Entretien réalisé par Alexandre Devecchio
L’essayiste, ancien membre du Haut Conseil à l’intégration, juge l’affaire Bouhafs très significative de l’électoralisme de l’extrême gauche mais aussi, plus largement, des accommodements de nombreux politiques avec les principes républicains.
LE FIGARO. – Que vous inspire la tempête médiatique provoquée par Taha Bouhafs, en passe d’être investi par La France insoumise pour les législatives, avant d’être accusé dans un premier temps d’islamisme militant et d’antisémitisme puis, en outre, d’agressions sexuelles au sein de son parti?
Malika SOREL. – Elle illustre à la perfection la dérive d’une partie des élites qui a versé dans le clientélisme communautaire en raison de l’évolution de la démographie électorale et de l’effondrement de l’intégration culturelle. L’alliance entre les différentes formations de gauche apparaît contre nature, tant les faits d’armes de Jean-Luc Mélenchon sont connus. Citons, entre autres, Clémentine Autain, alors porte-parole du collectif Ensemble!, relayant l’appel à se rendre à un meeting qui comptait parmi ses invités Tariq Ramadan ; Danièle Obono signant une pétition pour soutenir le groupe ZEP, auteur d’une chanson intitulée Nique la France ; Leïla Ivorra, aujourd’hui candidate aux législatives investie par LFI dans le Val-d’Oise, s’illustrant par un faux témoignage lors de l’évacuation de la fac de Tolbiac par les forces de l’ordre en 2018, affirmant avoir vu un étudiant «avec la tête complètement explosée».
Des images la montrent faisant face à des CRS aux côtés de Taha Bouhafs.
En 2010, dans Marianne, Jean-Luc Mélenchon déclarait: «les gens se stigmatisent eux- mêmes – car qu’est-ce que porter le voile, si ce n’est s’infliger un stigmate», et qualifiait le port du voile de «régression», rappelant que «même dans les pays d’origine, cette
pratique est combattue par les milieux progressistes». Pour lui, l’investiture par le NPA d’une candidate voilée était une «attitude immature et un peu racoleuse» qui signifie:
«À moi les miens». Or, quelques années plus tard, en 2019, il participe à la «marche contre l’islamophobie», organisée à l’appel notamment du NPA et du CCIF. Ce Collectif contre l’islamophobie en France, décrit par le ministre de l’Intérieur comme faisant partie des «oficines islamistes» qui «œuvrent contre la République», finira par être dissous.
Que pensez-vous des accusations de «racisme» visant ceux qui critiquent les déclarations et les actes de Taha Bouhafs?
Il faut résister à cette arme de dissuasion. Nul n’invoquerait le racisme si un Français «de souche» s’était trouvé dans la position de Bouhafs, ou dans celle du député macroniste M’jid El Guerrab, qui a porté de violents coups de casque contre un responsable socialiste, le mettant dans le coma.
L’accusation est certes habile, car elle surfe sur un sentiment présent parmi les populations issues de l’immigration, dont une bonne part vient des anciennes colonies de la France ainsi que de la sphère culturelle musulmane, qui se différencie
de la sphère occidentale sur des valeurs majeures qui structurent l’identité. Il existe un lourd contentieux hérité de l’histoire, et il suffit parfois de peu pour nourrir un ressentiment.
La plupart des immigrés sont issus de milieux défavorisés, parfois misérables. Lorsqu’ils arrivent en France, ils sont pris en charge par la collectivité nationale et bénéficient d’un bond social considérable que jamais leur pays d’origine n’aurait pu leur permettre. Pourtant, à force d’entendre dire pis que pendre de la société d’accueil, beaucoup viennent à se persuader qu’elle est mauvaise. D’autres enfourchent ce cheval commode car il leur permet de jeter un voile sur la dissonance identitaire qui les habite, poussant ainsi une partie à se dresser contre la France et les Français de souche jusqu’à parfois se montrer agressifs.
Cette violence n’est pas retournée contre leur pays d’origine, responsable de leur exil. Au contraire, ils le magnifient et la moindre occasion, matchs de foot, mariages, est saisie pour en déployer le drapeau avec fougue et fierté. C’est dire à quel point la dimension socio-économique du problème est anecdotique, et celle de l’identité majeure.
Taha Bouhafs est-il ce qu’on appelle un «entrepreneur identitaire», c’est-à-dire une personne qui fait profession de tenir un discours accusateur et vindicatif sur la France?
