelle pandémie ne cesse de gonfler ses eaux. L’augmentation de la dépense publique a entre autres effets celui de réduire l’épargne sans laquelle l’économie est comme un moteur sans carburant. Cette augmentation suppose mécaniquement une augmentation des impôts et des taxes existants voire la création de nouveaux impôts et taxes, un domaine où la France se montre particulièrement créative, ce qui a pour effet de déprimer le pays en provoquant un effet d’éviction, un phénomène caractérisé par une baisse de l’investissement et de la consommation privée provoquée par une hausse des dépenses publiques. A l’éviction s’ajoute l’exil fiscal (ou l’expatriation fiscale), un phénomène parfaitement légal et qui est l’un des marqueurs du degré de socialisme – d’oppression donc – dans un pays donné. Cette remarque fera probablement sursauter plus d’un lecteur, mais force est de constater que le socialisme est contraire à la liberté, ce qui ne veut pas dire que ceux qui combattent le socialisme sont nécessairement des défenseurs de la liberté…

Français Facchini : « Un euro de dépense publique financé par l’impôt, ce n’est pas seulement un euro de dépense privée en moins, mais peut-être deux ou trois euros en moins, car l’impôt réduit l’incitation au travail et finalement baisse les revenus et le niveau global de la dépense privée ». François Facchini adopte une position que je qualifierais de sage, à savoir que l’absence d’État favorise le chaos tandis qu’un État qui se limite à ses fonctions régaliennes crée les conditions de la prospérité, que celui qui met son nez partout au nom du bien-être général nuit à ce bien-être et favorise diverses formes d’oppression. L’anarcho-capitalisme reste un idéal qui me séduit fortement, par tempérament dirais-je, mais je reconnais que mon tempérament ne doit pas être mon seul guide et que je dois analyser ses propositions.

L’État tel qu’il s’est imposé en France porte à présent préjudice à la prospérité (depuis des décennies) et à la liberté. Liberté, ce mot inscrit au fronton des édifices publics, cet élément d’une trilogie – Liberté / Égalité / Fraternité – que je n’apprécie guère car elle est étatique.

Entre l’anarcho-capitalisme radical, cet idéal qui doit rester un idéal, et le trop d’État qui navre les citoyens hormis ceux qui se sont diversement logés dans le fromage étatique, il reste l’État minimal soit un État doté de pouvoirs régaliens, des pouvoirs essentiels et non dépourvus de prestige – notion très importante en la circonstance. L’État minimal – l’État régalien – constitue également un idéal, mais moins radical. L’État régalien, strictement régalien, soit l’État qui ne se mêle pas d’économie, participera harmonieusement au fonctionnement du pays. Je rêve d’un pays où l’économie serait entièrement privée et soutiendrait avec scrupule voire avec un intérêt passionné les fonctions régaliennes de l’État, d’un pays où les rapports entre le privé et le public seraient harmonieux et donc féconds. Mais tout indique qu’il n’en sera rien, que les États, notamment à la faveur de la pandémie de la Covid-19, vont étendre leurs prérogatives par le biais de l’endettement et de l’action des banques centrales.

François Facchini nous dit qu’il faut augmenter les dépenses régaliennes, et comment lui donner tort ? Ces dépenses décidées et organisées par l’État favorisent aussi la croissance. Les dépenses de redistribution sont nuisibles à tous égards, et d’abord parce que par elles l’État ne fait qu’en prendre à son aise, se conforter dans le clientélisme, augmenter le volume du fromage dans lequel logent ceux qui s’y sont installés et qui avec les armes de la Loi et des décrets cherchent à soumettre ceux qui n’y logent pas.

Il faut réduire les dépenses publiques sans les supprimer et François Facchini propose à cet effet divers moyens. Il faut commencer par modifier les rapports des Français à leur État.

Dans une note et ses annexes du 7 décembre 2021, le Haut-Commissariat au Plan (encore un machin dont la France se passerait bien) confirme à partir de statistiques détaillées que depuis vingt ans notre balance commerciale est déficitaire, toujours plus déficitaire. Et, à présent, la part de l’industrie dans le P.I.B. n’est plus que de 10 %. Le pays s’est désindustrialisé, une tendance amorcée depuis une quarantaine d’années et qui explique en partie le déséquilibre de la balance commerciale.

