Elyakim Rubinstein. La Cour suprême d’Israël, justice des hommes au pays de Dieu

Le bâtiment, créé pour elle, fête ses 30 ans. Le juge Rubinstein, l’un des grands acteurs de l’instance, nous explique son architecture, mais aussi le rôle central, depuis la création de l’État juif, de cette cour, à la fois Cour suprême d’appel et Haute Cour de justice.

Le bâtiment de la Cour suprême, inauguré en 1992, se situe juste derrière la Knesset (le Parlement israélien). Une allée ouverte relie les deux institutions. ©MIDDLE EAST/ALAMY STOCK PHOTO

Pendant plus de treize ans, j’ai eu l’honneur de siéger à la Cour suprême d’Israël, à Jérusalem. Bien sûr, ce lieu m’était familier bien des années avant. En 1980, mon premier livre, Juges du pays, traitait de la création de la Cour et de son histoire lors des premières décennies. Elle siégeait encore alors à son premier emplacement, un bâtiment du XIXe siècle, qui était à l’origine un lieu de dévotion pour les pèlerins originaires de Russie.

Les aspects essentiels du tribunal sont, bien sûr, son contenu – les décisions qu’il prend -et les personnes qui y travaillent, mais le bâtiment dans lequel il se trouve aujourd’hui mérite aussi notre attention. Il est considéré, d’un point de vue architectural, comme l’un des plus beaux et des plus originaux de la capitale d’Israël, ce qui est très significatif pour l’institution elle-même. Inauguré en 1992, il fête cette année son trentième anniversaire. Il a été placé au cœur du complexe national appelé Kiryat Ben Gourion, du nom de David Ben Gourion, le Premier ministre fondateur de l’État d’Israël, qui inclut notre Assemblée nationale, la Knesset, et plusieurs autres institutions publiques.

La spécificité de ce bâtiment, conçu par les architectes Ada Carmi-Melamed et Ram Carmi, est la tentative de combiner l’ancien et le nouveau. Il est ainsi à l’image de nombreuses choses dans ce pays, y compris l’État d’Israël lui-même, “Shivat Zion”, matérialisation politique du renouveau juif après deux mille ans d’exil.

Aux éléments architecturaux anciens et nouveaux propres à Israël, ses créateurs ont également incorporé des éléments orientaux, rappel de notre environnement géographique et artistique, mais aussi des symboles et des éléments propres à la seule ville de Jérusalem. Cela donne un ensemble qui n’oublie rien de notre réalité. Ada Carmi-Melamed et Ram Carmi ont bien sûr ajouté toute une symbolique relative à la justice, notion qui est l’essence même du tribunal.

La tradition juive enseigne : « C’est la justice que tu dois rechercher » (Deutéronome 16, 20) et aussi la promesse prophétique : « Sion sera sauvée par la justice, et ses pénitents par la vertu » (Isaïe 1, 27). La justice, tsedaka en hébreu, est un terme à double sens, justice et compassion envers les pauvres, mais aussi élément nécessaire aux liens entre la société et l’individu. Il est amusant de souligner que la Cour suprême est située sur une colline de Jérusalem, mais, comme le disait le président Aharon Barak, elle ne siège pas sur l’Olympe. Elle vit au sein de son peuple, dans un État juif. Juif et démocratique, fruit de l’aspiration au retour à Sion incarnée par le mouvement sioniste, et avec une responsabilité réelle envers les droits des personnes, qu’elles soient juives ou non.

La Cour suprême d’Israël réunit ce qui en France est dévolu à un certain nombre d’autorités suprêmes judiciaires et constitutionnelles. Elle se compose de deux corps principaux, la Cour suprême d’appel et la Haute Cour de justice. Le rôle d’appel dans les domaines du droit pénal, civil et administratif est similaire à ce qui se fait, avec certaines nuances, dans les cours suprêmes d’autres démocraties.

La Haute Cour de justice examine les pétitions contre les décisions gouvernementales et aussi contre certaines lois de la Knesset, au cas où elles seraient contraires aux exigences constitutionnelles. Si Israël n’a pas de Constitution, puisque, pour des raisons politiques, la rédaction d’un tel texte n’a toujours pas abouti, il possède cependant des lois fondamentales. La Cour suprême les considère, de fait, comme une Constitution. C’est sur cette base qu’elle peut examiner l’esprit des lois de la Knesset, bien entendu avec la diligence requise et avec respect pour la Knesset, qui tire sa légitimité de l’élection populaire.

En effet, de par son statut de Haute Cour de justice, le tribunal permet, en première instance, à ceux qui cherchent à s’opposer aux questions juridiques gouvernementales de disposer d’un véritable recours sur l’agora, comme dans l’Athènes antique. Les questions qui y sont abordées sont relatives aux aspects des droits de l’homme, tels que les droits des femmes, des minorités en Israël, mais aussi des Palestiniens dans les territoires sous autorité israélienne. Bien que le droit international ne l’exigeât pas, le procureur général Meir Shamgar, ancien combattant de la guerre d’indépendance, a décidé, en 1967, après la guerre des Six-Jours, d’autoriser les résidents des territoires occupés à se présenter devant la Haute Cour de justice. C’est toujours le cas aujourd’hui. Meir Shamgar présidera d’ailleurs la Cour de 1983 à 1995.

