La percée électorale massive des partis antisystème en France, dimanche dernier, avait longtemps été redoutée. Après la Hongrie, l’Autriche et l’Espagne, c’est au tour de « la patrie des droits de l’homme » de se voir menacée.
Quarante-huit pour cent des nouveaux parlementaires appartiennent soit à l’extrême droite (17,3 %) soit à la coalition de gauche NUPES (31,6 %), réunie sous la direction de l’extrême gauche. En comparant le nombre d’électeurs de cette élection aux précédentes, on trouve une expression encore plus frappante de la colère des Français envers le gouvernement : en 2017, l’extrême-droite avait remporté 8 sièges sur 577, cette année elle en a obtenu 89. L’extrême gauche, qui avait remporté 17 sièges aux élections précédentes, en a obtenu 79 cette fois-ci. Avec 142 sièges, la coalition de gauche NUPES est devenue le deuxième bloc le plus puissant de France après la coalition présidentielle (Ensemble!) qui a obtenu 246 sièges.
Le changement politique reflète une tendance de fond inquiétante : la moitié de la population française se sent exclue des acquis de la mondialisation et de la prospérité économique. Les démocraties libérales font l’objet d’attaques populistes et si une réponse efficace n’est pas formulée, le sentiment d’exclusion s’élargira à des cercles de plus en plus larges de la population et finira par éroder l’éthos libéral qui a permis aux démocraties et à leurs communautés juives de prospérer.
Colère et frustration
Les deux blocs extrémistes qui encadrent le parti du président Emmanuel Macron partagent un même sentiment de colère et de frustration. Ils sont pessimistes quant à l’avenir, conscients que le paysage humain contemporain de leur pays ne ressemble plus à celui de leur enfance. Ces citoyens craignent à juste titre de ne pas pouvoir offrir à leurs enfants le confort, le statut social et les opportunités dont ils jouissaient dans leur propre jeunesse.
Les deux blocs diffèrent, bien entendu, dans leurs approches de l’identité nationale, des droits des immigrants et de la politique étrangère. La droite veut un retour à l’identité laïque-chrétienne de l’ancienne France, tandis que la gauche aspire à construire une France d’un nouveau genre, caractérisée par le multiculturalisme, une ouverture des frontières à l’immigration extra-européenne, un lieu respectable pour la culture islamique et un nationalisme affaibli. L’extrême gauche a popularisé le terme de « créolisation » pour désigner son projet de société qui rassemblera tous les habitants de France – anciens et nouveaux – autour d’une vision sociétale qui leur ressemble et qui tiendra compte des évolutions démographiques et culturelles récentes.
En matière économique, les projets des deux blocs populistes sont pratiquement alignés. Preuve à l’appui qu’aux dernières élections des millions d’électeurs ayant voté LFI (extrême gauche) au premier tour ont voté RN (extrême droite) au second. Leurs électeurs partagent une haine viscérale du parti néolibéral au pouvoir qui protège les puissants, favorise les riches et exacerbe les disparités sociales. Les deux blocs soutiennent une politique sociale généreuse pour les faibles et les défavorisés.
Le parti au pouvoir, celui du Président français, n’a plus de majorité parlementaire, et ne pourra donc pas former seul un gouvernement. Il devra accéder aux revendications de la moitié des citoyens français qui veulent un État-providence. Cela fera de la France un pays moins compétitif – il y aura une fuite des cerveaux et un exode industriel. Globalement, cela va accélérer le déclin dans lequel la France est plongée depuis des décennies.
La transformation pourrait cependant s’avérer être une bénédiction déguisée : du chaos actuel pourrait naître un projet sociétal partagé et rassembleur, une nouvelle vision orientée à la fois vers l’aide aux plus démunis et vers l’efficacité économique, le modèle scandinave réussi. Ledit processus de créolisation est porteur d’un potentiel de résolution des clivages socioculturels qui ont immobilisé la France ces dernières décennies.
Nous serions tous gagnants si la France redevenait la nation productive qu’elle était dans le passé et retrouvait sa gloire d’antan. En raison du niveau de ressentiment et de la fracture sociale existante, la probabilité d’un tel scénario est cependant assez faible.
Antisémitisme
Et si vous vous demandez ce que cette histoire de mondialisation et de laissés pour compte de la mondialisation a à voir avec les Juifs, sachez qu’en Europe, depuis des générations, toutes les crises économiques et identitaires s’accompagnent de vagues d’antisémitisme. Le Juif était, et reste dans une certaine mesure, « l’autre ultime », l’éternel bouc émissaire blâmé pour tous les problèmes et difficultés du monde. Le nouveau récit des groupes opprimés d’aujourd’hui est simple : les Juifs et l’État d’Israël ont réussi avec succès leur intégration dans l’économie mondialisée (ceci est dans une certaine conforme à la réalité factuelle), et leur succès se fait au détriment des groupes opprimés en déclin économique et social (ici le lien de causalité laisse à éclaircir).
