Judah Ari Gross. Une Israélienne obtient son guet après 22 ans « enchaînée » à son mariage

L’ex-mari de Tamar a fui aux États-Unis pour ne pas verser de pension alimentaire, refusant de lui accorder le divorce, la privant du droit de refaire sa vie et d’avoir des enfants.

Illustration : Affiche créée par l’artiste de rue DODO pour Yom HaAguna, soulignant le sort des femmes enchaînées, le 24 février 2021. (Crédit : Yad LaIsha)

Après plus de vingt années « enchaînée » à son mari, Tamar (nom d’emprunt) a obtenu le divorce cette semaine, en un final plus amer que doux à l’un des cas les plus longs de refus de divorce en Israël, si l’on en croit l’organisation qui l’a représentée lors de sa procédure judiciaire.

« C’est une grande joie mêlée à une grande douleur, pour toutes les années que Tamar a perdues, au cours desquelles elle aurait pu nouer de nouvelles relations, mettre au monde d’autres enfants et, au-delà de tout ça, être libre », a déclaré Orit Lahav, PDG de l’organisation Mavoi Satum, « impasse » en hébreu, qui représente Tamar et d’autres femmes à qui l’on dénie le droit au divorce.

La femme qui se cache derrière Tamar a accepté de confier son histoire mais a souhaité garder l’anonymat. Elle a fourni un compte rendu de son calvaire par le biais de l’organisation, mais n’a pas voulu s’entretenir directement avec le Times of Israel.

Tamar a été perçue et désignée comme une femme « enchaînée » pendant 22 ans. Dans le judaïsme, les femmes « enchaînées », ou agunot, sont ces femmes dont les maris refusent de leur accorder le divorce – le guet en hébreu – ou sont physiquement dans l’incapacité de le faire, les laissant dans une situation des plus incertaines, pas vraiment mariées mais pas davantage en mesure de passer à autre chose.

En Israël, où le mariage et le divorce sont gérés par les instances religieuses, ces femmes sont légalement piégées, passibles de sanctions en cas de relations amoureuses avec d’autres hommes, constitutives d’un adultère. Elles ne peuvent pas davantage avoir d’enfants avec d’autres hommes, car ces enfants seraient considérés comme illégitimes en vertu de la loi juive, ce qui leur interdit de se marier en presque toutes circonstances.

Selon Mavoi Satum, une femme israélienne sur cinq qui demande le divorce aura le statut de femme « enchaînée », généralement comme moyen de pression lors des procédures de divorce. Le refus n’est généralement pas très long, de quelques mois à un an ou deux. Bien qu’il ne soit pas unique, un refus de 22 ans est très inhabituel.

Selon l’interprétation du grand rabbinat israélien, ainsi que celle de la plupart des autorités compétentes en matière de loi juive, il n’y a aucun moyen de dissoudre un mariage valide sans le consentement du mari. Les tribunaux rabbiniques peuvent imposer des sanctions, aller jusqu’à prononcer des peines de prison, contre les maris qui refusent de concéder le divorce religieux, mais ils ne peuvent en aucune manière leur forcer la main. Le rabbinat est encore plus impuissant si le mari qui refuse le divorce a fui le pays, hors juridiction israélienne, comme ce fut le cas pour Tamar.

« Ils ont pris sa liberté, ils ont pris son utérus et ne lui ont rien donné en retour », affirme au Times of Israel Batya Cohen, l’avocate de Mavoi Satum qui a représenté Tamar.

Tamar et son ex-mari se sont mariés en 1998 et peu de temps après, Tamar donnait naissance à leur fille.

Selon le récit de Tamar, le mariage – qui n’a jamais vraiment satisfait son ex-mari– s’est effondré assez rapidement. Son mari était souvent violent verbalement, refusait de payer la moitié de leurs frais de subsistance et dormait le plus souvent chez ses parents, la laissant s’occuper seule de leur enfant.

Après quelques mois, Tamar a demandé le divorce et poursuivi son ex-mari afin d’obtenir une pension alimentaire pour leur fille fin 1999. La veille de leur première audience, il a fui aux États-Unis, où il semble vivre depuis.