Une caractéristique importante du travail de la Haute Cour de justice est que le droit de soumettre une demande à la justice – le “ticket d’entrée” – est largement accordé aux requérants publics, aux associations et aux particuliers qui revendiquent un intérêt public, même si cela implique une quantité de travail considérable pour la Cour. La Haute Cour de justice examine également les nominations, les budgets et les questions de cadastre, en mettant l’accent sur l’égalité – comme écrit dans la déclaration d’indépendance d’Israël. C’est la notion de “justice distributive” inventée par Aristote, qui insiste sur la poursuite de cette égalité ; une justice prise dans sa double acception : légale et égale.

Comme juge, je n’ai jamais oublié les leçons du président Aharon Barak. Survivant de l’Holocauste alors qu’il n’était qu’un enfant, sa mère ayant réussi à le sauver en le cachant dans un sac, jusqu’à trouver refuge chez des paysans de Lituanie. Selon lui, il y a deux enseignements que nous pouvons tirer de la Shoah. D’abord, la nécessité d’un État juif pour que les Juifs n’aient plus jamais besoin de chercher un refuge face à ceux qui cherchent à les détruire. Ensuite, la protection des droits de l’homme, afin que la Shoah ne se reproduise plus, ni ici ni ailleurs.

Pour moi, l’État d’Israël est un miracle de la plus haute Providence et de l’histoire, et il est la réponse aux besoins fondamentaux des Juifs. Nous devons le préserver et le protéger. La Cour prend une part importante dans cette tâche.

Dès mon plus jeune âge, j’ai servi dans la fonction publique israélienne, notamment en participant activement aux négociations de paix avec tous nos voisins, dont la conférence de Camp David en 1978 (paix avec l’Égypte) et en présidant la délégation israélienne pour la paix avec la Jordanie (1994). Cette conscience de notre histoire a toujours été présente dans chacune de mes réflexions et décisions. La famille de mon père a été assassinée par les nazis et leurs alliés en 1942 dans une fosse commune avec tous les habitants de leur village en Biélorussie. Celle de ma mère a immigré dans notre pays il y a tout juste 100 ans, pour devenir des pionniers sionistes. J’ai aussi deux fils qui ont donné leur vie pour notre État lors de leur service militaire. Leurs mémoires m’ont toujours conduit vers la recherche de la paix.

Pour assurer cette lourde mission dans l’histoire de notre peuple, la Cour suprême se compose aujourd’hui de quinze juges, dont cinq femmes. Trois juges appartiennent au mouvement sioniste religieux et un est arabe israélien. Elle est actuellement présidée par Esther Hayut, une juge respectée et chevronnée qui a gravi les échelons de tous les tribunaux. Les juges de toutes les juridictions israéliennes sont élus par un comité de sélection présidé par le ministre de la Justice. Il comprend deux ministres, deux députés, trois juges de la Cour suprême et deux représentants du barreau.

La Cour suprême a modelé son rôle et trouvé sa place grâce à un travail acharné depuis la création de l’État d’Israël. Bien qu’elle ait hérité des pouvoirs d’une cour suprême britannique, elle les a développés, tout en construisant sa personnalité, s’inspirant de l’esprit des pères fondateurs de l’État, Ben Gourion et ses camarades, une tâche difficile et importante, qu’elle a réalisée avec succès.

Mais cet héritage et ce travail n’épargnent pas à la Cour des attaques politiques depuis plusieurs années allant jusqu’à, encore récemment, la demande de sa suppression. Les milieux conservateurs, de droite et religieux, la considèrent comme trop libérale, trop laïque et même de gauche. Son image est déformée.

Bien sûr, la critique en soi est légitime. Le tribunal lui-même l’exerce à chaque décision, puisque ses jugements sont rarement pris à l’unanimité de ses membres. Mais la difficulté des attaques de ces dernières années est que, dans de nombreux cas, elles peuvent avoir pour résultat de saper la confiance dans la Cour et de la délégitimer dans l’opinion publique. Face à elles, la Cour n’a qu’une arme pour se défendre : poursuivre son travail et continuer d’honorer le serment qu’y font les juges lors de leur élection – « ne pas fausser un procès et ne pas reconnaître un visage ».

La Cour suprême est un atout pour l’État d’Israël, espérons qu’elle continue à remplir sa mission, sans crainte et sans préjugés. Dans un État juif et démocratique.

Elyakim Rubinstein

* Elyakim Rubinstein a été vice-président de la Cour suprême d’Israël, de 2004 à 2017. Il a également été procureur général entre 1997 et 2004. Diplomate et juriste, il a eu une influence majeure sur les affaires intérieures et extérieures du pays, notamment sur les dossiers égyptien et jordanien.

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1 Comment

  1. Cette cour suprême est surtout l’épicentre de tous les problèmes de cet état. ( on peut voir un symbole macconique sur le toit de « Blaguats » comme dirait Y. leibovitch)
     » N’instaure pas une Achéra..dans l’autel ». Les commentateurs expliquent, que la Achéra est un arbre d’un bel aspect qui est en vérité une idolâtrie, c’est à dire de mauvais juges. Le gouvernement des juges infaillibles post-sionistes et wokiste est en train d’éroder l’état d’Israël dans ses fondements.

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