Douglas Murray. L’Occident, le coupable idéal

L’essayiste britannique est de retour avec « The War on the West ». Selon lui, la guerre culturelle est une « menace mortelle »

Dans son nouveau livre (The War on the West, traduction en français prévue en août chez l’Artilleur), l’essayiste britannique Douglas Murray analyse l’offensive culturelle menée contre l’Occident. Plus assoiffés de vengeance que de justice, des idéologues racialistes sont prêts à tout pour détruire notre identité.


Nous sommes en guerre. Certes, il y a une guerre, au sens littéral du terme, avec la Russie, que les puissances occidentales mènent par procuration en Ukraine. Mais il y a aussi une guerre – souvent qualifiée de « culturelle » – contre l’Occident : contre ses valeurs, ses héros, ses systèmes de connaissance, ses musées, ses églises, ses institutions de gouvernement, son économie. Et c’est une guerre menée de l’intérieur. Telle est la thèse du nouveau livre de Douglas Murray qui, dans sa traduction française, s’intitule Abattre l’Occident. Selon lui, on ne doit minimiser ni l’étendue ni les enjeux de ce conflit. Il s’agit, non d’une simple querelle entre intellos ou universitaires, mais d’une lutte existentielle pour notre identité même. La stratégie de l’agresseur est aussi simple que la doctrine militaire russe : les assaillants entourent une cible – institution, statue, réputation, penseur, œuvre d’art… – et la bombardent jusqu’à ce qu’elle soit réduite en poussière, jusqu’à ce que personne ne puisse plus la considérer comme une grande réalisation de l’esprit, l’incarnation d’un progrès social ou une source de fierté. L’attaque est globale, visant tout l’Occident, et aucun pays n’est à l’abri. En France, on se prend souvent pour le village d’Astérix, protégé de ces folies anglo-saxonnes par l’universalisme ou la laïcité, mais ces principes ne sont que deux autres accomplissements de l’Occident à piétiner. Si les assauts commencent sur le terrain psychologique et culturel, ils sont destinés à prendre une dimension juridique et politique et visent la destruction du libéralisme démocratique ainsi que du système capitaliste.

La blanchité, péché originel

Le livre précédent de Douglas Murray, La Grande Déraison, sorti en anglais en 2019, était précurseur par rapport aux événements qui ont suivi le meurtre de George Floyd en 2020. Il fournissait déjà un catalogue succinct des idéologies qui allaient inspirer les revendications les plus extrêmes des déboulonneurs de statues et des émeutiers antifas. Son nouvel ouvrage revient sur ces événements, en révélant leurs causes et la logique de leur enchaînement. Il nous offre un modèle à suivre, proposant des arguments à opposer aux ennemis de l’Occident, tout en préconisant d’adopter un ton calme et patient pour démonter leurs systèmes de pensée pervers. En effet, nous avons trop l’habitude de nous indigner ou de nous esclaffer devant le dernier exemple d’absurdité wokiste. Ce faisant, nous tombons dans le panneau, nous laissant aller à une émotion passagère au lieu de voir la stratégie globale des déconstructeurs.
Ainsi, Murray montre comment, lors de l’éruption des manifestations BLM, les idéologues attendaient déjà avec un récit tout prêt pour canaliser cette colère. Le « Projet 1619 », initié par The New York Times en août 2019, racontait une histoire alternative des États-Unis qui situait son origine, non dans la déclaration d’indépendance de 1776, mais dans l’arrivée des premiers esclaves noirs en 1619. La journaliste qui portait le projet, Nikole Hannah-Jones, dont le travail a été récompensé par un prix Pulitzer, répétait publiquement que le but était bien de remplacer la date de fondation des États-Unis, jusqu’à ce que la pression des critiques d’historiens l’oblige à rétropédaler avec la plus mauvaise grâce. Le journal a discrètement effacé les références à cette notion sur son site. Pourtant, l’idée était lancée : le pays le plus puissant du monde occidental n’était qu’une nation esclavagiste.
 Tout ce qui caractérisait l’Amérique était né dans l’esclavage. Dans le cadre du projet, un sociologue, Matthew Desmond, a publié un essai prétendant que le capitalisme et jusqu’à la comptabilité étaient les purs produits des plantations du Sud. Quand le meurtre de George Floyd explose sur les écrans, il est perçu par beaucoup de citoyens comme le dernier épisode d’une saga faite d’injustice, d’exploitation et de violence.Par conséquent, il faut détruire tous les symboles positifs de l’histoire américaine. Les iconoclastes commencent par les statues des chefs confédérés, avant de passer à celles des unionistes qui ont pourtant mis fin à l’esclavage. Ils finissent par s’attaquer à tout homme blanc ayant un lien quelconque avec l’histoire de l’Amérique, que ce soit Christophe Colomb ou Washington, traité de « génocidaire ». 

