La littérature est-elle une affaire politique ? L’aimez-vous engagée ou dégagée ? Écrire est-il un acte aristocratique ou démocratique ?
C’est ce qu’a tenté de savoir Alexandre Gefen, spécialiste de la littérature française contemporaine au CNRS et fondateur du site fabula.org, en sondant 26 écrivains français, d’Annie Ernaux à Nicolas Mathieu, en passant par Marie Darrieussecq, Mathias Énard, Nathalie Quintane et Leïla Slimani.
Si le titre de ce recueil d’entretiens inédits, menés entre l’été 2020 et l’été 2021, semble être une affirmation, c’est qu’il est le reflet de l’opinion des écrivains qui ont été sondés : La littérature est une affaire politique. On ne s’en sort donc pas.
Pour nombre d’entre eux, l’image d’un Sartre qui enchaîne pièces et « romans à thèse » ou qui harangue les foules sur son tonneau à la sortie des usines est lointaine, dépassée, presque ridicule. Si la littérature est bel et bien une affaire politique, l’heure semble être à plus de subtilité. Plutôt que de manier le feu du discours, les écrivains contemporains ont choisi la narration : ils cherchent à agir, souligne Alexandre Gefen, en montrant le réel plutôt qu’en prescrivant à leurs lecteurs ce qu’ils doivent penser.
À tous, il a donc été posé les mêmes questions, parmi lesquelles : avez-vous la nostalgie de la littérature engagée ? La littérature peut-elle être bénéfique pour la vie démocratique ? Existe-t-il à vos yeux une langue de gauche et une langue de droite ?
Pour Annie Ernaux, dont les textes portent une vision et une contestation de l’ordre social, de même qu’un regard engagé sur la condition des femmes, puisqu’il s’agit de donner une image du monde et des individus, écrire est bien entendu « un acte politique au sens large ».
Rappelant qu’un écrivain n’est au service de rien, Yannick Haenel (Cercle, Les renards pâles) croit que la « liberté d’un seul est toujours bénéfique pour l’ensemble de tous les autres. Une littérature au service de la démocratie n’est pas bénéfique pour la vie démocratique, car elle n’est plus littérature ».
« Toutes les grandes oeuvres littéraires possèdent une portée politique », affirme Camille de Toledo, pour qui Moby Dick est « une immense fresque de l’anthropocène », une méditation, avant l’heure, sur les ruines du capitalisme. C’est un peu ce que pense Patrick Chamoiseau, pour qui un grand texte littéraire « est en soi un refus, une dénonciation », tout en étant surtout une ouverture et « un écart déterminant vis-à-vis des forces dominantes ».
Marie Darrieussecq, qui pense que le roman est le « lieu de l’ambivalence », estime que Sartre et Camus se sont « appauvris quand ils nous ont trop expliqué ce qu’il fallait penser ».
Alors que pour Éric Reinhardt, il est clair que la littérature s’oppose au discours politique. Selon lui, « le roman permet de penser le monde dans toute sa complexité, en élaborant des formes qui ne soient pas des points de vue mais des prises de conscience », à travers des personnages, des situations, des émotions et des sensations.
Des pages de réflexions stimulantes — et facilement exportables — sur une question qui demeure d’actualité.
Christian Desmeules
La littérature est une affaire politique. Alexandre Gefen. L’Observatoire. Paris.
Annie Ernaux etc…Quelle pitié. J’ai de plus en plus honte de la France et de mes compatriotes : l’ancien pays des Lettres et du Style devenu celui de la vacuité littéraire dans toute sa splendeur…L’entre soi parisien…A titre d’anecdote, un éditeur (ou ex éditeur) belge m’a un jour dit de manière assez abrupte mais honnête qu’il considérait le milieu éditorial français contemporain comme le plus consternant et inepte d’Europe (et même au-delà). Il n’exagerait pas, mais en réalité la chute a commencé à partir de Sartre, Beauvoiry, Robbe Grillet, la French Theory de la Terre plate…