Cet après-midi 21 juin a été dévoilée la Plaque célébrant Albert Memmi, Homme de lettres et Défenseur des minorités, duquel le nom a été donné à une Place du 4ème arrondissement parisien.
Paul Memmi, neveu d’Albert Memmi, a pris la parole:
« Je voudrais marquer ici l’admiration et la gratitude que je porte à mon oncle. De fait, l’hommage qui lui est rendu aujourd’hui me semble aussi celui d’une réussite collective – le sociologue qu’il fut ne me démentirait pas.
Les Juifs tunisiens, immigrés en France au vingtième siècle, tout en restant soucieux ou gourmands de leur authenticité, ont prouvé à quel point ils ont voulu la France, et finalement contribué au meilleur d’elle-même – la langue et l’imagerie françaises, la devise républicaine, l’esprit scientifique, la libération des femmes, la justice sociale, l’essor économique, et j’en passe. Oui, la réussite est indéniablement collective.
Par son talent propre, Albert Memmi s’est lui-même inscrit dans l’en-tête de cette page d’Histoire. Il s’en est fait le grand témoin. Et comme Aimé Césaire, il a ouvert la voie à une nouvelle littérature francophone : celle du Maghreb.
Certes, le professeur affleurait parfois dans le conteur, comme l’idée dans le roman, mais reconnaissons que le chemin était difficile ! En tout cas, ses notions étaient opératoires, accessibles, utiles – qualités que l’on devine héritées d’un père artisan aux mains attentives. Et elles se sont imposées pour penser la colonisation, l’oppression de la femme, du Noir, du Juif, les problèmes d’addiction, etc. : autant de situations, de conditions réelles qu’il a analysées, pour mieux les dénoncer.
C’était un homme révolté par l’injustice, très engagé mais, comme Camus de quelques années son aîné, aussi autocritique que critique : une sorte d’extrémiste de l’impartialité ! Issu de la mixité, il pensait au point d’équilibre, sans hésiter à trahir les consensus passionnels ou d’intérêts. Il était libre !
« Ami de Platon, mais surtout de la Vérité », disait déjà Aristote ! Mais c’est Montaigne qu’il faut citer. Montaigne, dont les Essais ont sans doute inspiré sa méthode-même : celle de La Statue de Sel ou de ses Portraits – du Colonisé, du Décolonisé, du Juif, et autres. Méthode de l’autoportrait, pudique mais sans concession, théorique mais d’une science toute expérimentale, d’une « géométrie passionnée » comme l’a écrit Sartre en préface au Portrait du Colonisé.
Albert Memmi a lui-même incarné le portrait d’un juif singulier, anti- calotin, très moderne, mais s’inscrivant pleinement dans le maillage juif des textes et des transmissions ; émotionnellement attaché à son passé mais philosophiquement homme d’avenir, avec une exigence morale en actes chaque jour et toujours plus haute.
Acceptez, pour finir, que je pose une petite question d’actualité : cet indiscutable défenseur des minorités a-t-il jamais dit la fierté d’être né miséreux, colonisé, juif en pays arabe ? Puis fierté de l’immigré en terre du Nord, suspect en pleine guerre d’Algérie ?
Non, et au contraire : il a consacré de longues pages à sa détestation des marques de la pauvreté, ou à son mépris de sa propre peur de Juif vivant sous la menace antisémite, ou encore aux ignobles difficultés et vexations qu’il avait subies en tant que colonisé. Nulle fierté là-dedans.
C’est qu’Albert Memmi se tenait loin des fixations narcissiques, des fermetures communautaristes ou nationalistes. Il avait une pensée en mouvement
– dialectique, pour être précis. Il ne s’est pas chanté lui-même en autofiction. Il n’a pas proclamé la gloire de la femme opprimée, du Québécois ou du Juif, non. Il a étudié les couples « dominé/dominant ; Noir/Blanc ; colonisé/colon ; Juif/antisémite ; dépendant/pourvoyeur », etc.
Dans ses pages, l’identité des protagonistes se définit surtout par ces oppositions de contraires, lesquels deviennent pernicieusement complémentaires. Et où les conflits ne se résolvent que par une émancipation radicale, une rupture, ou par un effort mutuel de désaliénation concertée, un dépassement universel qui,
sans cesse, est à relancer. Il y a, dans ses premiers ouvrages, le procès systématique de la domination injuste qui appelle à l’action décisive et forcément tragique ; et dans ceux qui suivent, l’analyse des formes les plus subtiles de la dépendance, afin de nous permettre à tous d’évoluer.
Albert Memmi était fier, mais pas de son bloc identitaire : il était fier des combats qu’il avait engagés et, au crépuscule de sa vie, de l’œuvre accomplie qu’il nous laissait en héritage. Il me semblait important de souligner combien, selon lui et avec lui, la défense des minorités n’est pas une guerre du chacun pour soi et de tous contre tous, mais bien une révolte générale, un rassemblement vers plus de civilisation et d’universel. »
Paul J. Memmi, 21 juin 2022. (Docteur en sémiolinguistique)
Etaient notamment présents aujourd’hui Ariel Weil, Maire de Paris-Centre, Dominique Memmi, fille d’Albert, Directrice de recherches au CNRS, Anny Roseman, Historienne, Emmanuel Grégoire, 1er adjoint à la Mairie de Paris, chargé de l’urbanisme, François Ardeven, directeur culturel du Medem, Paul Salmona, directeur du Mahj, Paul Memmi, Docteur en sémiolinguistique, neveu d’Albert Memmi, auteur du texte ci-dessus.
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