André Markowicz. La honte

Je lis l’interview de notre président à la presse régionale, à propos de l’Ukraine. Oui, certes, la France est prête à accroître son « soutien financier et militaire » à l’Ukraine, et j’en suis très content. Mais dans la presse ukrainienne, dans toutes les chaînes youtube que je peux consulter, on ne parle que de ça… « Ne pas humilier la Russie », dont le peuple est « un grand peuple », a redit Macron, et il parle de « l’erreur historique fondamentale » de Poutine…

Sur ne pas « humilier », j’en ai déjà parlé, je ne retire pas un mot de ce que j’ai écrit.

Mais, tant qu’à faire, qui est-ce qui humilie la Russie dans cette histoire ? N’est-ce pas Poutine lui-même et ses sbires ? Est-ce que, tant qu’à faire de dire ce qu’on pense, ce n’est pas humiliant pour « ce grand pays », de voir ses soldats violer, torturer systématiquement, détruire toutes les infrastructures civiles, réduire à néant des décennies et des décennies de travail, ça, pour la Russie, est-ce que ce n’est pas humiliant ?

Est-ce que ce n’est pas humiliant pour la Russie, et pour tous les Russes, et pour tous ceux qui, comme moi, sont, d’une façon ou d’une autre, liés à la Russie, de voir que ce pays est gouverné par des types qui se font placer des dérouleurs de PQ en or dans leurs yachts ? par des mafieux qui rackettent quasiment toutes les entreprises privées de leur propre pays ? — et on voit le résultat : la Russie ne produit rien à part ses ressources naturelles.

La honte, dans tout ça, elle est où ?

Alors, encore une fois, réellement, qu’est-ce que ça veut dire, « humilier la Russie » ? Qui est-ce qui l’humilie, la Russie ? Et, nous, les Français, est-ce que ce genre d’expression de notre président ne nous humilie pas, nous, en nous faisant passer, si ce n’est pour des soutiens de Poutine, du moins pour des citoyens d’un pays qui voudrait lui sauver la mise ? Et est-ce que ça a servi à quelque chose, la « centaine d’heures au moins » que notre président aura passées au téléphone avec Poutine après le lancement de l’invasion ?

Comment ne pas voir que Poutine ne comprend que le rapport de force direct, que la confrontation, — que la moindre complaisance avec lui lui donne des arguments pour continuer et pour nous mépriser ?

Poutine n’a jamais négocié sur rien, il n’a jamais reculé, sur rien, parce qu’il part de l’idée que les démocraties sont des régimes faibles et que, jusqu’à présent, la force a toujours marché.

Ce sont toujours les démocraties qui ont reculé, et qui l’ont laissé faire — qu’on se souvienne de la Géorgie, ou de la Crimée.

Il ne reculera pas plus aujourd’hui — de son propre gré. Pire encore : dès qu’il sent une faiblesse, il appuie dessus, et, lui, il humilie.

N’est-ce pas la presse de Poutine qui explique à qui veut l’entendre — et il y a plein de gens qui veulent l’entendre — que Frédéric Lecler-Imhoff, tué en accompagnant un convoi humanitaire, n’était pas un journaliste, mais un agent secret, ou je ne sais pas quoi ?

Ça, au moment où Macron passe ses centaines d’heures passées à discuter ?… Mais discuter de quoi ? On parle — de plus en plus — de négociations, alors que 20% du territoire ukrainien sont occupés (et nous savons dans quelles conditions). Des négociations sur quoi ? sur le fait de laisser la Russie annexer tout le Donbass et toute la province de Lougansk — là encore pour permettre à Poutine d’apparaître comme un vainqueur ? Et quid de Kherson ? — Et, naturellement, je ne parle pas de la Crimée. Et quid du million et plus de gens déportés d’Ukraine en Russie ? Et quid des enfants, déportés, eux aussi, et dont certains ont été déclarés adoptables, alors qu’ils avaient été arrachés à leurs parents ?

Et, surtout, je lis ça , Poutine aurait fait « une erreur historique fondamentale » en lançant cette guerre…

Que Poutine s’est trompé, ou a été trompé (je me fiche de savoir si c’est l’un ou l’autre), et qu’il n’a rien compris à ce qui se passait réellement en Ukraine — c’est un fait. Mais, ce qu’il a lancé, est-ce une « erreur » (et donc quelque chose qu’on pourrait corriger) ou autre chose ? Il a fait une erreur ou il a commis un crime — et pas un crime, mais un crime de masse, qu’il est toujours en train de commettre, depuis aujourd’hui plus de cent jours, — un crime qui a tout l’air d’entrer dans la catégorie du génocide tel qu’il a été défini à la fin des années quarante ?

Je veux dire, est-ce qu’on peut lui téléphoner ? Est-ce qu’il est, réellement, un interlocuteur ? Et s’il ne l’était plus, depuis qu’il a lancé ces crimes de masse ? Si une attitude générale des Alliés arrivait à lui faire comprendre que, non, même s’il est le président de la Fédération de Russie, il s’est lui-même mis au ban des nations et il n’est plus un interlocuteur ?

