Deux France – et quelques autres

Saint-Stanislas / Marseille: un sacré décalage horaire

Wikimedia commons

Jean-Paul Brighelli, invité à Saint-Stanislas, la plus célèbre des écoles privées catholiques de Paris, n’en est toujours pas revenu. Il vous explique pourquoi.

Le dimanche 22 mai, j’ai eu le privilège d’être invité à signer mon dernier essai sur l’Ecole dans le mini-Salon du livre organisé à « Stan », dans le cadre de la fête annuelle de cet établissement privé catholique d’enseignement sous contrat — c’est-à-dire que l’Etat règle les salaires des enseignants. Je n’étais jamais entré dans les murs de Saint-Stanislas, le célèbre groupe scolaire, de la maternelle aux classes prépas, qui occupe un vaste espace entre la rue du Montparnasse et la rue Notre-Dame-des-Champs. Je m’attendais à tout — le programme était celui d’une gigantesque kermesse, messe comprise, étalée sur une journée.

Pas un Arabe, pas un Noir

J’ai pénétré dans un autre monde. J’avais quitté Marseille trois heures auparavant ; et si vous connaissez un peu le quartier Saint-Charles et la rue des Petites Maries qui part du Cours Belsunce et mène à la gare, vous comprendrez ce que je veux dire quand je vous affirme que je me suis senti hors sol. Hors réalité.

Pas un Arabe. Pas un Noir. Des blondinets habillés en scouts — ou en louveteaux, selon l’âge. Turbulents avec modération. Aucun n’avait les yeux rivés sur son smartphone, en état de catatonie, comme on en voit tous les jours sur tous les trottoirs de France. L’un d’eux s’est approché de moi, et m’a demandé l’heure avec tous les éléments verbaux de la plus exquise politesse. Et il n’a même pas esquissé le geste de m’arracher le portable sur lequel j’avais cherché une réponse à sa question. Pire : il m’a remercié.

Sidéré je fus.

Les parents présents, fort nombreux, arboraient toutes les marques vestimentaires du bon goût discret — alors qu’à Marseille en ce dimanche matin (j’étais parti tôt), c’était sorties de boîtes, altercations, beuveries toujours recommencées, merguez vomies et règne de la sape et du strass. Et ils s’adressaient à moi en français — sujet, verbe, complément. Sourire en sus.

« Stan » est-il hors sol — ou Marseille ? Les deux, probablement. D’un côté une France éternelle, qui aurait pu être la même cinquante ou cent ans auparavant. De l’autre, le grand remplacement déjà effectué. La wilaya de Marsilha, disent les journaux algériens.

Entre les deux, cette « France périphérique » qui occupe quand même cinquante millions de Français qui ne vivent ni dans des ghettos islamisés, ni à Boboland. Qui travaillent et qui souffrent.

À un Parisien qui se demanderait s’il inscrit ses rejetons dans cet Eden scolaire ou dans le collège public auquel ils ont droit, par exemple en plein quartier pakistanais, entre la gare de l’Est et celle du Nord, je répondrais sans hésiter, tout républicain que je sois, que le bien-être et la réussite des gosses passent avant les beaux sentiments et les grands principes.

L’histoire des deux France ne s’arrête pas là

Une amie journaliste dans un grand quotidien du matin (ne cherchez pas, vous ne trouveriez pas, ça commence par F et ça finit par O) a inscrit ses deux filles au Lycée de la Légion d’Honneur, à Saint-Denis. « Même sensation », me raconte-t-elle ; « quand nous sortons du lycée, nous sommes en un instant projetées dans la faune interlope de Saint-Denis ». La ville (et le département) où l’on nomme prioritairement les quelques néo-profs qui ont osé passer des concours qui n’attirent plus grand monde, sans doute afin qu’ils abandonnent vite la carrière.

« Pire, ajoute-t-elle. Il y a au lycée un certain nombre d’Arabes et d’Africains — enfants privilégiés de parents travaillant dans des ambassades, ou de potentats de royaumes absolutistes. Et quand ils invitent mes filles à des anniversaires, c’est dans des décors de mille et une nuits, avec lesquels mon pauvre appartement de bourgeoise parisienne ne risque pas de rivaliser. On est toujours le fauché de quelqu’un. »

Là aussi, deux espaces se côtoient sans se mélanger. Deux « communautés », comme il est de bon ton de dire depuis que la République une et indivisible n’existe plus, sinon sous forme de puzzle éclaté. Deux, cinq, dix communautés qui se regardent en chiens de faïence ou dans le viseur — quand elles se regardent.

Ainsi va la France. Partout des îlots, des réserves d’Indiens, chacun sur le sentier de sa guerre. Inutile de les ceinturer de murs ou de barbelés. Il y a des frontières invisibles, mentales, que personne ne songe à transgresser. Des serres où poussent les enfants des oligarques, et des déchetteries où s’entassent les déshérités.

Le plus beau, c’est que les théories pédagogiques des quarante dernières années, assénées par des gens de gauche, ou prétendus tels, ont entériné cette séparation, cette opposition, cette guerre latente. Parce que les enfants de Stan, même les pires, auront toujours un aliment culturel de qualité, des séjours linguistiques, un accompagnement artistique varié, et, à la maison, un usage immodéré du bon français ; et que les autres, même les meilleurs, auront juste le droit de construire eux-mêmes leurs propres savoirs, avec des idées reçues, des prêches extrémistes, des séries télé et de petits trafics pour s’initier aux lois de l’économie capitaliste.

Source : causeur /  Jean-Paul Brighelli

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