Le ZLavrov, ministre des Affaires étrangères, explique, à la télé italienne, que les Ukrainiens sont des nazis et que même Zélinsky peut être un nazi, quoi qu’il soit juif, parce que les pires antisémites, ce sont les Juifs.
Et je n’oublie pas que les Russes expliquent, pendant des heures à la télé (y compris sur le territoire qu’ils occupent de l’Ukraine) que la seule origine des destructions, ce sont les Ukrainiens eux-mêmes, ce qui me rappelle ce que disaient les nazis, c’est que les responsables de la guerre, c’étaient les Juifs, et que, — je le dis en passant, un nommé Tristan Mordrelle, qui s’est occupé du financement de la campagne de Zemmour, dirigeait au début des années 2000 une revue qui s’appelait « L’Autre Histoire », dans laquelle on expliquait qu’Auschwitz était une création des Juifs.
En même temps, le même jour, le cinéaste Karen Chakhnazarov (qui dirige toujours « Mosfilm »), explique, dans un des interminables talk-shows de Soloviov dont il est l’un des invités perpétuels, que, maintenant, je cite, « c’est du sérieux, et [ceux qui ne sont pas d’accord] avec la lettre Z, ceux-là, s’ils pensent qu’on leur montrera de la pitié, ils se trompent (là, la caméra passe sur une autre invité, qui approuve en souriant). Non, là, c’est les camps, la rééducation, et, n’est-ce pas, la stérilisation ».
En passant, parlant de boycott : voilà un exemple de boycott indispensable : pas seulement Chakhnazarov, mais tous les films produits par, ou sous l’égide de, Chakhnazarov, — et, là encore, pas parce que ce type est russe (en l’occurrence, il est arménien), mais parce qu’il a dit ce qu’il a dit.
Ce qu’il a dit, c’est que, quiconque n’était pas d’accord devait se retrouver… dans les camps. Quelle est la référence ? Certes, les nazis ont stérilisé un certain nombre de détenus (Juifs ou pas), mais la référence n’est pas celle-là, j’ai l’impression : la référence, c’est la Chine. C’est ce qui se passe avec les Ouighours, où l’on parle de campagnes de stérilisations massives des femmes ouïghoures. Et Chakhnazarov non seulement vend la mèche, puisqu’il atteste qu’il est au courant que ces choses se passent vraiment (et, là encore, nous faisons tranquillement commerce avec la Chine…), et que, non seulement il le sait (donc, ça se sait), mais il l’approuve, et c’est ce qu’il veut.
C’est dit, cela, je le rappelle, sur la première chaîne de la télé russe, à l’heure de la plus grande écoute.La veille, dans une autre émission, Skabéïéva (une autre des propagandistes patentées) expliquait que la Russie pouvait envoyer une bombe nucléaire sur toutes les capitales de l’Europe en 200 secondes maximum, et Kisséliov, tranquillement, disait que les Britanniques feraient mieux de moins soutenir Kiev, parce que leur « petite ile » pourrait disparaître en un clin d’œil. Il le disait en souriant, heureux.
D’où vient ce symbole, Z, pour désigner « l’opération spéciale contre l’Ukraine »
Et je me suis demandé, — mieux vaut tard que jamais, — d’où vient ce symbole, Z, pour désigner « l’opération spéciale contre l’Ukraine ».
Parce que cette lettre est une lettre latine, et que c’est étrange : pourquoi ne pas écrire, en cyrillique ЗА ПОБЕДУ (pour la victoire), et mettre ce Z, ce qui, en russe, donne un texte hybride, quelque chose qui n’est ni dans une langue ni dans une autre ?L’explication officielle — il y en a une — c’est que le Z vient de ZA, qui veut dire « Pour » — « Za déteï Donbassa » [Pour les enfants du Donbass… — quand on pense aux centaines d’enfants massacrés, violés, aux centaines de milliers d’enfants kidnappés — y compris au Donbass).
Et puis, on dit que c’est une façon rapide de faire un signe, Z… Et là encore, je ne comprends pas. Et puis, d’un coup, je me dis : mais, ce Z, qui n’est pas russe, il vient d’ailleurs. C’est notre dernière lettre, à nous. Comme la fin de notre monde.Je ne vais pas dire que le Z vient de Zombie, même s’il y a ce Z Nation sur Netflix.
Et pourtant, on a vraiment l’impression que la propagande cherche à zombifier la population russe, au sens où l’idée est non seulement d’empêcher de réfléchir mais de rendre agressif, d’amener la haine à un point de non retour.
L’idée est peut-être celle-là, de montrer qu’il n’y aura aucune désescalade, qu’aucune pitié, justement, — qu’il ne s’agit plus d’humanité. Que nous sommes entrés dans un monde dans lequel les lois et l’humanité sont de l’ordre du passé (exactement, finalement, comme dans ces séries américaines).