Si cela était dit, publiquement, est-ce que ça n’aiderait pas les gens, en Russie, à comprendre que ce n’est plus possible du tout, et qu’il existe une autre voie que celle de la dictature et de la corruption ? Ça, nous en sommes très loin.

Bien sûr qu’il faudra négocier. Mais, d’abord, laissons l’Ukraine gagner la guerre. — Oui, la gagner. Aidons-la. Parce que, malgré toutes les catastrophes, même en ce moment, les Ukrainiens résistent, et nous assistons à deux épuisements simultanés : le dernier effort des Russes pour arriver, ne serait-ce qu’un peu, à remplir leurs nouveaux objectifs, au prix de pertes terribles, et un dernier effort pour leur matériel, — parce que Poutine a tellement corrompu tout le pays que même l’industrie militaire ne marche pas et n’est pas capable de fournir des armes modernes. Et l’effort de l’armée ukrainienne, alors que les munitions s’épuisent (sans parler des hommes !….), et que les nouvelles n’arrivent pas encore, ou arrivent très très lentement.

Mais, même comme ça, ils résistent, et Sévérodonietsk n’est toujours pas sous le joug des Russes, au contraire. — Et, au sud, du côté de Kherson, ce sont les Ukrainiens qui avancent, — très très peu, mais quand même…

Bref, il faut, absolument, je le répète encore et encore, que les Russes soient battus, d’un point de vue militaire. Même si ça prend des mois et des mois. Et il faut que les sanctions fassent leur effet à l’intérieur de la Russie. Elles le font, leur effet, d’ores et déjà, et ce n’est pas pour rien que Poutine vole le blé de l’Ukraine et fait ce chantage à la famine. — Il est prêt à ouvrir les exportations en échange de l’abandon de ces sanctions.

Donc, oui, elles marchent. — Au jour le jour, dans la vie quotidienne, nous, hors de Russie, on a du mal à s’en rendre compte, mais, justement, au jour le jour, la situation intérieure empire, les usines ferment, les produits disparaissent, dans la vie quotidienne, ou dans les industries, les programmes informatiques s’arrêtent, bref, oui, ça marche.

Et il faut que ça continue de marcher, parce que, comme je ne cesse de le répèter, la fin véritable de cette guerre ne pourra venir qu’avec la fin du régime de Poutine.

Cette dernière interview de Macron, en Ukraine, a été reçue comme une honte, — et une humiliation. Et ça, c’est pain bénit non seulement pour Poutine, mais aussi pour Boris Johnson, et pour le régime d’extrême-droite polonais… Bref, dire ça, ce n’est pas seulement inutile, c’est… une faute.

Plutôt que passer des centaines d’heures au téléphone avec un assassin qu’il encourage, rien qu’en lui parlant, à continuer et à se moquer de lui, pourquoi notre président ne se fendrait-il pas d’un message d’anniversaire à Alexéï Navalny ?

C’était son anniversaire, hier. Il va être transféré dans un pénitencier « à régime sévère », pour, théoriquement, neuf ans, et une autre affaire le menace encore, d’une quinzaine d’années supplémentaires.

Il existe une autre Russie que celle de Poutine, et, elle aussi, il faut l’aider à s’imposer… Ça, nous en sommes encore loin.

André Wolkowicz

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2 Comments

  1. Le drame actuel trouve sa source dans le Kosovo.
    En 1999 l ‘ Otan, 900 millions d ‘ habitants, a attaqué la Serbie, 10 millions d ‘ habitants, suite à une manipulation de l ‘ opinion publique occidentale ( le soi-disant plan  » fer à cheval » ) sans autorisation de l ‘ Onu et sans déclaration de guerre. Ce conflit a pris la forme unique d ‘ attaques aériennes, les Occidentaux n ‘ ont pas pris le risque d ‘ envoyer des troupes au sol.( les Serbes savent se battre ).
    Tout cela sans aucune honte.
    Cela s ‘ est terminé par la création de l ‘ État du Kosovo et donc la fin du principe de l ‘ intangibilité des frontières en Europe.

    De cela Poutine à conclu que les Américains et leurs vassaux occidentaux étaient près à tout.

    Ce drame du Kosovo à tenu un grand rôle dans sa décision d ‘ attaquer l ‘ Ukraine.

  2. Ukraine : le petit-fils du général de Gaulle remet les pendules à l’heure
    = Responsabilité des USA et rôle funeste de l’OTAN !
    « Dénonçant « le rôle funeste de l’Otan », le porte-étendard des valeurs gaulliennes a vivement critiqué la soumission totale de la France à l’Alliance. Voici le lien de cette vidéo, transmis par le général Delawarde.
    https://rumble.com/v18kkqp-rle-funeste-de-lotan-le-petit-fils-de-gaulle-sur-lexistence-dun-agenda-amri.html
    Profondément attaché à l’amitié franco-russe, Pierre de Gaulle dénonce la faute des Occidentaux qui ont alimenté la spirale de la guerre, encourageant Zelensky et son entourage à pratiquer une fuite en avant dévastatrice. »

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