L’acteur s’est éteint hier à l’âge de 80 ans
Voir à vingt ans « Le Désert des Tartares » a créé chez Jérôme Leroy une révélation à la fois politique et esthétique.
Au-delà de la poésie mystérieuse et contemplative du Désert des Tartares de Dino Buzzati, créée pour l’essentiel par le caractère insituable dans l’espace et le temps de ce roman, comme Les Falaises de Marbre de Jungër ou Le Rivage des Syrtes de Gracq, j’ai toujours vu dans l’histoire du jeune lieutenant Drogo, nommé au fort Bastiani pour sa première affectation, une métaphore de l’engagement politique, quel qu’il soit, ou tout au moins de l’espérance ambigüe qui va avec: vouloir que quelque chose se passe enfin, qui détruise, restaure ou bouleverse l’ordre ancien, quitte à nous emporter nous-mêmes ; attendre désespérément que ça arrive, s’apercevoir que notre action militante ne sera que de peu d’effets. Espérer quand même, jusqu’à la fin.
Identification parfaite
Malgré la méfiance que j’entretiens avec les adaptations de chefs-d’œuvre littéraires au cinéma, j’ai aimé l’adaptation du Désert des Tartares de Valerio Zurlini qui date de 1976 mais que je n’ai vue qu’en 1984, à l’époque où je commençais à fricoter, du côté de Rouen, avec les Jeunesses Communistes et surtout avec l’UNEF-SE.
J’ai aimé cette adaptation de Zurlini, cinéaste trop méconnu, auteur pourtant d’un magnifique « Eté violent » avec Trintigant, essentiellement pour l’interprétation de Jacques Perrin dans le rôle de Drogo.
J’ai ressenti une identification parfaite, inconditionnelle, presque amoureuse. J’étais ce jeune lieutenant qui préférait une fin effroyable à un effroi sans fin, mais qui ne connaitrait que ça, pourtant : une vie qui se prolonge, sur le plan politique, dans une catastrophe au ralenti. J’ai appris par la suite à quel point ce film avait tenu à cœur à Jacques Perrin, à quel point pendant dix ans, il avait pris tous les risques en tant que producteur pour trouver les scénaristes et le metteur en scène qui accepterait de se coltiner avec ce roman anti-cinématographique au possible puisque fondé sur une immobilité presque minérale.
Virilité mélancolique
Certains acteurs, certaines actrices nous font ainsi parfois comprendre des choses essentielles sur nous-mêmes, comme certains écrivains ou certains poètes. En ce sens, ils méritent bien l’appellation d’artistes que parfois on leur dénie.
C’est pour cela que je tiens à exprimer ma dette à Jacques Perrin qui vient de mourir, et pas seulement pour son élégance d’éternel jeune homme aux cheveux blancs, sa virilité mélancolique alors que les Tartares, et leur révolution/révélation avancent à l’horizon avec une lenteur exaspérante à l’échelle d’une vie humaine. Qu’on n’aura pas le temps, ou à peine celui d’entrevoir dans les lointains, les éclats dorés des cuirasses de l’espérance révolutionnaire.
© Jérôme Leroy
Jérôme Leroy est écrivain et membre de la rédaction de Causeur. Dernier roman publié: Vivonne (La Table Ronde, 2021)
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