Et tout ce que je décris depuis le 24 février tend me faire penser que c’est comme une signature, un signe de fabrique.Il y a une autre explication. — Vous savez pourquoi les mercenaires de Prigojine s’appelle les « Wagner » ? Personne ne s’appelle Wagner chez eux, et leur chef s’appelle Outkine. Mais Outkine est un passionné, avéré, et fier de l’être, du Troisième Reich, et, Wagner, c’est pour ça : parce que c’est une belle musique aux oreilles de ces gens, la mort et la torture. La musique de la mort : la Syrie, l’Afrique, et, aujourd’hui l’Ukraine. Je me dis que ça veut dire « Sieg Heil »…
Je ne sais pas, comme si c’était une signature phonétique, dès lors que ce S se prononce plus ou moins comme un Z.
Ce qui est sûr, c’est que le pays qui se revendique de l’héritage de la victoire sur le nazisme reprend, dans les textes (voir les articles publiés par Poutine lui-même et par Timoféï Serguéïtsev, puis par bien d’autres), l’idéologie du nazisme : la déshumanisation de l’adversaire, l’appel à la « filtration », à l’épuration, à l’éliminatin des élites, la nécessité d’étendre l’espace vital, non plus des Allemands, mais des Russes (d’où la revendication d’annexion de toute l’Ukraine traditionnellement russophone), et prend les méthodes des armées nazies. L’endoctrinement de la population, et surtout des enfants, est, en même temps, poussé son comble. Education à la haine, à la vénération du drapeau, de la guerre (j’en ai parlé depuis des années, et j’en parlerai encore).
Le but est, très réellement, de zombifier les enfants — on ne parle que d’agression, de guerre, de revanche à prendre. Et on multiplie les Z de toutes les façons…
Le Z est un signe de reconnaissance, et, là encore, pour l’élite, pour l’administration, pour les militaires, le signe d’un pacte. — La revendication d’une filiation bien réelle (avec le nazisme) et, en même temps, l’appel au grand frère chinois, pour ses méthodes.Sur le terrain, en Ukraine, et en Russie, pour les Ukrainiens déportés (plusieurs centaines de milliers de personnes), tout ce qu’on apprend, ce sont des exactions sans nom, des milliers et des milliers de crimes, quelque chose qui tient de la ruine systématique, j’allais dire systémique.
Le but est, absolument, de détruire toute vie vivante, c’est-à-dire, au cas même où les gens survivraient physiquement, de les briser de telle sorte qu’ils en gardent les séquelles tout le reste de leur jour, qu’ils soient, réellement, comme des espèces de zombies. C’est cela, oui, je le dis comme je le sens, le but ultime.
Il s’agit pour le régime de Poutine de faire en sorte que les populations restantes n’aient plus aucun désir, aucune volonté je ne dis pas de résister, mais juste d’exister d’une façon un tant soit peu indépendante. Il s’agit, là encore, d’effacer leur visage sur la terre.
Pendant ce temps, Alexéï Navalny fait parvenir un message : il n’est pas encore dans la prison à « régime sévère » qui doit l’accueillir, mais, dans cette prison, on construit une espèce de prison dans la prison, uniquement pour lui.
La prison où sera située cette prison personne est célèbre pour une chose : on y torture les détenus d’une façon systématique, en leur arrachant les ongles, pour la moindre incartade.
© André Markowicz
André Markowicz, né de mère russe, a publié plus d’une centaine de volumes de traductions, d’ouvrages de prose, de poésie et de théâtre, parmi lesquels l’intégralité des œuvres de fiction de Fiodor Dostoïevski, le théâtre complet de Nikolaï Gogol, les oeuvre d’Alexandre Pouchkine, et, en collaboration avec Françoise Morvan, le théâtre complet d’Anton Tchekhov. Il a publié quatre livres de poèmes. Ses quatre derniers livres sont parus aux éditions Inculte : Partages (chroniques Facebook 2013-2014, et 2014-2015), Ombres de Chine et L’Appartement.
« Partages »
« Partages est le journal d’un écrivain qui se retourne sur son travail de traducteur, sur ses origines, sur ses lectures, sur la vie qui l’entoure. C’est une tentative, aléatoire, tâtonnante, de mise en forme du quotidien, autour de quelques questions que je me suis trouvé pour la première fois de ma vie en état de partager avec mes lecteurs, mes « amis inconnus ». Quelle langue est-ce que je parle ? C’est quoi, parler une langue ? Qu’est-ce que cette « mémoire des souvenirs » ? Qu’est-ce que j’essaie de transmettre quand j’écris, mes poèmes et mes traductions ? – C’est le reflet, que j’espère partageable, d’une année de ma vie. » André Markowicz
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