Pour émerger et être reconnus, il n’est malheureusement plus guère laissé d’autre choix aux enfants de l’immigration, car la prime va à la non-assimilation. Ceux que j’appelle les matérialistes de la mémoire, qui font continuellement procès aux Occidentaux en raison de l’histoire, peuvent espérer un retour sur investissement car la figure de l’immigré pauvre et dominé permet aux classes aisées qui prennent systématiquement leur parti de se sentir appartenir au «camp du bien». Il y a donc un intérêt à les maintenir dans la case «diversité».
La poursuite d’une immigration à très haut niveau, alors même que les sociétés d’origine renouaient avec la religion comme principe organisateur de la cité, a conduit au réenracinement culturel d’une partie importante de ces personnes. Le personnel politique a besoin de rabatteurs de bulletins de vote au sein de ces populations.
Beaucoup, tous partis confondus, ont donc versé dans le clientélisme par des concessions sur le respect des principes républicains. C’est ce qui a conduit au séparatisme puisque, pour pouvoir peser, chaque communauté, se trouvant ainsi instituée et reconnue, n’a nul intérêt à laisser ses membres lui échapper.
C’est pourquoi la pression s’est accrue sur chaque famille de l’immigration, éloignant les enfants de l’intégration culturelle, avec des conséquences aussi bien à l’école que dans la rue, où le signe le plus visible en est le voile, car comme l’avait dit Tahar Ben Jelloun en 2016 sur France Culture, «le corps de la femme est le principal objet de fixation chez certains musulmans. C’est pour cela qu’on cherche à ce que le corps des femmes ne s’exprime pas, qu’il ne se dévoile pas, qu’il ne soit pas libre. Alors, on le
cache.» Voilà pourquoi l’écologiste Éric Piolle trouve un intérêt à autoriser le burkini.
De façon plus générale, que pensez-vous du vote massif en faveur de Jean-Luc Mélenchon dans les banlieues? Quelque 70 % des musulmans qui se sont rendus aux urnes auraient voté pour lui selon les enquêtes d’opinion. Peut-on parler de vote ethnico-religieux?
Oui, et ce n’est pas nouveau. Au deuxième tour de 2012, 93 % de ces électeurs ont voté pour François Hollande, selon OpinionWay. En 2017, au premier tour, 37 % d’entre eux avaient voté pour Mélenchon, 24 % pour Macron et 17 % pour Hamon. Ce qui a changé au premier tour de cette élection et qui a largement favorisé Mélenchon, c’est qu’entretemps, Macron a fait la loi sur le séparatisme. Rappelons le rapport du think- tank Terra Nova, proche du PS, en 2011, qui démontre l’intérêt de la gauche à séduire ces électeurs. On y parle des «non-catholiques, notamment les individus d’“autres religions”, composés à 80 % de musulmans, qui sont plutôt enclins à voter à gauche» et du fait que «la dynamique démographique est très favorable à la gauche» puisque «la population des Français issus de l’immigration est en expansion démographique, et qu’en seulement cinq ans, ce sont entre 500.000 et 750.000 nouveaux électeurs, naturalisés français qui pourront participer au prochain scrutin présidentiel».
En 2017, 44 % de la hausse de la population française provient des immigrés (Insee). Or l’effondrement de l’intégration culturelle est attesté par un chiffre sans appel: 74 % des musulmans de moins de 25 ans déclarent «faire passer leurs convictions religieuses avant les valeurs de la République», alors qu’ils ne sont «que» 25 % pour les 35 ans et plus (Ifop, août 2020), ce qui signe l’échec patent de l’école. Aussi, si les gouvernants persistent à refuser de mettre en place les mesures d’urgence qui s’imposent – que j’expose dans mon livre -, alors un jour viendra où les valeurs qui structurent l’identité française seront minoritaires en France. Est-ce bien là le mandat que le peuple français leur a confié?
* Malika Sorel est l’auteur de plusieurs ouvrages remarqués, dont «Décomposition française. Comment en est-on arrivé là?» (Fayard, 2015), qui a reçu le prix Honneur et Patrie de la Société des membres de la Légion d’honneur. Elle vient de publier «Les Dindons de la farce. En finir avec la culpabilité coloniale!» (Albin Michel, février 2022, 224 p., 18,90 €).
Malika Sorel est une très grande dame