Maxime Tandonnet. Législatives, entre jubilation et chaos

Les législatives ont débouché sur une situation inédite où le « cercle de la raison » qu’a pu incarner le macronisme s’est retrouvé majoritaire mais loin d’avoir une majorité.  Les Français viennent-ils de mettre un coup d’arrêt au phénomène de dépolitisation massive observé ces dernières années ?

Il est certain que le résultat des législatives est une énorme surprise. La plupart des experts s’attendaient, comme lors de toutes les élections législatives suivant une présidentielle depuis 1981, à un vote de routine et de simple confirmation des présidentielles dans l’indifférence et la résignation absolue du pays. Or, ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Un véritable séisme politique vient de se produire. Les élections législatives de 2022, par rapport à toutes celles qui se sont déroulées dans le passé, ont pris un sens politique. Les électeurs ont voulu sanctionner le président de la République et tout ce qu’il incarne. Auparavant, les élections présidentielles avaient été neutralisées : au prix d’un spectaculaire matraquage médiatique, d’une succession de tragédies (Covid19, Ukraine), et de l’absence de tout débat lors de la campagne, les Français ont eu le sentiment que cette élection présidentielle leur avait été volée. Ils se sont rattrapés lors des législatives en utilisant cette occasion pour sanctionner le pouvoir. Cela dit, il ne faut sans doute pas exagérer l’effet « retour à la politique » : avec 54% d’abstentionnisme, ce serait bien présomptueux !

La prétention à la résolution des problèmes par l’expertise technocratique dépolitisée et l’évacuation du débat des problèmes liés à la mondialisation, de la financiarisation du capitalisme ou de l’immigration, par exemple, ont-elles fini par lasser les Français ?

Sans aucun doute ! Et à ce sujet, le scandale McKinsey a probablement marqué les esprits des électeurs. Le vote des législatives peut s’interpréter comme une revanche des Gilets Jaunes. Il faut bien voir que les vainqueurs de ce scrutin sont les mouvements dits « antisystème », la NUPES de Jean-Luc Mélenchon et le RN de Marine le Pen. Le premier notamment a appelé à désobéir à l’Europe, donc aux directives et règlements de Bruxelles. Les socialistes et les écologistes, ralliés à la NUPES se sont placés sous l’aile du tribun Jean-Luc Mélenchon. En d’autres termes, ce résultat reconstitue la victoire du « non » au référendum de 2005 sur la Constitution européenne. Il faut y voir un succès du « populisme » contre les élites dirigeantes politiques, financières, médiatiques. L’effet de soufflet a été particulièrement puissant du fait de la personnalité du président récemment réélu. A tort ou à raison, son personnage incarne aux yeux de nombreux français, l’arrogance et la déconnexion des élites dirigeantes. Cet effet d’incarnation est particulièrement mobilisateur pour les courants protestataires.

Dans quelle mesure le moment est similaire à ce qu’ont connu l’Italie avec la coalition mouvement cinq étoiles/Salvini ou les États-Unis avec l’élection de Trump ou le Royaume-Uni avec le Brexit ?

Dans tous ces mouvements (cinq étoiles/Salvini, élection de Trump ou Brexit) se retrouve en effet la contestation du « Système » ou de « l’Establishment » bref des élites politiques, économiques, financières ou médiatiques ainsi que le rejet de la mondialisation. La fracture démocratique ou le sentiment d’une rupture entre la bourgeoisie dominante et le peuple frappé par l’exclusion le chômage, l’insécurité ou l’immigration, parfois la misère, est un phénomène qui touche l’ensemble du monde occidental. Il s’exprime de manières différentes d’un pays à l’autre. Il me paraît évident que le résultat des législatives françaises de 2022 est de la même nature, relève du même réflexe antiélitisme et anti-mondialisation, même si ses deux bénéficiaires, la NUPES et le RN, paraissent opposés, l’un insistant sur la condamnation du capitalisme international et l’autre sur l’immigration.

 Aucun de ces pays n’a véritablement réussi à transformer ces moments de rupture en nouvelle offre politique adaptée au monde du XXIe siècle. La France est-elle mieux armée que les autres pour réussir quelque chose de ce point de vue… ?

