J’encourage tous ceux que la question de l’instruction publique intéresse dans notre pays à lire le petit pamphlet de Jean-Paul Brighelli, sa « Fabrique du crétin » mise à jour.
Il y a bien d’autres ouvrages sur la question qui devraient nous conduire à faire changer les choses en la matière, mais celui-ci a le mérite de ne pas mâcher ses mots, il y a de l’engagement.
On sent chez Brighelli un caractère passionné (où je me reconnais même si je n’ai pas le même métier), mais aussi un attachement profond à sa mission, que dire, sa vocation.
On y sent aussi malheureusement une exaspération extrême qui peut parfois faire dériver son discours au-delà de ce qui devrait être le strict examen du problème de notre système scolaire, la colère est mauvaise conseillère. Son analyse des conséquences d’une immigration mal maîtrisée peut paraître tendancieuse et la bascule pourrait se faire vers une vision intolérante, mais je crois sur le fond qu’il critique le peu de considération que les immigrés ont subi, et qu’à titre personnel il a fait ce qu’il pouvait pour des gamins qui venaient de l’immigration et que le système mettait de côté en toute bonne conscience.
Ce que mon expérience m’a finalement conduit à estimer, c’est qu’on doit juger les hommes sur ce qu’ils font plus que sur ce qu’ils disent. Et au fond, j’ai le plus grand respect pour ces hussards noirs qui résistent encore contre le délitement de notre institution scolaire et permettent à des gamins de sortir de leur condition. Ils devraient tous avoir la reconnaissance de notre pays et être enfin considérés comme les grands artisans du pays de demain. On en est malheureusement bien loin.
Un extrait de sa conclusion:
« Donner une culture ne devrait poser de problèmes à personne – si les pédagos ne s’étaient mis en tête d’écrire « cultures » au pluriel, de promettre de « respecter » les idées des uns et des autres, et ne s’étaient interposés entre la lumière et vous. « Respect mon cul », dirait Zazie. À tout respecter, on ne progresse pas. Enseigner, c’est violer chaque jour davantage. Ébranler le patrimoine et le matrimoine. C’est initier. Et libérer enfin. Nous ne sommes pas là pour amener la paix, mais la guerre – guerre aux poncifs, aux idées reçues, aux certitudes. Ne rien laisser debout – et rebâtir ensuite. Hasards de carrière, choix personnels aussi, j’ai enseigné longtemps dans des établissements oubliés de tous, en zone agricole où l’on apprend l’arithmétique en comptant les rangées de betteraves, ou en « zone d’exclusion programmée », à la périphérie de la périphérie, où l’on apprend la géométrie en regardant les HLM. D’aucuns vous suggèrent aujourd’hui d’apprendre la langue en écoutant des chansons qui la broient en un magma infâme. Pour votre bien, disent ces bons apôtres – qui chez eux nourrissent leurs enfants avec Bach ou Racine. Quelle bande de salopards, quand j’y pense… La langue française est celle qui a été écrite, des siècles durant, par les meilleurs écrivains – pas dans les borborygmes de la rue. Face à des élèves qui croyaient que le Ministère A.M.E.R. était l’alpha et l’oméga de la poésie, j’ai commencé un jour l’année par Mallarmé – « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Et mes loulous ont fort apprécié que je ne les prenne pas pour des crétins – tout ce à quoi ils avaient eu droit jusque-là.Parce qu’on vous a pris pour des crétins – individuellement et collectivement. On vous a enserrés dans des ghettos, on vous a fait croire que l’orthographe était un rite bourgeois, que les ordinateurs bientôt vous déchargeraient de ces contraintes minuscules et essentielles… Ah oui ? Tapant sur mon portable, sur la page Facebook d’une amie, la sentence latine bien connue, Asinus asinum fricat (l’âne se frotte à l’âne, ou, si vous préférez, les connards se congratulent), la machine a immédiatement corrigé : « anus assidûment frit »… « Intelligence artificielle » est un splendide exemple d’oxymore. L’ordinateur le plus puissant est un âne. Comme ceux qui vous disent le contraire. »
La fabrique du crétin. Brighelli, Jean-Paul. L’Archipel.
© Jean Mizrahi
Jean Mizrahi est Chef d’Entreprise
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