Ce document rend compte de quelque chose que j’observe au quotidien lorsque je séjourne en France, une ambiance discrète et particulière : la France vit au-dessus de ses moyens ; elle est donc en toute logique en voie d’appauvrissement. Certes, cette tendance n’est pas irréversible si le pays se reprend… Les actifs que détiennent les étrangers en France ne cessent d’augmenter tandis que ceux que détiennent les Français à l’étranger ne cessent de diminuer. Cette tendance touche même les échanges de produits agricoles et agroalimentaires, traditionnellement l’un des points forts de l’économie du pays. L’État (la machine étatique) est devenu directement responsable de l’état de la France. Il a été au cœur du redressement du pays après les ruines de la Deuxième Guerre mondiale ; à présent, il est au cœur de son affaissement avec le volume et le poids des administrations qui s’emploient à justifier son existence en intervenant le plus souvent d’une manière intempestive en prélevant/redistribuant, produisant ainsi un empilement monumental de normes qui empêchent ce pays de respirer et d’avancer. Mais le patron du Haut-Commissariat au Plan, le Sieur Bayrou, en bon technocrate, ne voit pas le problème ainsi. Grosso modo, si les choses vont mal c’est parce que l’État n’est pas assez volontariste, pas assez stratège. Le Sieur Bayrou se réfère à un modèle qui a bien fonctionné dans l’Europe des Trente Glorieuses (1945-1975), mais ce modèle date car il ne tient pas compte de la concurrence qui est devenue le moteur de l’économie.

Lorsque j’étais dans le secondaire (je me répète), soit au début des années 1970, on mettait l’accent sur le fait que la France était un pays où l’industrie (le secteur secondaire) comptait de moins en moins ; on en était même fier : la France est un pays moderne, de plus en plus moderne parce que le secteur secondaire s’amenuise alors que le secteur tertiaire ne cesse de croître. Le modèle fabless (pour reprendre un terme à la mode) faisait se pâmer le pays qui concevait et distribuait mais ne fabriquait plus, la fabrication étant considérée comme une activité subalterne, bonne pour les pays « en voie de développement » suivant la belle expression.

Des efforts ont été faits depuis François Hollande mais ils restent insuffisants et il va falloir accélérer le rythme. Il ne faut plus s’en tenir à des travaux de ravalement (agréables certes mais trompeurs) et réviser les structures sous peine de voir l’ensemble s’effondrer, d’un coup ou lentement. Je m’efforce de mettre en œuvre mon common sense. On ne cesse de s’énerver autour de l’I.S.F. ; mais qui évoque le niveau des impôts de production, impôts qui restent beaucoup plus élevés que chez nos voisins et qui pèsent sur la vie des entreprises ? En France, c’est retraite par répartition contre retraite par capitalisation, soit Gentils contre Méchants ; c’est l’administration contre les entreprises, soit Gentils contre Méchants, et ainsi de suite. Quand sortira-t-on de ce monde dualiste qui ne cesse de faire rétrocéder le pays ?


© Olivier Ypsilantis

Né à Paris, Olivier Ypsilantis a suivi des études supérieures d’histoire de l’art et d’arts graphiques. Passionné depuis l’enfance par l’histoire et la culture juive, il a ouvert un blog en 2011, en partie dédié à celles-ci. Ayant vécu dans plusieurs pays, dont vingt ans en Espagne, il s’est récemment installé à Lisbonne.

Source: ZakhorOnline

https://zakhor-online.com/

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1 Comment

  1. Courte vue concernant la culture. Telle qu’elle fonctionne actuellement, elle contribue à hauteur de 57,8 milliards d’euros au PIB (valeur ajoutée). Il ne s’agit que de la valeur ajoutée directe, c’est à dire du seul fait des activités culturelles. Ce qui équivaut à 3,2% du PIB, soit sept fois la valeur ajoutée de l’industrie automobile.

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