Samuel Blumenfeld reçoit Shlomi Elkabetz
- Une histoire de famille ? Le cinéma comme miroir de soi (8min)
- Jouer le jeu de l’intégration Le olim dans son rôle d’israélien (9min)
- Filmer pour créer du temps Rembobiner 30 ans de pellicules (6min)
- Voir et être vu Se découvrir par l’œillet de la caméra
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Visage du cinéma israélien
Ronit Elkabetz (1964-2016)
Par Samuel Blumenfeld – avril 2016
Ronit Elkabetz dans “Prendre femme” (2004).
Elle y incarne Viviane Amsalem, épouse malmenée par son mari, un personnage qui réapparaitre dix ans plus tard dans “Gett” (2014).
Pour beaucoup de spectateurs, Ronit Elkabetz est apparue au cinéma en 2001, au Festival de Cannes, dans Mariage Tardif de Dover Kosashvili. A cette époque, le cinéma israélien n’était pas encore aussi solidement ancré sur la carte du cinéma mondial, et l’idée d’une star féminine israélienne n’avait pas encore fait son chemin.
Ronit Elkabetz avait elle déjà accompli le sien, en marge du grand public, en 1997. Un stage décroché au Théâtre du Soleil sous la direction d’Ariane Mnouchkine lui avait servi de porte d’entrée pour le métier de comédienne, métier qu’elle exerçait en autodidacte, dans une langue, le français, apprise sur le tas. Un one-woman show, en 1998, au Festival d’Avignon, sur la danseuse et chorégraphe Martha Graham, suffisamment remarqué pour que l’actrice le reprenne sur scène à Paris, lui avait donné sa place dans le métier.
Mariage tardif mettait en scène un Israélien, originaire de Géorgie, dissimulant à sa famille sa relation avec une femme divorcée, incarnée par Ronit Elkabetz, issue comme elle du Maroc, et mère d’une enfant de 6 ans. Ce film portait de manière impressionnante son identité israélienne, ancré dans le tissu ethnique et sociologique d’un pays dont le ciment repose sur une mosaïque de communautés, antagonistes, disjointes, diverses.
Il y avait également la séquence d’ouverture de ce film, une scène d’amour, très physique, une scène très incarnée, qui en disait au moins autant sur Israël, et les aspirations de ses habitants, que les multiples manchettes de journaux qui lui sont régulièrement consacrées. Ronit Elkabetz avait compris d’instinct qu’elle devait jouer ce rôle, sans même lire le scénario du film. Elle voulait faire partie de cette aventure qui est tout simplement devenue celle du cinéma israélien au XXIème siècle dont elle était, avec Yaël Abecassis, l’actrice emblématique.
C’est ce qui rend aujourd’hui la disparition de Ronit Elkabetz, à 51 ans, aussi tragique. C’est la fin prématurée d’une carrière et, au-delà, celle d’une époque du cinéma israélien.
Par la suite, plusieurs films de Ronit Elkabetz se sont, à la différence de Mariage tardif, inscrits dans le contexte historique et politique israélien. La Visite de la fanfare, en 2007, l’un de ses plus grands succès publics, où elle incarne une patronne de restaurant dans une cité dortoir du Sud d’Israël, confrontée à l’arrivée inopinée d’une fanfare venue d’Egypte. Il y a surtout les trois films qu’elle avait interprétés, écrits et coréalisés avec son frère Shlomi Elkabetz : Prendre femme en 2004 ; Les Sept Jours en 2008 ; et Gett, Le Procès de Viviane Amsalem en 2014.
Prendre femme se situe en 1979, au moment où Israël est en train de finaliser les termes du traité de paix avec son voisin égyptien. Loin de l’espoir suscité par ce moment historique, une femme ne supporte plus les règles imposées par son mari en particulier, et la société masculine en général.
L’intrigue des Sept Jours se situe en 1991, en pleine guerre du Golfe, alors que les missiles irakiens de Saddam Hussein déferlent sur le territoire israélien.
Le personnage de Viviane Amsalem qu’elle tient dans Prendre femme, cette épouse malmenée par son mari juif pratiquant, réapparaîtra dans Gett, vision kafkaïenne d’une femme réclamant son divorce à son mari, incapable d’obtenir la liberté à laquelle elle prétend car le tribunal rabbinique devant lequel elle plaide ne peut, en accord avec la loi juive, lui accorder le droit de refaire sa vie qu’après l’accord de son conjoint.
Le couple de Prendre femme et de Gett est, jusque dans ses moindres détails – une mère coiffeuse, un père employé des postes, quatre enfants, un appartement à Haïfa, le port industriel du nord où l’actrice avait grandi –, directement inspiré de celui de ses parents. L’impression de vérité est redoublée par le fait que ce couple soit scruté par un autre, celui formé par elle et son frère.
“Je souhaitais que ma vie cesse de ressembler à un reportage télévisé”, expliquait Ronit Elkabetz, précisant que ce vœu était aussi celui de la nouvelle génération de cinéastes israéliens. “Nous avons compris qu’il n’était plus nécessaire pour nous, cinéastes, d’interroger la grande histoire. Après tout, les Israéliens ont le droit d’exister en dehors du seul conflit israélo-palestinien. Mon vœu était de voyager dans les festivals pour qu’on m’interroge aussi sur mes films et plus seulement sur la guerre.”
Prendre femme et Gett ont voyagé en Grande-Bretagne, en Suède, en Thaïlande. L’accueil était toujours le même. Des groupes de femmes l’attendaient pour raconter leur histoire, semblable à celle de son personnage. Ce jour là, nous avons tous compris que le contexte juif, israélien, séfarade, n’était plus un frein au cinéma, mais devenait une porte d’entrée, qu’aura permis d’ouvrir Ronit Elkabetz.
Samuel Blumenfeld – journaliste
Samuel Blumenfeld est né en 1963. Journaliste au journal “Le Monde”, il est également l’auteur de L’Homme qui voulait être prince, les vies imaginaires de Michal Waszynski (Grasset, 2006), d’une biographie Michal Waszynski, cinéaste qui réalisa Le Dibbouk en 1937. Spécialiste du cinéma américain, il a publié Brian de Palma, cosigné avec Laurent Vachaud, un livre d’entretiens avec le cinéaste (Calmann-Lévy, 2001).
Shlomi Elkabetz – cinéaste
Shlomi Elkabetz est un cinéaste israélien. Il a co-réalisé, avec sa sœur Ronit, une trilogie inspirée de la vie de leurs parents : Prendre femme (2004), Les Sept jours (2008) et Le Procès de Viviane Amsalem (2014).
En 2021, il réalise un documentaire en hommage à sa soeur décédée, Cahiers noirs.
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