En Europe, la même tentative d’effacer l’histoire en déboulonnant les statues de philanthropes, penseurs et hommes de pouvoir jugés impérialistes a eu un succès plus modéré, bien que la cancel culture continue plus discrètement à étendre ses tentacules dans les universités et les médias. Murray nous révèle des exceptions parlantes. Les écrits de Karl Marx sont émaillés de remarques antisémites et d’expressions de mépris pour les non-Européens. Il ne condamne même pas l’esclavage de manière explicite. Pourtant, en 2018, une statue énorme de Marx a été offerte à sa ville natale de Trèves par l’État chinois. Si elle n’a fait l’objet d’aucune violence, c’est parce que le marxisme continue à être un levier fondamental de la campagne anti-occidentale.

Puisque l’histoire américaine et plus généralement occidentale est prétendument née dans le péché originel du colonialisme, ce dernier entache tous les Blancs et caractérise la « blanchité » (whiteness). La théorie critique de la race et sa vulgarisation, dans des best-sellers comme Fragilité blanche ou Comment devenir antiraciste, expliquent que seuls les Blancs, étant en position de privilège, peuvent être racistes et que, d’ailleurs, ils le sont tous par définition. Le Blanc est condamné à tomber dans un piège : s’il explique qu’il n’est pas raciste, c’est encore une preuve qu’il l’est, car il est tellement raciste qu’il ne le voit même pas. Toute objection fondée sur le droit, la tolérance ou la raison n’a aucune pertinence. Ces notions sont des inventions de Blancs. De ces derniers, les ennemis de l’Occident peuvent dire les pires horreurs. Pour l’écrivain militant afro-américain Damon Young, la blanchité est « un virus qui, comme d’autres virus, ne disparaîtra que quand il n’y aura plus de corps à infecter ». La blanchité est contagieuse : elle peut être attrapée par des non-Blancs qui intériorisent ses attitudes. 

Après les élections présidentielles de 2020, The Washington Post parle de « blanchité multiraciale » pour décrire les non-Blancs qui ont voté pour Trump. Dans un discours à Yale, une psychiatre de couleur parle de son désir de vider un pistolet dans le crâne du premier Blanc venu. Une professeure indienne à Cambridge raconte sur Twitter son envie de briser les rotules de tous les Blancs. De telles remarques à propos de n’importe quel autre groupe seraient dénoncées comme racistes. Que faire donc si on est blanc ? S’humilier, collaborer à l’effacement de sa propre histoire et donner de l’argent à une organisation de militants anti-occidentaux.

L’Ouest, présumé coupable

À la lecture du livre, il devient apparent que l’Occident est soumis à trois sources de pression dont les effets sont cumulatifs. D’abord, il y a les ennemis extérieurs les plus évidents : les régimes autoritaires de la Russie et de la Chine. Cette dernière, dans les forums internationaux, évoque les péchés de l’Occident pour détourner l’attention de ses propres méfaits. Ensuite, il y a les pays anciennement colonisés qui réclament aux nations occidentales des réparations pour l’impérialisme ou l’esclavage, tout en se vendant aux pays autoritaires sur le plan économique ou militaire. Enfin, il y a la pression interne des critiques venant de citoyens des pays occidentaux qui prétendent, contre toute évidence, que le problème du racisme y est plus grave que jamais dans l’histoire. Et qui ignorent que le racisme existe en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. Murray souligne cette incohérence dans un chapitre consacré à la Chine. 