En 2000, un tribunal des affaires familiales a statué que Tamar avait droit à une pension alimentaire pour sa fille. La même année, un tribunal rabbinique a également statué que son mari devait lui donner le guet. Ces deux décisions étaient purement symboliques dans la mesure où il se trouvait hors juridiction israélienne.

Orit Lahav, PDG de l’organisation Mavo’i Satum, qui défend les intérêts des femmes à qui un divorce a été refusé, sur une photographie non datée. (Crédit : Association du Barreau israélien)

Selon l’avocat de Tamar, au fil des ans, des représentants des tribunaux rabbiniques ont tenté de convaincre son ex-mari de lui accorder le divorce, en vain. Tamar a finalement proposé d’abandonner toutes ses requêtes, y compris la demande de pension alimentaire pour sa fille, en échange du divorce. Là encore, il a refusé.

Alors que Tamar ne pouvait ni s’engager dans de nouvelles relations amoureuses ni avoir d’autres enfants, sans s’attirer les foudres juridiques et religieuses, son mari a pu faire tranquillement les deux. Il a trouvé une nouvelle partenaire avec laquelle il aurait eu au moins un enfant, selon les avocats de Tamar.
En raison de la fuite de son mari à l’étranger, le cas de Tamar a très vite été considéré comme une cause perdue, la condamnant à dépérir devant les tribunaux civils et rabbiniques pendant des années. Mais, cette semaine, l’avocate de Tamar a reçu un appel.

« Le rabbin Asher Ehrentreu [de la division Agunot du tribunal rabbinique] m’a appelée pour me dire : ‘J’ai votre guet.’ Signé sans conditions », explique Cohen.
Selon Mavoi Satum, un rabbin américain a fini par trouver les mots pour convaincre l’ex-mari de Tamar d’accorder le divorce. « Et voilà, terminé ! », ajoute Cohen.

Tamar a aujourd’hui 50 ans et vit dans la région de Jérusalem. Sa fille est adulte.

Mavoi Satum précise que Tamar envisage de poursuivre son ex-mari devant un tribunal civil afin d’obtenir des dommages et intérêts, en réparation de la pension alimentaire qui lui a été refusée et des souffrance qu’elle a endurées en tant qu’agouna, que les tribunaux civils israéliens considèrent comme une cause légitime de dommages et intérêts.

Cohen ajoute qu’aucune « compensation financière ne la dédommagera suffisamment pour les années qu’on lui a volées et les droits sur son corps, qu’on lui a également déniés en la privant de mettre d’autres enfants au monde. Elle en a été totalement et irrémédiablement privée.

« Les tribunaux rabbiniques devraient réfléchir attentivement au fait que l’existence d’une femme peut lui être déniée sans pitié du fait de la loi juive. Nous savons qu’il existe, dans la loi juive, des solutions à ce phénomène d’enchaînement des femmes. Aussi, chaque fois que les tribunaux rabbiniques s’abstiennent de les appliquer, c’est une terrible injustice et une monstruosité », déclare Lahav, utilisant le terme juif désignant la profanation du nom de Dieu.

« Nous sommes heureux que Tamar soit aujourd’hui une femme libre et souhaitons que toutes les femmes ‘enchaînées’ soient libérées sans avoir à attendre plus de vingt ans », conclut-elle.

© Judah Ari Gross

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1 Comment

  1. J’imagine que tous les cas sont différents. Mais ici, tels que les faits sont exposés, il s’agit vraiment d’une injustice.
    Je veux bien admettre qu’un mari qui aime toujours sa femme et ses enfants refuse le divorce, souhaite maintenir le mariage et que les responsables religieux aillent dans son sens, celui du caractère sacré du mariage.
    Mais ce n’est pas le cas. Visiblement, il n’avait rien à faire de femme et enfant ! Il les a abandonnés et s’est enfui !
    Que son épouse soit obligée de rester enchaînée à un homme qui l’a maltraitée puis abandonnée ainsi que son enfant est carrément une injustice. La vie de cette malheureuse femme a été sacrifiée par une loi dont je ne comprends pas le sens.

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