Pour être plus précis, la droite et la gauche ont des nuances différentes de judéophobie : l’extrême droite résonne avec l’antisémitisme néo-nazi, tandis que l’extrême gauche résonne avec l’antisémitisme marxiste-islamiste. Il y a également une autre différence de marque : pour des raisons historiques évidentes, l’antisémitisme de droite est mieux dissimulé que celui de gauche, qui s’habille sans vergogne de discours anticapitaliste et anticolonialiste. Au fond, la haine des Juifs et la haine d’Israël sont plus centrales à gauche qu’à droite.
L’ancien chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn, qui avait été évincé de la scène politique britannique en raison de ses liens étroits avec des antisémites notoires, a été reçu en grande pompe la semaine passée par le leader d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon. Célébrer Corbyn comme le prophète de l’anticolonialisme en pleine campagne électorale n’était pas un acte quelconque : il s’agissait de signifier aux électeurs musulmans que la gauche s’était décidée, sans équivoque, à prêter allégeance à l’agenda islamiste antisioniste et anti-occidental. Cette opération a apparemment réussi : les principales voix musulmanes, et parmi elles l’imam de la Mosquée de Paris, ont appelé les électeurs à voter pour l’extrême gauche.
Implications pour les juifs d’Europe
Ledit projet sociétal de créolisation est certainement porteur d’un potentiel de rassemblement entre les immigrés et les Français de souche et pourrait permettre l’émergence d’une vision partagée pour construire la France de demain mais s’il se fait, il se fera probablement comme souvent dans l’histoire européenne dans un contexte d’exclusion sociale de la minorité juive.
L’intégration des partis politiques extrémistes dans la politique nationale ne va pas en soi être un élément majeur de l’histoire juive contemporaine. Elle ne fera qu’accélérer un processus qui s’est déjà engagé depuis des décennies. Il est probable que les juifs vont se sentir de plus en plus étrangers à la société nationale, qu’ils vont continuer à bunkériser leurs synagogues et à renforcer leurs liens communautaires et privilégier l’entre-soi.
Il est probable qu’ils adopteront progressivement le modèle de vie juive en marge de la société qu’on rencontre aujourd’hui en Afrique du Sud et au Brésil. Loin d’être idéal, ce modèle de judaïsme diasporique est toutefois pérenne, familier, éprouvé et durable. Les plus audacieux d’entre eux, et ceux qui ont les ressources mentales et économiques nécessaires, émigreront en Israël ou aux Etats-Unis, tandis que les autres continueront à s’isoler, conscients de vivre dans un pays en voie de lente décroissance économique.
Ce qui se passe en France reflète une tendance mondiale : l’attaque de l’extrémisme politique contre la démocratie libérale. Les Juifs se sont retrouvés en première ligne en raison de leur statut de minorité sans protection, mais ils ne sont pas les seuls à être menacés. Une société qui ne prend pas soin de ses membres les plus faibles ou qui ne travaille pas à réduire les disparités sociales est un terrain fertile où la frustration et la colère grandissent.
C’est vrai non seulement de la France, mais aussi d’Israël et des États-Unis. Nous devons travailler à établir une société qui répartit plus équitablement les fruits de sa croissance économique entre tous ses citoyens ; une société qui soutient les faibles et leur permet d’apporter leur contribution au bien-être de tous.
Dov Maimon
Directeur de recherche au Jewish People Policy Institute (Jérusalem), Dov Maïmon est notamment l’auteur d’une étude portant sur « le judaïsme européen en 2030 », où s’esquissent divers scénarios possibles pour le devenir communautaire. Né à Paris, Dov Maïmon émigre en Israël à 18 ans. Ingénieur formé au Technion (Haïfa), diplômé de l’Inséad (Fontainebleau) en management, professeur aux Universités de Ben Gourion (Beer-Shéva) et du Mont Scopus (Jérusalem), il travaille sur les rapports entre histoire, religions et politique. Son doctorat, consacré aux convergences entre mystiques juive et musulmane, a été récompensé du prix du Chancelier des Universités 2005, attribué chaque année au meilleur doctorat français en sciences humaines. D’octobre 2013 à février 2014, il a coordonné la taskforce du gouvernement israélien sur l’avenir des Juifs d’Europe.
Dans la mesure où en France comme ailleurs le pouvoir en place est extrémiste,complètement illibéral et totalement antisémite, toute l’analyse tombe a l’eau. Le « système » que l’auteur de l’article défend est intrinsèquement antisémite ! Et c’est l’Empire de la censure et de la désinformation.
Beaucoup d elements bien observés par Dov Maimon qui est un bon connaisseur de la situation française ,,les tendances lourdes restent constantes et montrent a chaque juif la seule route a prendre , aujourdhui , demain ou plus tard .