Ah non, la France n’est pas mieux armée pour réussir quelque chose de ce point de vue. En comparaison avec Cinq étoiles ou Trump, la situation en France des mouvements antisystème relève à ce stade de la cause perdue. Les deux premiers, en Italie et aux Etats-Unis ont eu leur chance au pouvoir, qu’ils n’ont pas réussi à saisir durablement. En revanche, en France, les mouvements dits « populistes », ne tiennent rien de précis. Ils sont profondément divisés par des haines aussi idéologiques qu’instinctives, entre la NUPES et le RN. La NUPES elle-même n’est qu’une alliance de circonstance entre des mouvements très disparates qui commencent déjà à se déchirer. Et que proposent-ils en dehors d’un catalogue de mesures ultra-démagogiques ? Leur triomphe aux législatives est illusoire. Il est purement négatif destiné à priver le chef de l’Etat et l’équipe au pouvoir de leur capacité à mener certaines réformes comme celle, annoncée, des retraites.

Mais de ce scrutin ne ressort rien de positif, ou constructif. Le chaos de la société française, l’archipel français, la fragmentation du pays, la montée des haines, de l’extrémisme et de la violence viennent d’entrer en masse à l’Assemblée nationale, par réaction contre la morgue et la déconnexion des élites.

En soi, c’est une bonne chose que les tensions qui déchirent la société s’expriment au grand jour au Parlement. Mais pour l’instant, rien ne laisse espérer que tout ceci puisse déboucher sur une esquisse de redressement du pays.

© Maxime Tandonnet

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1 Comment

  1. Pourquoi tant de cris d’orfraie ? Pourquoi tant de bruit sous prétexte de majorité « non absolue » ?

    Sachant que cette séquence électorale contient, d’abord, un évènement inédit : un président en exercice de la cinquième République qui se fait réélire. Ceci n’est JAMAIS arrivé auparavant SAUF lorsque le président sortant était « de cohabitation » ; donc privé du pouvoir et, à toutes fins utiles, chef de l’opposition.

    Autrement dit, nous avons ici affaire, non à une élection mais une REELECTION d’un président en exercice ; l’effet de nouveauté n’existe plus ainsi que les « jours de grâce ». MAIS rien que par le temps qui passe, la fatigue et l’usure sont bien là. Sans oublier les épreuves et les discordes de ce quinquennat qui en était bien pourvu.
    D’où le résultat législatif mitigé qui ressemble au présidentiel : une reconduite sans enthousiasme, dans la routine, d’où une majorité non absolue.

    Relativisons ; les SEULS pays (peu ou prou démocratiques) qui connaissent une majorité parlementaire absolue sont les pays à deux partis politique ; où la majorité ne peut, mathématiquement, qu’être absolue (les USA, la Grande Bretagne…).

    En revanche l’Allemagne, par exemple, démocratie à plusieurs partis politiques, a l’habitude de coalitions longuement négociées avant la constitution d’un gouvernement ; ainsi que du marchandage des maroquins ministériels.

    Dans un système à la française c’est la majorité parlementaire absolue qui devrait être une anomalie, et non son absence.
    Cela s’appelle la démocratie qui, comme chacun sait, est un système exécrable mais on n’en a pas encore trouvé de meilleur.

    Sachant quand même que Macron a eu 245 sièges et Mélenchon 131… Les cris de victoire du dernier sont déplacés, d’autant qu’il est à la tête d’une coalition de la carpe et du lapin aux coutures qui éclatent déjà. On verra à l’usage…

    Notons aussi que LR a obtenu 7% des votants. Et encore, cette misère est supérieure au pourcentage obtenu par Pécresse à la présidentielle (4.7%). Cela rejette ce parti, autrefois « de gouvernement », à la marge ; soyons magnanime.
    MAIS LR a peut-être une chance. Vu que leur soutien suffirait à Macron pour avoir la majorité absolue et que sur des questions importantes il n’y a pas de contradictions idéologiques ; comme démontrent tous les anciens et actuels caciques de LR qui ont rejoint la Macronie ou qui sont sur le point de le faire, Edouard Philippe en étant le plus emblématique.

    Dans ce contexte les coups de menton et les rodomontades de Christian Jacob s’expliquent ; c’est le point de départ d’une négociation.
    Une négociation fructueuse commence souvent par le refus de négocier….

    MAIS évidemment si LR deviennent la roue de secours de Macron leur raison d’être en pâtirait.
    Affaiblis électoralement, voir les pourcentages cités, ils deviendraient un parti de vieux nostalgiques.
    La venue des nouvelles générations, déjà bien entamée, pourrait sonner le glas de ce dinosaure.

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