Robert Hébras, dernier survivant du massacre d’Oradour-sur-Glane, peut compter sur sa petite fille Agathe pour transmettre son histoire et celle du village de Haute-Vienne où furent massacrés 643 habitants, le 10 juin 1944.
Témoin de l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, il a inlassablement raconté aux écoliers, aux délégations françaises et allemandes, à la presse mais aussi aux présidents de la République qui se sont succédé dans le village martyr, le massacre de 643 villageois.
Le 10 juin 1944, la division SS Das Reich réunit les habitants d’Oradour sur la place du village. Les femmes et les enfants sont conduits dans l’église qui sera mise à feu. Ils mourront brûlés vifs. Les hommes seront fusillés. 643 villageois périront. Six survivront dont Robert Hébras, le seul encore en vie à ce jour.
Celui qui fêtera ses 97 ans le 29 juin 2022 continue de transmettre la mémoire d’Oradour. Pudique, avare en mots, il peut aujourd’hui compter sur sa petite fille. « Grâce à elle, la mémoire va perdurer. Pour moi, c’est extrêmement important ».
Agathe Hébras, 29 ans, reprend ainsi le flambeau du souvenir. “Une mission”, dit-elle, tant elle connaît l’ampleur et l’importance de la tâche.
Enfant, elle arpentait le village martyr aux côtés de son grand-père, écoutait avec attention chaque détail, avait l’impression de toucher du doigt la vie des habitants, l’ambiance de ce village paisible avant le massacre. Revivait à travers ses mots, l’horreur de ce 10 juin 44. « Dès l’âge de 5 ans, j’ai compris que ma vie s’écrirait avec Oradour. Je savais que le destin m’amènerait à faire quelque chose avec le village ».
Mais il ne suffit pas d’un patronyme pour, à ses yeux, être légitime. « Je me suis, depuis toujours, passionnée pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, pour la Shoah, pour Oradour-sur-Glane. Pour pouvoir en parler, prendre la suite, il me fallait aussi des diplômes. »
Agathe s’inscrit en fac d’histoire et obtient un master. Elle travaille un temps au centre de la mémoire, aujourd’hui à la Fondation du patrimoine en Limousin et a été accueillie au conseil d’administration de deux associations, “l’association nationale des familles des martyrs” et “Oradour, histoire, vigilance et réconciliation”.
Aller au-delà du récit
Et se sent désormais à sa place pour transmettre à son tour. « Il y a longtemps que je mûris ce projet. Il y a longtemps qu’elle s’intéresse à Oradour. Je suis le seul encore en vie à pouvoir dire comment était Oradour avant, ce qu’il s’est passé pendant et après. Pour moi, c’est très important qu’elle prenne la relève », se félicite Robert Hébras.
Aujourd’hui, sa petite fille a des idées précises pour mener à bien sa mission. « Avec le nouveau président de l’association nationale des familles des martyrs, Benoît Sadry, on compte aller plus loin que les simples témoignages. On veut ancrer Oradour dans la société contemporaine, créer des liens, une passerelle avec les autres drames ».
Et Agathe Hébras de citer le Bataclan ou les attentats du World Trade Center. « Pour les nouvelles générations, nous sommes obligés de créer un lien avec le quotidien, avec le présent et de ne pas rester toujours dans la Seconde Guerre mondiale. Le Bataclan et Oradour ? Dans les deux cas, vous avez des gens qui n’ont rien demandé à personne, qui vivent tranquillement. La terreur s’abat sur eux d’un seul coup au nom d’une idéologie qui ne les concerne pas ».
L’enjeu, selon elle, est « d’intellectualiser » le témoignage en allant au-delà du récit. « Si cela permet à ma génération et celle d’après de comprendre que les engrenages ayant conduit à Oradour peuvent se répéter, qu’on peut malheureusement vivre des drames similaires aujourd’hui, ça sera déjà ça. Je compte reprendre ce que papi a commencé et aller plus loin ».
En Agathe, il retrouve les traits de ses deux sœurs disparues
Quand il regarde le visage d’Agathe, 29 ans, Robert ne peut s’empêcher de penser à ses deux sœurs qui, avec leur mère, ont péri dans l’église. Denise avait 9 ans Georgette en avait 22.
« Papi a été heureux de me voir atteindre 9 ans, l’âge du décès de sa petite sœur. Ensuite, quand j’ai atteint la vingtaine, il m’a regardé avec des yeux d’une tendresse folle. Papi a perdu toutes les femmes qui l’entouraient dans le massacre. Il a eu un fils, mon papa. Je suis la seule femme aujourd’hui à porter le nom d’Hébras. Je suis arrivée dans la famille 49 ans après les faits. Ce n’était pas anodin pour lui. Enfant, je ressemblais à Denise. Quand j’ai atteint la vingtaine, un ami de la famille André Desourteaux, qui a connu ma grande tante Georgette, m’a souvent appelée Jojo ».
En 2014, Robert Hébras avait raconté ses mémoires dans un livre intitulé Avant que ma voix ne s’éteigne. Il a aujourd’hui cette certitude. Sa voix continuera de raconter le drame d’Oradour. À travers sa petite fille.
Transmission
Mélissa Boufigi, journaliste, vient de publier un livre poignant à partir d’entretiens avec le dernier témoin d’Oradour et sa petite fille. Un ouvrage passionnant, détaillé, émouvant et au final très actuel qui retrace les jours avant le massacre, la vie dans le bourg d’Oradour, l’arrivée des SS, les évènements du 10 juin 1944. Un livre autour de la transmission où Robert Hébras a plongé au plus profond de ses souvenirs. « Je n’ai jamais été autant dans le détail », reconnaît le nonagénaire, fier que l’ouvrage soit diffusé au niveau national par l’éditeur.
Le dernier témoin d’Oradour-sur-Glane, par Mélissa Boufigi, Robert Hébras, Agathe Hébras, chez Harper Collins. 171 pages, 18 euros.
Pour rappel
Il y a 78 ans, le 10 juin 1944, des SS de la division « Das Reich » entrent dans le petit village d’Oradour-sur-Glane, en Haute-Vienne, près de Limoges, pour massacrer la population. 642 personnes, dont 404 femmes et enfants, sont mitraillées puis brûlées vives.
Ce village martyr reste pour toujours un haut-lieu de la cruauté hitlérienne. Il est encore aujourd’hui possible d’en observer les ruines, toutes intactes, pour que les générations futures n’oublient jamais les blessures subies par la France durant l’occupation nazie.
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