Nos militants anti-occidentaux aiment évoquer les guerres de l’opium et l’exploitation des Chinois par la drogue. Mais ils préfèrent passer sous silence le fait que ces derniers ont pris une revanche terrible aujourd’hui en fabriquant les opioïdes synthétiques, comme le fentanyl, responsables de l’épidémie qui dévaste la population américaine. En 2020, 93 000 Américains en sont morts. Mao, qui est responsable de la mort de quelque 70 millions de ses concitoyens, est moins détesté de nos militants que Churchill.
 Xi Jinping a introduit un système de rééducation pour les minorités ethnoreligieuses. Près d’un million de Ouïghours sont détenus dans des camps où certains sont torturés, les femmes violées et stérilisées. Il est pourtant moins honni que Trump. Murray raconte comment, lors de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale en 2021, la nouvelle ambassadrice américaine prend la parole à l’ONU. Elle raconte longuement le racisme auquel elle a fait face en grandissant et qualifie l’esclavage de « péché originel » de l’Amérique, avant de mentionner la persécution des Rohingyas au Myanmar et des Ouïghours en Chine. L’ambassadeur chinois lui rétorque qu’une Américaine n’a aucune légitimité pour critiquer les autres pays sur les droits humains, tactique dont les Chinois se servent régulièrement. Seules les sociétés occidentales ont fait leur autocritique. Mais la volonté de pousser cette autocritique toujours plus loin sape la volonté de l’Occident de critiquer les pires abus ailleurs dans le monde.

Les demandes de réparations concrétisent cette double pression venant de l’extérieur et de l’intérieur. À la Conférence mondiale de Durban contre le racisme en 2001, où le dictateur Fidel Castro est ovationné, et des proclamations antisémites scandées, la traite des esclaves atlantique est condamnée et des réparations exigées. Le seul débat pour de nombreux délégués est de savoir si ce sont des individus ou des États qui devraient bénéficier de compensations. Les chefs autoritaires de pays en développement préfèrent que ce soient les États. En 2021, les travaillistes britanniques s’engagent à indemniser toutes les communautés du monde ayant souffert du colonialisme. D’après Murray, l’argent payé par l’État britannique après l’abolition de l’esclavage, pour compenser celui des sociétés détenant des esclaves et financer l’opération navale de traque des navires esclavagistes, a été presque l’équivalent des richesses que l’esclavage avait apportées à la nation. Une action morale aussi coûteuse a rarement été vue dans l’histoire. Peu importe : l’Occident est toujours coupable.

Un plat servi froid

La question de l’indemnisation des individus pour l’esclavage est lancée en Amérique dans un article publié en 2014 par le journaliste Ta-Nehisi Coates. Le sujet est débattu par les candidats démocrates à la primaire présidentielle en 2019. Il s’agirait d’un grand transfert de richesses entre groupes ethniques dont les modalités défient la logique. Faudrait-il établir une base de données génétiques pour décider qui recevrait de l’argent et qui en verserait ? Et pourquoi indemniser les descendants des victimes de la traite atlantique plutôt que de la traite arabe ou ottomane ? Sans parler des victimes de l’esclavage qui continue à sévir dans le monde.

Si l’Occident seul est considéré comme coupable, c’est parce que, explique Murray, ses ennemis sont motivés par le ressentiment tel qu’il est défini par Nietzsche. Les demandes de justice – et de réparations – sont en fait des demandes de vengeance. Certes, il fallait corriger la vision trop triomphaliste que l’Occident avait de lui-même jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ce travail est engagé depuis longtemps par les historiens, et nous sommes arrivés à un jugement plus nuancé sur le bien et le mal qu’ont fait la colonisation et le développement du capitalisme. Mais cette correction ne suffit plus : le monde tel que l’Occident l’a construit doit disparaître et avec lui la civilisation judéo-chrétienne, ainsi que l’héritage des Lumières. La justice, rationnelle et impartiale, est aveugle ; mais la vengeance, émotionnelle, c’est de l’aveuglement.

Jeremy Stubbs

Douglas Murray, The War on the West. How to Prevail in the Age of Unreason, Harper&Collins, 2022; en français, Abattre l’Occident. La guerre culturelle est une menace mortelle (L’Artilleur, à paraître en août).

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5 Comments

  1. L’indigénisme ou intersectionnalisme ou suprémacisme « racisé » représente le danger absolu et mortel. « Agiter l’épouvantail d’un fascisme imaginaire ne sert qu’à favoriser un fascisme bien réel qui menace nos libertés et nos vies » (je l’ai déjà écrit et le reecrirai encore). Or Pap N’Diaye en est un représentant de même que Rockaya Diallo et par extension TOUS les soutiens non seulement à la NUPES mais également à LREM. Quant au Washington post et au New York Times comment se fait il que ce soient eux qu’on n’ait pas interdits ? Ce n’est pas de Russie que vient le danger mais des États-unis.

  2. Le Danger numéro 1, devant l’islamisme. Que diront les générations futures devant tous ceux qui aujourd’hui ont assisté à cette monstruosité historique en faisant semblant de ne rien voir ?

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