Tribune Juive

Dominique Schnapper. La démocratie peut mourir de ses excès comme de ses insuffisances

Photo Yann Revol

Dominique Schnapper, sociologue, directrice d’études à l’EHESS, a été membre du Conseil constitutionnel et préside le Conseil des sages de la laïcité. Pour Le DDV – Revue universaliste, la fille de Raymond Aron a accordé un grand entretien dans lequel elle pointe les menaces qui pèsent sur la vie démocratique.

Des mots justes pour analyser ce grand malaise auquel sont confrontés tous les républicains de conviction, de gauche comme de droite.

Extraits :

« Quand les mots et les concepts comme “rationnel”, “universalisme”, “république” ou “laïcité” sont déformés, affaiblis, caricaturés, la nation est menacée. Il faut mener le combat intellectuel pour éclairer les termes des débats démocratiques et les décisions des politiques – c’est ainsi que Durkheim définissait le rôle du sociologue –, avec conviction mais sans trop d’illusions. »

« Ce qui me frappe, c’est la non-transmission des valeurs essentielles sur lesquelles était fondée l’idée républicaine : le respect de l’élection, le respect de l’État de droit, la légitimité de la représentation, la laïcité, le respect de l’Autre à l’intérieur des lois de la République qui fabriquent du commun. On assiste au délitement de ces convictions et à l’affaiblissement du pouvoir d’un gouvernement qu’on accuse d’être autoritaire… L’Ukraine et la politique russe devraient pourtant permettre d’apprécier cet “autoritarisme”, mais nous avons l’air d’ignorer le reste du monde ! »

« Nous abordons le règne de la post-vérité, du relativisme absolu, dans lequel toute opinion se vaut et aucune ne s’impose au nom d’une vérité. C’est une dérive de l’idéal démocratique. Tous les citoyens sont égaux en dignité, mais toutes les opinions sont inégalement fondées. Par-delà la vérité absolue, il existe des vérités, provisoires et relatives sans doute, mais incontestables. La terre n’est pas plate. La Shoah a eu lieu. Alfred Dreyfus était innocent. L’utilisation perverse de la “déconstruction” a abouti à cette idée primitive et dangereuse de la post-vérité ou de l’absence de toute vérité. Les philosophes qui ont introduit cette forme de critique n’avaient pas cette conception, mais la lecture qui en a été faite permet à leurs disciples de justifier ces dérives. Encore une fois, je ne vois rien d’autre que le combat intellectuel pour essayer de lutter contre des excès qui aboutissent à voir le monde et tous les événements à travers le complotisme généralisé et la post-vérité. »

L’intégralité de l’entretien de Dominique Schnapper paru dans le nº 687 (été 2022) du DDV

Dominique Schnapper, née Dominique Aron, est une sociologue et politologue française

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