Charles Baccouche. Liturgie des Juifs d’Algérie

Au bas de la rue des Martyrs, percée Parisienne qui monte aux Abesses, la rue Saint Lazare, s’élançant vers sa gare, s’arrête devant le numéro 18, où une Magen David et une inscription en Hébreu vous invitent à pousser la porte de fer gris, constellée d’Etoiles de David. Nous sommes à « Berith Shalom » «L’Alliance de la paix »
Cheikh Raymond Leyris

Définition « Dans la Bible des Septante, et le Nouveau Testament, le mot grec désigne le service du Temple. Il est donc associé au culte du Dieu invisible et aux prières qui lui sont adressées. »

Pour les Juifs d’Algérie, il n’était pas nécessaire de se perdre dans de subtiles exégèses.

Ils ont adopté ce terme « liturgie » sous l’influence française, elle- même imprégnée de christianisme, alors que la liturgie dans son acception courante est l’expression savante du rite lors des offices sacerdotaux.

En fait, nos rites consistaient à chanter chaque jour, chaque Shabbat, chaque fête, chaque cérémonie de mariage, de Brit Mila ou de Bar Mitsva, des pyoutim qu’on appelait des prières, adaptés à la circonstance pour célébrer la gloire de l’Eternel, sa bonté et sa puissance, pour rappeler notre cheminement singulier, qui nous fait surnager au milieu des tempêtes et naviguer sur les flots sanglants de l’Histoire.

Ces chants sont notre mémoire et notre viatique, nous liant à l’Etre UN qui, par pure grâce, et volonté souveraine nous a choisis pour être son peuple, pour qu’Il soit notre Dieu.

Ces considérations sont le socle invisible de la ferveur de nos générations qui chantent les psaumes avant l’office ou lors de rencontre autour de celui ou de celle de nos sœurs ou de nos frères qui a rejoint l’éternité, et ce, depuis la nuit des temps de notre présence sur cette terre d’Afrique.

Sans paroles savantes et discours érudits, les enfants juifs d’Algérie savaient lire, ce qui signifiait connaitre le tââm du chant hébraïque de leurs père dans les synagogues, les banquets, les fêtes et la joie d’être juif qui reste la marque des juifs d’Algérie.

Le Tââm

Le Tââm c’est à la fois le goût et l’accent mélodieux ponctuant les mots sacrés qui s’envolent des lèvres du Hazan vers les cieux des cieux (Chamaïm)

Il faut se faire une raison : Les juifs dispersés au vent des Nations ne prient pas, sauf pour la communauté d’Israël :

Ils disent l’exil des hébreux et le proche retour à Sion, ils glorifient le Tout Puissant, ils psalmodient les Téhilim, ils vocalisent le Cantique des cantiques le vendredi avant l’office du soir, Ils récitent le kaddish qui est consacré à la paix des disparus dans la lumière divine, à la fin de la Amida qui est la confession (vidouï) collective et silencieuse, ils le récitent aussi à la fin des offices.

Les mêmes phrases sont répétées dans toutes les synagogues du Monde, chaque communauté avec son accent, se retrouve dans l’invocation discrète des bienfaits de Dieu pour son peuple.

On n’invoque pas Dieu, on le remercie pour toutes les merveilles qu’Il nous donne à profusion.

On sait qu’Il peut être le Juge de nos fautes les plus secrètes, alors on fait Téchouva et on décline les Sélihot (les pardons)

Il existe pourtant une singularité que les Juifs d’Algérie partagent peut-être avec d’autres, mais que nous avons vécue sous le soleil souverain de là-bas.

Les musiques profanes,  Maalouf-Andalous, Chaarbi, du Sahli, qui résonnaient dans les soirées orientales ou lors de fêtes religieuses étaient les mêmes. Raymond Leyris a incarné cette confluence de la Hazzanût et de la musique dite orientale d’Algérie.

Les paroles des unes montaient au ciel, dans les arpèges des poésies bibliques, sur les cordes vibrantes du Hazan.

Les paroles des autres racontaient dans un judéo arabe audible et émouvant les joies et les misères du quotidien du petit peuple de nos rues de nos villages, de nos marchés, de nos maisons.

Ils étaient simples et sans colère les Juifs d’Algérie, qui gravissaient avec une célérité surprenante les marches de l’émancipation française tout en conservant les musiques enivrantes de leurs pères, tant dans les synagogues, ou ils étaient charmés par la voix puissante du Hazan enveloppant les êtres et les choses de ses chaudes envolées, que dans les soirées ou les musiciens  et leurs instruments ancestraux les remuaient de lentes et profondes mélodies.

Nous en recueillons les échos encore aujourd’hui dans les synagogues en France aux Tournelles où s’entend encore la hazzanût et le Maalouf dits andalous.

A la synagogue de Saint Lazare – Brith Chalom s’élèvent les traditions algéroises.

Les Oranais pétris d’Espagne mêlent l’andalous et les rythmes marocains.

La hazzanût a-t-elle influencé le Maalouf ou est-ce l’inverse ?

La question à nos yeux, n’est pas, essentielle, elle est même sans objet, car l’une et l’autre nous réjouissent et forment dans une harmonie étonnante le fond de notre identité, enracinée dans nos vénérables traditions.

                                                                       Charles Baccouche

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