Daniel Sarfati. Shoah

Lorsque j’étais adolescent, le mot « Shoah » n’existait pas ou plutôt personne ne l’employait. Claude Lanzmann n’avait pas encore réalisé son film.
On disait « Holocauste », qui renvoyait à un sacrifice barbare, une offrande à un dieu sanguinaire.
Une série américaine, « Holocauste », passait à la télévision. Après chaque épisode, je restais dans mon lit, les yeux grands ouverts, sans sommeil.

Plus tard, dès sa sortie, j’ai vu « Shoah », le film-fleuve de Claude Lanzman. Dans ce cinéma, en haut de la rue Monsieur le Prince, nous n’étions qu’une dizaine dans la salle.
Là aussi, j’ai gardé les yeux grands ouverts toute la nuit.

Shoah est le vrai mot.
L’anéantissement.
De tout un peuple, de toute une culture, de toute une humanité.
Il dit la sidération, l’effroi devant des cendres de ce qui fut.

Cette nuit j’ai fait un drôle de rêve. Je me promenais dans les rues d’un Paris désert. J’ai heurté l’unique passant qui venait à ma rencontre. Et il s’est mis à me parler, sans raison, d’oubli et de pardon. Quand j’ai voulu répondre, il avait déjà disparu.
Il est rare de se souvenir de ses rêves. J’ai du rester éveillé toute la nuit.
La nuit.

Adolescent, mon père m’avait pas fait lire ce mince récit d’Elie Wiesel
Une nuit où un père ne peut pas interrompre le cauchemar de son fils.
Une nuit au bout de laquelle un fils ne se pardonnera jamais d’avoir survécu à son père.

« Mon père ploya d’abord sous les coups, puis se brisa en deux comme un arbre desséché frappé par la foudre, et s’écroula. J’avais assisté à toute cette scène sans bouger. Je me taisais. Je pensais plutôt à m’éloigner pour ne pas recevoir de coups. Bien plus : si j’étais en colère à ce moment, ce n’était pas contre le kapo, mais contre mon père. Je lui en voulais de ne pas avoir su éviter la crise d’Idek. »

© Daniel Sarfati

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